En ces temps incertains électoralement, penchons-nous sur une autre période troublée de notre histoire nationale, celle de la fin du XIXème siècle avec le mouvement anarchiste qui défraya la chronique avec ces divers attentats, dont celui réussi du Président Carnot en 1894. Rencontre donc avec son metteur en scène et dangereux propagandiste (?), Elie Wajeman, pour son film « Les anarchistes« . Un casting jeune de folie qui se prête à l’histoire d’une infiltration policière dans un mouvement qui demande qu’on s’y donne corps et âme. Nous n’aurons que ce que nous prendrons!
Bonjour Elie Quentin Wajeman, avant toute chose, quel est votre parcours initial et professionnel?
Elie Wajeman: Au lycée, j’étais dans une classe théâtre dirigée par Emmanuel Demarcy Motta, actuellement directeur du théâtre de la ville à Paris. J’ai participé à deux spectacles et appris à aimer les acteurs et la mise en scène. Il faut savoir aussi que ma mère est metteur en scène de théâtre, Brigitte Jaques. Ainsi j’étais un peu prédestiné à la mise en scène.
J’ai fait la fac de théâtre et de cinéma. Puis j’ai tenté La Fémis et au bout de la deuxième tentative, j’y suis entré, dans le département scénario. Mes études ont duré quatre ans. J’ai réalisé plusieurs films à La Fémis. Notamment Platonov, la nuit est belle, co-réalisé avec Mia Hansen-Love. Puis Los Angeles, mon premier court-métrage produit avec mon actuelle productrice Lola Gans.
Content des retours critiques sur votre film, retours publics, de la critique ?
Elie Wajeman: La présence des Anarchistes à Cannes, en ouverture de la semaine de la critique fut une grande joie. Cependant certaines critiques furent trop dures au regard de la réussite du film. Le retour du public était bien meilleur. Mais les nouvelles critiques sont bien plus belles. Et le film va être de plus en plus vu et plus en plus apprécié j’en suis sûr.
Quels furent vos partis-pris de mise en scène pour ce film ?
Elie Wajeman: Je voulais que le film soit très moderne, et en même temps très ancré dans le XIXème siècle, sans faute historique. J’ai premièrement choisi des acteurs d’une nouvelle génération qui allaient amener la contemporanéité que je cherchais. Je voulais aussi faire un film à l’épaule pour mieux épouser les mouvements des acteurs et ainsi être au plus près d’eux. J’ai décidé aussi de faire une image particulière avec le chef opérateur David Chizallet. Bleutée avec beaucoup de « bruit », une sorte de grain numérique. Ainsi j’allais créer une vision étrange et mélancolique de mon histoire. Enfin, j’ai utilisé un mélange de musique néo-classique et de pop contemporaine. Ce décalage il me semble, crée une tension et donne au film la singularité que je recherchais.
Je suppose que vous avez fait un gros travail de documentation sur ce film… D’ailleurs, filmer l’histoire en 1899 de manière non-académique, pas trop difficile ?
Elie Wajeman: Oui un grand travail de documentation fut accompli. Je suis allé aux archives de la police pour lire les rapports de policiers infiltrés. J’ai pu ainsi comprendre que les flics, ceux qui avaient comme mission de détruire les anarchistes, étaient aussi ceux qui les connaissaient le plus intimement. Ce mélange de surveillance policière et d’intimité allait devenir la matrice de mon projet.
Dans votre film, on remarque surtout de jeunes comédiens (Guillaume Gouix, Tahar Rahim, Aurélia Poirier…), ce fut voulu? Histoire de développer des processus d’identification pour la jeunesse actuelle…
Elie Wajeman: Avec mon premier film Alyah et celui-ci, le second, je travaille sur ma génération. Comment les gens de ma génération ont loupé les grandes idéologies car elles sont mortes et comment au fond ils essaient de se rattraper. Un en partant en Israel et l’autre en devenant anarchiste. Mais ces entrées en « politique » se font pour des raisons étranges, non conventionnelles. Alex part en Israel pour échapper à son frère et doit vendre de la coke pour avoir assez d’argent. L’autre devient anarchiste uniquement parce qu’il est un flic caché. Une génération donc qui a le cul entre deux chaises. Qui rêve d’absolu mais qui est en empêtrée dans le réel, dans plus aucune illusion.
Et puis je parle de personnage divisé, coupé en morceaux, qui voudrait aller dans plusieurs direction possibles et qui brise une certaine unité de l’être. Ca aussi je crois que c’est très contemporain. Ces pour toutes ces raisons que j’ai choisi de travailler avec des acteurs de ma génération, qui pourraient comprendre ce sens de l’histoire.
On peut considérer le mouvement anarchiste comme folklorique ou minoritaire, mais il y a eu de nombreux attentats, en France, du fait de ce mouvement, dont celui du chef de l’Etat Carnot en 1894, attentat réussi d’ailleurs.
Elie Wajeman: Oui la période que je filme, se situe juste après une grande vague d’attentat qui a fait peur à toute la France. Les gens ne sortaient plus au café, au spectacle. Les anarchistes ont inventé le terrorisme tel qu’on le connait aujourd’hui. Ils sont pour cela assez effrayants mais aussi très modernes. Il y a une forme de génie d’inventer une des pratiques les plus terrifiante pour l’occident. Emile Henry, un anarchistes très virulent, criminel, fut une des mes inspirations pour inventer le personnage d’Elisée, joué par Swann Arlaud.
Dans un autre entretien, vous déclariez que « La sentinelle » (1992) de DESPLECHIN était un de vos films de chevet (tout comme moi d’ailleurs…), pourquoi?
Elie Wajeman: Ce qui me plait le plus dans La Sentinelle, c’est comment Arnaud Desplechin réunit plusieurs genre en un film. Espionnage et drame. Film de bande et film fantastique. C’est pour moi l’idéal d’une oeuvre. Divisée et unifiée à la fois.
Quels sont les slogans anarchistes préférés parmi ceux-ci:
– Ni Dieu, ni maître
– La seule Eglise qui nous éclaire, c’est l’Eglise qui brûle
– «Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander les autres» Denis Diderot.
-«C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste.» Louise Michel.
-«Si les élections pouvaient changer la vie, elles seraient interdites.» Fédération anarchiste.
-«Nous avons forgé nos propres chaînes»
-«Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent.» Kropotkine.
ElieWajeman: Celui de Kropotkine.
La CNT, fédération anarchiste, Alternative libertaire, ce sont vos nouveaux amis maintenant?
Elie Wajeman: Oui je les aime beaucoup. Mais je ne suis pas sur qu’ils m’aiment en retour.
Vos derniers coups de coeur cinéma?
Elie Wajeman: Deephan de Jacques Audiard. Et en DVD, un vieux film Les Forbans de la nuit (Night and the city) de Jules Dassin. Un grand film américain, tourné à Londres, par un immense cinéaste français. Le rêve.
Entretien réalisé par Dominique Vergnes
Titre: Les anarchistes, sorti le 11 novembre 2015.
Réalisateur: Elie Wajeman
Casting: Tahar Rahim, Guillaume Gouix, Adele Exarchopoulos, Swann Arlaud
Genre: Drame, Historique, Thriller
Durée: 101 min.
Date de sortie: 11/11/2015
Nationalité: Français
En bonus, les affiches portraitistes du film: