Il est parfois difficile d’être fils ou fille de . L’héritage peut être écrasant (lisez par exemple le roman « Le cas Eduard Einstein » de Laurent Seksik, qui évoque la relation – ou absence de relation entre Albert Einstein et son fils Eduard).
Il peut aussi, le monde est ainsi fait, source de jalousie : « facile de réussir quand on s’appelle ainsi ». Comme si toutes les portes s’ouvraient au seul nom d’un père ou d’une mère connu. Il existe des cas certes, d’artistes dont les chansons n’auraient jamais quitté le cercle familial ou des radios locales sans un patronyme facilitateur. Mais c’est faire peu de cas du jugement final, qui ne revient qu’au public, lequel se laisse rarement berner par l’absence de talent : être le fils d’un grand chanteur ou d’une grande chanteuse ne suffit pas.
Et heureusement les cas de réussite sont nombreux : pensons à M alias Mathieu Chedid, Arthur H « Higelin » ou encore Thomas Dutronc.
Lisa Simone est de ceux-là : fille d’une star, que dis-je, d’une légende, Nina Simone, elle réussit pourtant avec brio l’exercice d’avoir sa propre personnalité, une vraie légitimité tant sur cd que sur scène, sans renier pour autant, loin s’en faut son héritage familial, malgré une relation difficile avec sa mère.
Après un premier album en 2014, « All is well », Lisa a enchanté le public d’Esperanzah en août 2015, en plein milieu de l’après-midi, moment pourtant ingrat pour les artistes, face à un public surtout présent pour les valeurs sûres du soir.
« Tu viens aussi découvrir la fille de Nina ? » pouvait-on entendre au début du concert.
A l’issue de celui-ci, plus question de « fille de », Lisa (prononcez « Laï-za ») était née pour beaucoup de spectateurs.
Six mois plus tard, on retrouve Lisa en ouverture du Brussels Jazz Festival. Branchés Culture y était bien sûr.
Autre décor : fini l’abbaye de Floreffe, les rosiers, le ciel bleu et le paon qui crie Léon sur les toits.
Autre public : fini les babas, les bobos, les amateurs de musique du monde et autres festivaliers collectionneurs de bracelets en tissus, témoins de leur périple estival qui les a emmené du Verdur Rock à Esperanzah en passant par Dour, les Ardentes, Werchter avant de se rendre au Pukelpop pour terminer avec la Fête des Solidarités.
Dans le studio 4 de Flagey, le public est plus bcbg, les t-shirts en lin ont cédé la place aux costumes cravates, les robes colorées made in india aux tailleurs.
On est là pour le jazz, Monsieur !
Mais quel que soit le décorum, Lisa reste Lisa et dès son arrivée sur scène, accompagnée de ses musiciens, le ton est donné : la joie, d’être là, de chanter, d’échanger envahit les lieux.
Le premier album « All is well » est égrené : la chanson éponyme, The child in me ou encore Revolution.
Lisa rend également hommage à Nina avec le titre Ain’t got no I got life mais cette hommage démontre, au-delà du talent de Nina, que Lisa n’a pas à rougir de la comparaison : ces titres personnels sont largement à la hauteur !
Lisa occupe la scène, va au contact du public, sans oublier ceux sur les côtés. N’espérez pas qu’elle reste figée derrière un pied de micro, vous seriez déçu !
L’ambiance est autant rock & blues que jazz.
Do you love the blues ?demande-t-elle au public avant que Hervé Samb à la guitare et Reggie Washington ne se lancent dans un exceptionnel duo qui confine au duel (amical).
Les titres du nouvel album, « My world » (dont la sortie est prévue en mars) s’alternent avec ceux du premier.
Lisa rend également hommage à Cass Elliot, chanteuse des Mamas & The Papas, avec le titre moins connu « New world coming », seulement accompagnée d’Hervé Samb à la guitare.
L’ambiance se veut plus intimiste. Lisa s’assied sur le rebord de la scène et nous invite à imaginer un monde parfait.
Bonté, générosité sont certainement les principaux traits qui ressortent du caractère d’une artiste dont on se dit qu’il doit être un privilège revigorant d’être l’ami. La morosité n’a pas sa place ici.
Subitement, la salle s’éclaire et Lisa réalise à quel point la salle est remplie (il est vrai que les balcons du studio 4 sont impressionnants).
Elle brise définitivement toute différence entre un festival de plein air et un concert dans une salle guindée : comme à Esperanzah, elle descend dans le public et va « au contact », serre les mains d’un maximum de spectateurs, non pas quelques uns pour la forme mais traverse véritablement la salle de part en part. Seuls les gradins, difficilement accessibles, n’auront pas cette chance. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : chaque spectateur semble – votre serviteur peut en témoigner – véritablement boosté par cet échange à la fois simple, généreux, sincère.
Oui, définitivement, Lisa est une grande dame.
« I do what I love to do » confesse-t-elle. Pour notre plus grand plaisir.
Le Brussels Jazz Festival est lançé, il se poursuit jusqu’au 23 janvier. Découvrez le programme ici
Mais gageons que beaucoup de spectateurs se souviendront longtemps de ce concert et de cette artiste, installée aujourd’hui en France et dont les concerts sur le continent européen devraient, espérons-le, se multiplier après la sortie du second album.
Musiciens :
Hervé Samb : guitare
Reggie Washington : contrebasse et basse
Sonny Toupé : batterie
Texte et photos: Benoît Demazy