Derf Backderf: « En BD, j’aime raconter des histoires qui ne l’ont jamais été avant »

Dominique Vergnes a rencontré l’auteur américain Derf Backderf, connu principalement en France par son best-seller « mon ami Dahmer », prix révélation à Angoulême en 2013. Derf Backderf possède un graphisme bien caractéristique, très cru et réaliste à l’image de son idole Robert Crumb. Un auteur qui s’intéresse d’abord à la vie quotidienne des Américains, aux employés, aux gens « invisibles » du prolétariat américain, comme le signale son blog.  Son dernier album, « Trashed » (éd. çà et là, 2015), nous décrit ses souvenirs drôlatiques et pénibles comme éboueur durant sa jeunesse. 
Bonjour Derf, votre BD « Mon ami Dahmer » a eu un impact extraordinaire en France, comment l’expliquez-vous?
 Je ne peux pas! Ce fut un best-seller dans bon nombre de pays européens. Mais la réception en France fut vraiment incroyable. Tous mes livres ont très bien marché en France, c’est toujours quelque chose de surprenant pour moi. De toutes les bonnes choses qui me sont arrivées dans ma carrière, mes venues en France sont mes préférées. Je déambule toujours dans Paris en souriant comme un idiot.
Derf Backderf - Trashed - interview (10)
«Mon ami Dahmer » nous décrit une personne très solitaire Jeffrey Dahmer, limite antisocial et le lycée lui permet de se faire quelques amis ; si nous lui avions tendu la main à temps, peut-être cela aurait-il pu prévenir ces actes criminels par la suite?
Je ne pense pas que Dahmer aurait pu être sauvé. Sa folie était trop grande. Mais certainement, il aurait pu être identifié comme une menace et placé dans un hôpital psychiatrique. Toutes ces victimes ne seraient pas mortes ainsi.
Votre BD sur Dahmer n’est-elle pas aussi une radiographie de la vie lycéenne de la fin des années 1970?
Bien sûr. Nous appartenons tous à notre temps et au lieu où nous vivons, et ce fut le cas de Dahmer. C’est pourquoi, j’ai voulu raconter cette ‘histoire.
Derf Backderf - mon ami Dahmer - homosexualite
Vous connaissez certainement le film et le livre « le silence des agneaux » de Thomas Harris, qui nous décrit les folies intérieures d’un tueur en série, ne pensez-vous pas que certains États américains engendrent les tueurs en série?
Je n’ai jamais lu ou vu « Le Silence des agneaux ». Je ne suis pas intéressé par les tueurs en série du tout. C’est trop surréaliste pour moi.. Il semblerait que l’Amérique ait bien plus de  tueurs en série qu’ un pays comme la France par exemple. Mais c’est normal et cela se vérifie  car il y a près de 340 millions d’Américains et seulement 66 millions de Français. Je pense que le pourcentage de tueurs en série par rapport au nombre de population est environ le même. Voilà ce que m’a déclaré par exemple l’écrivain Stéphane Bourgoin.
Peut-on dire que votre BD rejoint la lignée des auteurs BD américains comme Daniel Clowes, Charles Burns, Adrian Tomine dans la description pas très glorieuse de la classe moyenne américaine?
Bien sûr. Il y a de grands personnages et des histoires formidables que l’on retrouve plus spécialement dans la classe moyenne.
Derf Backderf - Cauchemar - Mon ami Dahmer
Votre avis sur la tragédie de « Charlie Hebdo » de janvier dernier?
Ça m’a touché profondément. Je dessinais des caricatures politiques moi-même et j’ai été personnellement menacé au cours de ces dernières années. Je n’ai pas pris ces menaces au sérieux. Ici aux Etats-Unis, l’un de nos caricaturistes politiques a réalisé une bande dessinée sur Mahomet et s’est vu menacé d’ une fatwa d’Al-Qaïda. Ce dessinateur a ainsi abandonné la caricature, puis est entré dans la clandestinité et n’a pas été revu depuis. Les attaques sur « Charlie Hebdo » ont rendu ces menaces physiques très réelles. Tuer quelqu’un pour un dessin, cela me remplit juste de rage. Mais autrement, je suis tellement impressionné par le mouvement de protestation qui a rempli les rues de Paris juste après. Je me suis rendu devant le bâtiment de « Charlie-Hebdo » après le festival d’Angoulême en  février dernier, et de lire les notes et dessins laissés sur la clôture, j’en pleurais comme un bébé.Afficher l'image d'origine
Allez-vous toujours continuer le dessin de presse?
Non, je ne fais plus de dessin de presse pour les journaux. Juste de la BD. Les journaux écrits sont morts.
En France, dans de nombreux festivals BD,  nous avons donné des récompenses à des auteurs américains comme Chris Ware, Art Spiegelman, Bill Watterson, Frank Miller, ces prix européens toujours utiles pour les artistes américains?
Les Prix BD à Angoulême sont bien connus ici, aux USA. D’autres prix BD français le sont moins, mais tous les auteurs américains sont honorés de les recevoir…
Art Spiegelman à Angoulême en 2012:
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Vos auteurs, séries et personnages BD préférés?
Les BD que je préfère? Je ne lis pas beaucoup de comics, croyez-le ou non. Je me suis arrêté de les lire quand j’ai commencé à en dessiner.. Il  y a certains auteurs incroyables ici. Aux États-Unis, ces dernières années,  il y a eu une explosion de nouveaux talents. C’est formidable pour le monde des comics.
Quand j’étais un adolescent, je lisais des comics liés à Marvel et DC, surtout Jack Kirby notamment. Puis j’ai découvert Robert Crumb et les caricaturistes underground. J’ai lu aussi de la bande dessinée française, par le biais de  « Metal Hurlant » traduit ici et j’ai pu ainsi découvrir Moebius et Tardi.
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Personnellement, j’adore l’univers BD de Joe Matt, un avis sur cet auteur BD?
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Ouais, c’est un auteur génial. Un type très drôle et un triste bâtard à la fois. Malheureusement, il n’a rien dessiné depuis un certain temps..
Votre dernier album BD « Trashed » nous raconte la vie quotidienne d’ éboueurs américains à travers votre expérience, votre BD va à l’encontre de « l’american way of life » et nous décrit un sous-prolétariat.
Bien sûr. Ma BD est une description de l’Amérique par le bas. Sur le plan de l’échelle sociale, éboueur c’est le plus bas que vous puissiez trouvé. Par la bande dessinée que je pratique, j’aime raconter des histoires qui ne l’ont pas été avant. C’est quelque chose qui m’obsède à chaque début de création BD.
Derf Backderf - Trashed - interview (7)
Nous parlons de gonzo journalisme avec un auteur comme Hunter S. Thompson, Vous-même, peut-on vous décrire comme un auteur BD gonzo? Quelqu’un qui décrit, en toute subjectivité, une époque révolue …
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Eh bien, « Trashed » se passe en 2015, il ne décrit pas une époque révolue. Hunter S. Thompson n’a pas vraiment écrit sur le passé non plus. Il écrivait sur des choses comme elles se sont passées. Il a également été les vivre, aidés en cela par tous les médicaments, drogues, alcool qu’il dévorait. J’ adore le travail de Hunter S. Thompson, mais non, je ne lui ressemble pas.
Irez-vous bientôt en France ou en Europe?
Je serai à Angoulême, à nouveau cette année, avec les éditions çà et là, et puis j’irai en tournée à travers la France pour le mois de février, avec un détour par l’Espagne. On m’a dit qu’il y avait près de 21 librairies BD françaises qui réclameraient ma présence pour des dédicaces! Cela fait beaucoup de dédicaces en perspective.
Merci beaucoup Derf!
 
Entretien réalisé par Dominique Vergnes
Derf Backderf - Trashed - interview (5)
Titre: Trashed
Scénario, dessin et couleurs: Derf Backderf
Traduction: Philippe Touboul
Genre: Autobiographie, Chronique sociale

Éditeurs: Ça et là

Nbre de pages: 240

Prix: 22€
Date de sortie: le 21/09/2015

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