Nicolas et Bruno: « Avec Vampires en toute intimité, on voulait une version française fidèle et complètement personnelle »
La personne aux 2 personnes (2007) fut pour beaucoup une vrai découverte cinématographique, au même titre que Steak (2006) de Quentin Dupieux. Humour nonsensique, renversement des codes de communication, détournements assumés de films d’entreprise et, en même temps, derrière ce registre soutenu se cache une vraie réflexion sur le monde du travail. Rencontre avec Nicolas Charlet et Bruno Lavaine dont les messages à caractère informatif furent de petites merveilles situationnistes sur Canal Plus, avec bon nombre de personnages cultes (comme les fameux Berthier, Ranu ou Leguélec..). Rencontre donc avec les meilleurs éléments de la COGIP qui font un retour à dents longues avec Vampires en toute intimité. Interview aux… deux personnes. Ou peut-être est-ce un hydre à deux têtes pensantes?
Bonjour Nicolas et Bruno. Mais bon sang, qu’est-ce que vous avez contre le céleri rémoulade vous ne l’épargniez pas dans La personne aux deux personnes. Moi, j’aime ce plat à la cantine, y en a cette semaine d’ailleurs…
Attention Dominique que les choses soient bien claires: nous n’avons absolument rien a priori contre le céleri rémoulade. C’est simplement que c’est un plat immonde c’est tout. On nous a forcés à en manger pendant des années, et maintenant on se venge, c’est aussi simple que ça. Mais attention ça n’est pas à l’individu Céleri, ni à l’individu Rémoulade que l’on s’en prend, c’est à son concept, dans sa globalité. C’est pour ainsi dire le combat de notre vie.
Vous avez dirigé Daniel Auteuil dans « la personne aux 2 personnes ». Était-ce pour faire hommage à son début de carrière cinématographique, ces comédies à la française du style « t’empêches tout le monde de dormir » ou « les sous-doués »…
Oui, c’est complètement ça. Et même plus qu’un hommage, c’était une énorme envie de le retrouver dans ce genre de jeu! Ce qu’il faisait dans ses comédies des années 80, il était magnifique! Ce sont des films qui coulent dans nos veines, sur lesquelles on s’est rencontrés tous les deux quand on était au Lycée, que ce soit « Clara et les chics types » ou « Pour Cent Briques t’as plus rien » qu’on a vu 275 fois et qu’on érige tout simplement au rang de chef d’oeuvre. On croisait dans ces films des acteurs au talent immense qui prenaient leur pied, sans complexe, sans calcul, ils prenaient… du plaisir!!! Et à regarder, c’est totalement jubilatoire!
On pense à Serreau, Clavier, Jugnot, Blanc… quel bonheur! Ils pouvaient tout faire, partir dans du comique de situations, de dialogues, de silences, d’absurdités, mêlant finesses et potacheries dans la même scène… une sorte de cinéma humoristique total! Et Auteuil nous manquait tellement dans ce registre. Alors quand on est venus le voir pour le rôle de Jean-Christian Ranu on était armés jusqu’aux dents!! Et c’est là qu’il nous a avoué qu’il avait pile secrètement envie d’y retourner!! On s’est énormément amusés: ce type peut vous faire hurler de rire, en swinguant en slip dans les couloirs de la COGIP et vous foutre les poils l’instant d’après, en solitude à la terrasse d’un café en train de parler à Chabat dans sa tête! C’est un génie.
Peut-on vous qualifier, par vos détournements (« Amour Gloire et Débats d’idées« , « Message a caractère informatif« , « À la recherche de l’Ultrasex« …), d’artistes situationnistes?
C’est marrant ce truc de situationnisme parce qu’on n’a découvert que très tard cet aspect historique du détournement. On a fait nos premiers doublages sans avoir vu « La Dialectique peut-elle casser des briques? » de René Vienet par exemple. C’est carrément la référence, le grand classique, c’est même le premier! C’est la première fois que par le doublage on faisait dire d’autres choses à des personnages! C’est très drôle, c’est un film de karaté où les acteurs se prennent la tête sur des débats maoïstes.
Nous on a commencé en faisant un truc de potaches, un truc de feignants sans argent, sans matos, en glissant deux trois trucs, deux trois messages sur la société… En fait on faisait du situationnisme sans le savoir! La différence avec Guy Debord c’est que notre objectif premier est de se marrer, alors que pour eux, le détournement est une arme parmi d’autres pour servir un combat, une lutte de classes. C’est pas la même façon d’aborder la chose, même si au final bah… on n’est pas forcément très éloigné dans le fond!!!
Entre l’idée initiale et le détournement, ça vous prend combien de temps en moyenne? Et vous réalisez les doublages personnellement?
Ce qui est très pratique dans le détournement, c’est que tu peux avoir une idée et l’essayer immédiatement en la maquettant sur le champs avec un micro et un ordi, c’est jouissif! Ensuite tout dépend du format. Les Messages à Caractère Informatif étaient des programmes courts et quotidiens, il fallait aller vite et on pouvait finir en pirouette, on en enregistrait trois par jour. Mais il y avait en amont tout le travail de recherche avec les documentalistes, le dérushage, le montage, l’écriture… et puis ensuite le bruitage, le mixage, les trucages, l’étalonnage… en gros on bossait tous les jours et on en diffusait un par jour.
À l’inverse, la fabrication de « À la Recherche de l’Ultra-Sex » a demandé 9 mois : on a visionné 2500 films de boules vintage (véridique!) pendant 4 ou 5 mois, puis on a écrit toute une histoire à partir d’une centaine d’extraits retenus, maquetté toutes les voix pour ajuster l’écriture des dialogues, puis tout enregistré au propre en studio (on fait tous les personnages, filles comme garçons!) et refait toute la bande-son, les musiques avec notre fidèle Jean Croc, le montage-son avec l’immense Emmanuel Augeard, le mixage avec le talentueux Thomas Charlet, les trucages et étalonnage sur des machines de oufs… pour un résultat qui a l’air totalement bricolé! … mais c’est en réalité une énorme usine à gaz! (on adore cette expression)
Quels sont les retours des spectateurs sur vos détournements?
Les gens ont l’air content. On a très peu de plaintes. C’est un des trucs qu’on adore, pouvoir échanger avec le public! Recevoir les encouragements d’anciens cadres qui se bidonnaient devant les Messages (où parfois ils s’étaient revus eux-mêmes en costume-cravate), quel pied! C’est pour ça aussi qu’on a développé ces happenings participatifs dans la salle autour de « À la Recherche de l’Ultra-Sex« , pour rire ensemble! On a notamment fabriqué des modules d’extraits du film avec bande-rythmo en sous-titres, pour que les spectateurs puissent venir eux aussi doubler des films de boules avec nous, on s’amuse beaucoup!
Vous qui êtes des pros de la com’, êtes-vous d’accord avec ces schémas de communication?
Oui tout à fait, nous n’y comprenons rien, donc nous les validons. Excellent boulot Leguélec!
Vos détournements décrivent l’absurdité du monde du travail, mais aussi sa souffrance, en parallèle avec les travaux de Christophe Dejours, procédés voulus?
On cherche toujours avant tout le rire quand on écrit, même quand on parle de détresse. C’est un truc qu’on adore, être sur le fil entre le pathétique et l’éclat de rire. Peut-être parce que ça ressemble à la vie! Christophe Dejours, qu’on a interviewé pour la « Nuit de la COGIP« , nous parlait de l’arme redoutable et salutaire qu’est l’Humour pour les infirmières, quand elle veulent décompresser face aux pires situations. Le Rire sauvera le monde, surtout de ceux qui le proscrivent!
Dans la satire et le détournement, êtes-vous dans la lignée des films de Michel Hazanavicius, Michel Gondry ou Quentin Dupieux?
Oui, c’est drôle, on nous parle souvent du Grand Détournement, plein de gens pensent que c’est nous qui l’avons fait!! C’était pile à la même époque! On l’a raconté à Hazanavicius l’autre jour avec qui on faisait une double-projection au Cinéma des Cinéastes. Ça l’a fait marrer. Oui c’est complètement la même famille oui. On adore ce que font ces gars!
On est bien d’accord: Jean-Claude Bourret, toujours le meilleur journaliste de France et de Navarre.
Absolument. C’est surtout le champion du monde toutes catégories du maintien d’antenne alors qu’il ne se passe rien! Des barres de rire devant La Cinq pendant la première Guerre du Golfe! « 5-You La Cinq », sacré Jean-Claude!
Finalement, ce Berthier, c’est un abruti et un incapable non? En plus, la moustache, ca fait peur…
On ne peut pas te laisser dire ça. Derrière ses galons de chef du Service Courrier se cache un type avec un cœur gros comme ça. Quant à sa moustache, elle est d’une hygiène irréprochable. Sauf les jours de paella.
Bon, nous avons voté dernièrement au CE de la COFRAP (car oui je suis de la COFRAP et j’en suis fier!) une motion de défiance contre la COGIP, une réaction?
Écoutez, tout ça est parti d’une malencontreuse affaire inter-filiales d’emprunt d’agrafeuse finalement rétrocédée, c’est ridicule, trouvez un médiateur à la Sipexo et serrez-vous la main, merde!
Vos projets futurs et festivals?
« À la Recherche de l’Ultra-Sex » poursuit son destin totalement inattendu, il passe un peu partout dans des cinémas en France et on l’espère bientôt en Belgique! Et puis le film a été sélectionné dans plein de Festivals, de Fribourg à Toulouse, de Austin Texas à Los Angeles, de Stuggart à Bogota (sans blagues!), c’est n’importe quoi! Notre projet actuel super-secret : on bosse sur une version du film doublée en américain avec des gros bonnets de la comédie US! Mais chhhuuuut!
Et puis attention: on vient de sortir « Vampires en toute intimité« , notre « Version Française Originale » de « What We Do In The Shadows« , un faux-documentaire hilarant sur des vampires colocataires réalisé par les Néo-zélandais Jemaine Clement et Taika Waititi, les gars de « Flight of the Concords« ! On a tout réécrit, et fait les voix avec des magnifiques personnes comme Alexandre Astier, Fred Testot, Bruno Salomone, Julie Ferrier, Zabou Breitman et Jérémie Elkaïm, et nous aussi dedans! …un gros gros pied!
Ah bon? Génial, mais c’est quoi ce truc? What we do in the quoi?
…. the shadows! Dans l’ombre, dans l’ombre de l’obscurité de la nuit, dans leur intimité de personnes-vampires! En fait, le truc est assez original: Il y a 6 mois des gens de chez Wild Bunch nous ont appelés depuis un festival pour nous dire « Les gars on est en train d’acheter un film pour vous! » On était très touchés, mais quand on l’a vu, on a carrément jubilé : le film est à la croisée de plein de trucs qu’on adore, le mockumentaire, le jeu avec les codes des films de vampires, la comédie de situations, la comédie de dialogues et la comédie absurde! Et puis il y a le jeu des acteurs!! À commencer par celui de ses créateurs Jemaine et Taïka, les gars sont super bons! On y retrouve un ton, un coktail d’humour, une façon de déconner et un décalage qu’on adore dans Borat par exemple, ou dans Shaun of the Dead, ou encore dans The Office dont on avait fait d’ailleurs l’adaptation française: Le Bureau!
Super. Et ça consiste en quoi de faire une « Version Française Originale » alors?
Bah justement on ne savait pas trop puisque personne ne l’avait fait avant. Il a fallu inventer un truc. Et c’est ça qui nous excitait à mort! Par exemple ça nous amusait beaucoup de situer le film à Limoges! C’est tout à fait emblématique de la carte blanche qu’on nous laissait : on voulait faire une version française à la fois fidèle et complètement personnelle! Et donc prendre la liberté d’enrichir ou décaler le propos, en emmenant le spectateur avec nous, mais en même temps tout en respectant l’oeuvre… sacré challenge Ranu!
On a donc mis beaucoup de nous dans cette version, les vampires s’appellent Jean-Bernard, un type bosse à la COGIP, etc! Dans les premières projos qu’on a faites en avant-première, l’évocation de Limoges marche à fond avec le public, parce que c’est justement évident à l’image qu’on n’est pas à Limoges, et en même temps pourquoi pas, c’est aussi con que des vampires à Wellington au beau milieu de la Nouvelle Zélande! On adore déclencher ce genre de connivence avec le spectateur.
Et ça sort quand?
C’est déjà sorti! Le 30 octobre! Mais pas au ciné. Le film est sorti en e-Cinema. En fait ils appellent ça « e-Cinema » mais en gros ça veut dire qu’il est sur toutes les plates-formes de VOD de votre box et de votre ordi et qu’il ne sortira pas au cinema et qu’on vous conseille de le louer avec des potes, à votre domicile personnel!
Enfin, vous qui travailliez à Canal +, que pensez-vous de sa nouvelle gestion éditoriale? (Avec le président Bolloré pour ne pas le nommer)
Bof. On sait pas trop. On est un peu loin de Canal tu sais. Mais en même temps on espère qu’ils ne feront pas n’importe quoi. On va attendre un peu. Il y a encore des tas de gens super sur place!
Comment, avez-vous trouvé cet entretien?
Vraiment très intéressant!
Merci à tous les deux!
Propos recueillis par Dominique Vergnes
Quelques infos toutes fraîches qu’il serait cool de partager:
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