C’est un uppercut puissant à la biographie en Bande Dessinée que donnent Amazing Améziane et Sybille Titeux de la Croix. En adaptant la vie de Muhamad Ali, le couple à la ville comme à la case propose une oeuvre extrêmement percutant où fond comme forme se rejoignent pour donner une oeuvre graphique à la puissance rare en… « cine-comics » (comme aime le dire Amazing Améziane).
Nous ne pouvions rester sans poser quelques questions à ces deux auteurs au talent fou et singulier. Au programme: Ali en long et en large, une déclaration d’amour au comics mais aussi une certaine idée de la (mauvaise) place que tiennent les femmes dans le monde de la BD. Le tout dans l’ombre d’un héros fascinant, fruit de son temps et qui a marqué l’histoire plus que sportive à jamais.
Bonjour à tous les deux, en étant ami sur Facebook avec vous deux, j’ai l’impression que depuis quelques semaines, voire mois, vous mangez, vivez, dormez Muhammad Ali, possible? Travailler sur la vie et la personnalité hors-norme de ce personnage vous a marqués ?
Sybille Titeux De La Croix: En effet, travailler sur Ali est très marquant et le quitter, maintenant que le livre est sorti, est assez difficile. Il faut avoir la force de repartir sur un autre sujet complètement différent.
Amazing Améziane: Nous avons travaillé ensemble non-stop pendant 8 mois pour faire ce livre et nous en parlions sans arrêt. Une fois l’ouvrage terminé, le temps est venu de convaincre le public de le lire…
Sybille Titeux De La Croix: De plus, nous devons aussi promotionner le livre pour que le public sache qu’il existe, de ce fait ne pouvons nous pas quitter Ali brutalement, ce qui m’arrange tout à fait.
Amazing Améziane: Nous nous donnons à fond. Avec l’accord du Lombard, j’ai créé un Trailer BD de « Muhammad Ali » puis le mini-site hébergé sur le site du Lombard. Et ça, c’est juste la base, nous avons aussi produit des bonus inédits. Nous avons créé, détourné, réutilisé un bon paquet d’images pour faire une promotion plus fun du livre. Ali est dans toutes nos pensées, c’est vrai.
Je crois sincèrement que tout le monde peut lire ce livre et pas seulement le public « BD », et quand nous le faisons lire ou l’offrons à quelqu’un qui ne lit pas trop de livres (ou presque jamais de BD) et que cette personne a été surpris et même ému par notre travail, nous sommes contents. Le public « BD » voit les différents styles, mais le grand public est opaque à tout cela, ça lui plaît ou pas, c’est le seul critère.
Cette aventure a-t-elle été vraiment différente des autres que vous aviez entreprises ?
Sybille Titeux De La Croix: Obligatoirement les choses sont différentes quand il s’agit d’une biographie car il y a une responsabilité vis-à-vis des personnes concernées et puis ne s’agit plus seulement de raconter une histoire mais de « faire connaitre » et même « faire aimer » une personne, de montrer sa complexité et son importance.
Amazing Améziane: Oui, je voulais travailler depuis longtemps avec Sybille et l’occasion ne s’était pas encore présentée. Donc rien que pour cela le livre est différent pour moi. De plus quand tu travailles sur la vie d’un homme aussi extraordinaire que Muhammad Ali (et pas Mohamed, merci… on ne dit pas Nouvelle York mais New York), tu as intérêt à aimer sa vie et ses choix, sinon c’est vraiment douloureux.
J’ai besoin de sentir l’homme (ou la femme) derrière l’histoire, de le voir vivre dans ma tête avant de le dessiner. Quand j’ai illustré « le chapitre du grand-père » pour « À quatre mains« , Paco Ignacio Taibo II m’a dit que cette histoire de fiction était adaptée de la vie de son propre grand-père. Je me suis immergé dans ces trente pages comme jamais et ce fut ce que j’ai fait de mieux jusqu’à « Muhammad Ali ». Quand j’ai fini ces trente pages… je savais que je ne reverrai plus jamais le personnage de Tomas Fernandez et il m’a manqué. Pour Ali, c’est encore pire. Dès que je vois une vidéo ou une photo de lui malade… je suis presque en train de chialer. Je l’admire vraiment.
L’impact émotionnel d’une biographie est bien plus fort, en tout cas pour moi. Ce n’est pas un choix fait à la légère.
Par le prisme d’Ali, en avez-vous appris sur vous-mêmes ?
Sybille Titeux De La Croix: Pour être très franche ce que j’ai appris sur moi-même me semble avoir aucun intérêt. Ce qui compte avant tout c’est ce que les Noirs de l’époque et même ceux de maintenant ont pu en retirer. Ce qui est important c’est de voir que James Baldwin (« Harlem Quartet« , « Face à l’homme blanc ») parle d’Ali quand il écrit une lettre à Angela Davis lorsqu’elle était en prison (publié dans le livre d’Angela Davis « S’ils frappent à l’aube…« ). Ali a vraiment changé la vision que les Noirs avaient d’eux-mêmes, ce qui me semble autrement important.
Amazing Améziane: Ali disait à tout le monde qu’il était le plus grand avant même d’en être sûr lui même. Puis après il a laissé les autres le dire à sa place. J’ai fait pareil, j’ai rajouté un « Amazing » à mon prénom avant même de le devenir, pour le fun de l’homophonie approximative qui est l’une de mes formes d’humour préférées. Puis j’ai fait « Bagmen » un polar noir sous la forme d’un graphic novel que j’ai écrit, dessiné, mis en couleur et designé. Ce bad boy faisait 180 pages et j’ai produit ça en 6 mois. Après ça, j’avais mérité mon adjectif. Ensuite j’ai fait « Clan » tout seul en 8 mois, et là, c’est l’éditeur qui a commencé à admettre qu’en effet, ce que je faisais n’était pas si courant de nos jours. Ali m’a poussé depuis toujours à me jeter dans des projets fous et d’avoir confiance en moi.
Vous tutoyez Ali, pourquoi ?
Sybille Titeux De La Croix: En effet, j’ai choisi cette forme, la deuxième personne du singulier, pour plusieurs raisons différentes. Tout d’abord, je ne voulais pas de la forme classique du « Il », trop vu à mon gout pour une biographie. Quant à l’idée du « Je », je ne la trouvais pas acceptable. Déjà parce que Ali est le seul à pouvoir dire « Je ». Je ne comptais pas me substituer à sa propre parole et de ce fait, le « Je » sonnait faux à mes oreilles. Ainsi, le « Tu » m’as semblé la meilleure solution.
Alors, Ali, c’est finalement une œuvre avec beaucoup de descriptions et finalement peu de dialogues, pourquoi ce choix ?
Sybille Titeux De La Croix: Je ne sais pas si l’on peut parler de descriptions (si vous lisez un romans de 400 pages vous ne direz pas qu’il a 400 pages de descriptions…). J’ai raconté Ali parce que c’est une biographie.
Comme chacun sait le texte OFF permet d’apporter des détails et une dimension à l’action. De plus inventer plein de dialogues et les mettre dans la bouche de gens qui étaient vraiment là, alors que moi non, m’a semblé franchement risible. Il y a des moments où il faut trouver des solutions afin de ne pas tomber dans le ridicule. De ce fait, la majorité les dialogues présents sont de vraies citations.
Étiez-vous familier avec ce grand personnage ou pas ? Qu’avez-vous appris sur lui ?
Sybille Titeux De La Croix: Comme tout le monde j’avais une image qui datait de l’enfance, parfois des conversations passionnées qui avaient lieu entre adultes et dont on saisissait des bribes toutes plus obscures les unes que les autres. De ce fait lorsque l’on se penche vraiment sur Ali, le plus troublant est la contradiction permanente.
On pourrait citer ici la phrase de Jack Olsen qui résume très bien la situation : « La personnalité de Clay est comme un puzzle dont les pièces auraient été découpées par un menuisier ivre, un assemblage désordonné d’humeurs et d’attitudes qui ne semblent pas s’emboiter les unes aux autres« .
Amazing Améziane: Quand mon père m’en parlait quand j’étais petit, j’aimais déjà Ali. Puis j’ai été voir au cinéma au moment de sa sortie le documentaire « When we were kings » et là j’ai découvert qui il était, sa verve, sa personnalité.
Puis à la fin des années 90’s, Ali a fait la couverture de beaucoup de magazines anglais, car le XXème siècle était sur le point de tirer sa révérence et ils faisaient un tas d’articles et de listes sur les plus grands hommes du siècle. Ali arrivait toujours en tête. Depuis ce moment, j’ai toujours eu une photo d’Ali dans mon atelier. Ces huit dernières années, j’avais une copie de la couverture du comics « Superman vs Ali« . Disons que cela fait un bon moment que j’aime Ali et qu’il m’attendait…
Plutôt Cassius ou Ali ?
Sybille Titeux De La Croix: Je ne sépare absolument pas les deux. Il n’y a pas d’Ali sans Cassius. Je ne vois pas de rupture brutale entre les deux, juste une évolution logique. La rupture c’est faite seulement pour ceux qui ont été choqué par sa conversion à l’Islam et par son changement de nom.
Amazing Améziane: C’est la question la plus dure, dites donc… mais je vais jouer le jeu. Cassius est un jeune homme incroyablement beau et doué qui arrive à 22 ans à accomplir l’impossible. Ali est un homme de conviction qui va se battre sur et en dehors du ring pour ses convictions. Je préfère Ali…
Sybille, vous avez mis dix ans entre votre première BD et cette deuxième, l’accouchement est compliqué pour la scénariste que vous êtes ?
Sybille Titeux De La Croix: L’accouchement d’un scénario est bien moins compliqué qu’un accouchement réel, je vous rassure ! J’ai écrit « Muhammad Ali » en huit mois et ce parce qu’il y avait évidemment beaucoup de documentations à consulter. Pour une fiction c’est en moyenne plus rapide bien que j’utilise aussi pas mal de documentation: j’aime encrer mes fictions dans des périodes historiques précises ou y mélanger des faits réels.
Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ?
Sybille Titeux De La Croix: J’ai continué à écrire comme toujours mais aucun des projets que j’ai proposé aux éditeurs n’ont été signé. Quand vous êtes une femme et que vous écrivez essentiellement des histoires sur les minorités, ou des polars ou de l’aventure, votre chance d’être publié est minime.
Le champ culturel est très catégorisé et l’on attend les femmes sur des sujets que l’on estime leur correspondre. Si vous observez votre bibliothèque en pensant à cela, vous verrez que le nombre de BD de (par exemple) polar d’action ou western signés par des femmes est à peu près inexistant. Ce qu’il faut comprendre alors c’est que ce n’est pas parce que les femmes n’en écrivent pas (comme on peut le voir dans la littérature ! par exemple avec « Sur ma peau » de G. Flynn ou « L’histoire intime de Skyler Rampike » de J. C. Oates) c’est tout simplement parce que l’on ne fait pas confiance aux femmes pour ce genre d’histoires et qu’en plus les éditeurs ont peur que le public blanc et essentiellement masculin ne les achète pas. De ce fait, j’ai beaucoup d’histoires dans mes tiroirs que vous ne lirez jamais.
C’est aussi la première fois que vous travaillez en couple ? Ça change la donne par rapport aux autres expériences que vous avez connues ? Plus compliqué ou justement plus simple ?
Amazing Améziane: Non, c’est juste que les autres projets n’ont pas été signés. Mon emploi du temps ne favorise pas beaucoup la collaboration, je travaille beaucoup et dès que je signe un projet ça repousse nos projets de plusieurs mois…
Sybille Titeux De La Croix: Je ne trouve pas que cela change beaucoup la donne mais en effet c’est beaucoup plus simple et très agréable. Cependant je serai ravie de travailler avec d’autres personnes mais jusqu’à présent cela c’est très peu réalisé. Beaucoup de dessinateurs arrêtent les projets en cours de route alors les dossiers ne peuvent même pas être présentés.
Amazing Améziane: Techniquement j’ai travaillé d’après les textes de seulement deux personnes ; Paco Ignacio Taibo II – mon romancier préféré et Sybille. C’est pour vous dire si j’estime son travail. Pour tous les autres livres où j’ai eu un coscénariste (à une exception près, « Devenir un vrai Mâle« ), c’est moi qui ai fait plus de 80 % du travail de scénario et ils ont bossé les 15 à 20% qui restent d’après mes idées. C’est plus simple de bosser avec elle, car on voit le même livre dans nos têtes. Chacun va prendre un chemin différent pour y arriver, c’est tout.
Elle est dans la pièce d’à coté, nous nous voyons tous les jours et je n’ai jamais à attendre mes textes. Je cherche toujours des dessinateurs (ou -trices) pour illustrer mes histoires, mais des scénaristes… non.
C’est aussi la première fois que vous vous attaquez à des figures réelles, à une histoire biographique, j’imagine que ça change la donne et que dans un premier temps on se laisse moins aller à la créativité pour coller aux faits véridiques ? Comment avez-vous fait pour imposer votre style à tous les deux ?
Sybille Titeux De La Croix: Le cadre, le sujet imposé, les limites ne me semblent pas être un frein bien au contraire. Vous vous retrouvez face à quelque chose, comme un bloc de granit et c’est alors à vous d’en extraire une sculpture qui sera votre réalisation propre. Vous allez devoir vous dépasser pour ce faire et vous adapter aux contraintes du matériau mais ce que vous en sortirez vous surprendra vous même. Evidemment vous attaquez le bloc de granit seulement lorsque vous avez réussit à maîtriser la peur incontrôlable qui vous étreint (rires)!
Amazing Améziane: Dans « À quatre mains » l’adaptation du roman de Taibo II, une bonne partie de l’histoire était très inspirée de la réalité – la mort de Pancho Villa, L’histoire du grand-père, Houdini, Robert Capa pendant la Guerre d’Espagne en 1936 (etc.)- donc j’ai déjà fait ça mais ici, le sujet est unique (Ali) et néanmoins multiple (la lutte des droits civiques aux USA). Vous n’êtes pas moins inspiré face à la vie extraordinaire de ses hommes et femmes qui se sont battus pour une cause juste. Votre métier est juste de rendre ça lisible et beau pour que le message passe le mieux possible.
Sybille avait carte blanche pour le texte et moi pareil mais pour les images. Je lui avais montré « Elektra Assassin » de Miller et Sienkiewicz et je lui ai dit, « on doit faire ça ». Pas « ça » pareil. Mais on doit s’inspirer de leur méthode de travail. Chacun fait le malin, on doit inspirer l’autre à se dépasser comme Frank et Bill l’ont fait. Elle a écrit des textes pour les pages. Et je les ai illustrées. Certaines pages ont été produites « Marvel style » c’est à dire comme Kirby qui dessinait les pages après avoir discuté avec Stan Lee, qui récupérait les pages muettes et il rajoutait le texte dessus. Nous n’avions pas de limite, il fallait juste que ça fonctionne. On s’adapte très bien aux contraintes.
J’imagine que tant d’un côté que de l’autre, vous avez du beaucoup vous documenter ?
Sybille Titeux De La Croix: Vous pouvez voir la bibliographie à la fin du livre où sont cités les principales sources mais bien-sur il y en a beaucoup plus. Vous verrez donc que certain livres cités n’ont rien à voir avec la boxe. Écrire un livre ne se limite pas à de la simple documentation, c’est aussi une ambiance et une exigence dans le style d’écriture suivant le sujet. Nous avons aussi regardé tous les combats d’Ali (même ceux qui ne figurent pas dans le livre).
Amazing Améziane: Oh Fuck yeah. Chaque case est un nouveau défi. Un jour, par exemple, tu dois dessiner: « Ali devant le restaurant de Sugar Ray à New York avec sa Cadillac ». Mmm ok… alors voyons… quelles têtes ils ont à ce moment-là. À quoi ressemble le resto, la rue, le néon du resto ? Et les fringues des 2 gars… Parfois tu as la bonne image mais tu vérifies quand même au cas où ils se seraient trompés dans le livre.
Ce qui est arrivé… dans un livre sur Ali, on voit une image créditée comme étant prise lors d’un combat mais on y voit Ernest Borgnine à coté d’Ali. C’était en fait juste une photo promotionnelle tirée de « Ali the greatest » (1977 produit par la Cannon) où Ali joue son propre rôle, ainsi que son frère et Bundini. Ernest, lui, joue le rôle de son entraîneur Angelo Dundee. Une photo avec un crédit erroné… Oui, nous nous sommes beaucoup documentés… Sybille en sait beaucoup plus que moi sur la boxe, maintenant.
Cette BD est réellement sportive, comment avez-vous fait pour allier style graphique à performance de ring ? Un défi ?
Amazing Améziane: Deux mots : Raging Bull. Chaque combat dans ce film a une ambiance particulière et chaque combat informe sur l’état d’esprit de Jack La Motta à un moment précis du film. Je voulais faire la même chose mais en utilisant toutes les techniques narratives que Scorsese ne peut pas utiliser… car il n’a pas de chance, le pauvre, il ne fait de bédé.
J’ai longtemps réfléchi à comment mettre en scène les combats et du coup, je les ai faites à la fin. J’ai commencé par Thrilla in Manilla (Ali vs Frazier 3) car c’était le plus dur. Plus dur que le combat au Zaïre contre Foreman. Et c’est aussi le plus long du livre. Une fois celui-ci fini, j’avais trouvé l’ADN du livre. J’ai alors fait les couleurs des autres pages et retouché quelques pages pour harmoniser le tout. Nous avions beaucoup plus de pages de boxe dans la première version de l’histoire, mais nous avons décidé d’en réduire le nombre pour pouvoir raconter la lutte des droits civiques avec plus de place.
J’ai physiquement coupé une page de combat au Zaïre pour avoir une page de discours de Malcolm X sur la brutalité policière dans notre livre. Le combat au Zaïre contre Foreman, j’avais une idée rythmique de comment rendre ça, cette succession de coups jusqu’à l’ouverture et le K.O. de Foreman. Je me suis inspiré du Dark Knight Returns car Miller a une approche très cinématographique, chaque case est un point de montage dans une longue séquence, les cases sont petites et intègre le concept de répétition. Cela se lit rapidement et au bout d’un moment, tu as une grande image qui va finir la scène en beauté.
D’autant que parfois, une seule image doit servir à résumer un round, si pas un combat ?
Amazing Améziane: Il n’y a pas de règle, on ne fait pas du franco-belge. Si c’est fort en une image avec une phrase, ça sera comme ça. Si ça doit être en douze cases, ça le sera. Je m’inquiète plus du contenu émotionnel d’une page que du côté « classique » ou » pas classique », avec ou sans contour noir, noir et blanc ou couleur… Je puise les ressources en moi et je me bats pour faire accepter le résultat. Or ici, je n’ai pas eu à me battre l’éditeur avait parfaitement compris le sujet et notre approche.
Votre style est un alliage entre comics et Bande dessinée, non ? Une volonté de ne pas trancher ? Une culture de la BD multiculturelle ?
Amazing Améziane: Je défini mon style comme du « Ciné-Comics« , regroupant ainsi mes deux influences majeures. Lorsque je bosse, je ne « vois » pas les images de la page dans ma tête, je « vois » une séquence animée et je dois me battre pour adapter ça sur papier. « Bagmen » était le meilleur exemple de ça, un gros bébé de 180 pages avec peu de cases par page, souvent en format cinémascope.
Moi, je fais du Comics. Point barre. Mes deux seules influences Franco-belge sont Moebius et Hermann. Les autres même si j’en lis parfois, rien ne reste, ça glisse. Donc je fais du Comics mais pour le marché Franco-belge. Il y a quelques années, le mot « Comics » était un gros mot. Ce qui est purement et simplement le fait d’une ignorance crasse. Giraud et Morris étaient tous les deux gravement inspiré par les auteurs de comics de leur époque. Gotlib n’a-t-il pas purement et simplement adapté « Mad Magazine » pour créer « Fluide Glacial » ? Et Goscinny est un fan aussi de Harvey Kurtzman et ça se sent vraiment dans Astérix. Je peux comprendre (sans l’accepter) le ressentiment que certains ont vis à vis du manga. C’est très con aussi mais cocorico, quoi… zut.
Par contre, détester le Comics qui a tant de lien dans l’ADN de la bédé Franco-belge actuelle, là faut être à la masse. Ou alors, on dit « bye bye » aux USA, on ne regarde plus leurs films et séries TV et toutes les Bédés se passent dans la banlieue de Bruges ou à Melun. On va voir sa gueule à Largo, il va avoir du mal à se poser en hélicoptère, faire des courses en hors-bord sur la Marne ou faire du 130 km/h sur le rond point à la sortie de la ville à coté du Cora.
Pourquoi le comics?
Amazing Améziane: Le Comics n’est pas un format, c’est un style de narration. Plus décompressé, qui demande plus de pages, mais qui peut aussi être produit dans un format « bédé » cartonné. Beaucoup de comics supportent à merveille la parution en album grand format, je pense à feu le label Zenda qui nous a fait découvrir Dark Knight returns, Watchmen, V for Vendetta, Marshall Law et Black Orchid de la plus belle façon qui soit.
Je produis des comics dans un format Franco-belge. Ma narration est comics. Mon ADN, c’est Miller… pas Hergé. Mais c’est mal, on le dit parfois… Miller est devenu un « méchant » réactionnaire maintenant… un mec pas fréquentable pas comme Hergé qui était… un… euh… Ooops, oubliez ça, il vaut mieux ne pas mélanger politique et bédé… (rires)
Amazing, à chaque parution, vous donnez l’impression de repousser les limites de votre art, de redoubler de créativité et de ne pas tourner en rond, de pousser le format de la BD ?
Amazing Améziane: À chaque livre, j’augmente ma cosmo-énergie… Et là, pour « Muhammad Ali » vous avez vu le « Sian Ziane » (rires). Je n’ai pas l’impression de pousser les formes de la BD, j’ai des centaines d’exemples de trucs bien plus fous fait par Miller, Sienkiewicz, Howard Chaykin, Marcos Martin, Richard Corben, Garth Ennis, plus dingue que ce que je pourrais faire… j’ai juste des influences différentes et des éditeurs qui me font confiance.
Personne n’est dupe… le lectorat classique s’ouvre à des formes de BD différentes. Quand « 100 Bullets« , « Scalped » et « Transmetropolitan » étaient publiés par Panini (et autres) personne n’en avait rien à foutre. Depuis que Dargaud-Urban Comics les imprime… ZUMBA !!!! Regardez comme c’est beau, le comics. Et zoom, je t’édite « Preacher » et dans la foulée les « Hellblazer » de Garth Ennis. Vous allez bien vous marrer les gars, moi j’ai lu ça en 1996 et ça fait parti de mon ADN.
En un an, vous avez enchaîné trois sorties BD aux formats dépassant toujours le classique 48 pages (Legal, Clan et maintenant Ali), vous ne soufflez donc jamais ?
Amazing Améziane: 44/48 pages je ne pige pas pourquoi on fait ça, ce n’est pas assez… Tintin était en 62 pages (je crois…). Où est passé le cahier qui manque ? Au minimum, tu as 54 pages, tu fais un diptyque et avec une histoire de 108 pages, là au moins tu as des trucs à raconter.
Parce que si c’est pour proposer 20 minutes de lecture, 1 fois par an… après, il ne faut pas s’étonner si le public va voir ailleurs. Je vois bien que le public aime ces gros one shot de 120 pages. Les lecteurs me le disent en dédicace. J’aime les histoires longues et c’est aussi pour ça que je bouffe plus de série TV en ce moment que de films.
Après il ne faut pas dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » car mon éditeur m’a commandé une série de thriller au format Franco-belge. Donc je vais m’attaquer au « format classique » l’année prochaine. Là, ça va être un vrai mélange cette fois, mon trait (un peu plus détaillé) dans une narration plus classique. J’ai même dû lire des XIII, c’est pour dire…
Quant à souffler, non, je ne souffle pas. Pourquoi ? Je suis censé faire quoi ? Jouer à GTA5 ? Il y a encore beaucoup de projets que je voudrais faire, donc faut avancer. Apprendre et devenir meilleur.
Il y a aussi ce travail de couleurs qui nous plongent véritablement dans cette époque. Comment vous y êtes-vous pris ?
Amazing Améziane: Je travaille tous mes livres en noir, blanc et gris. De cette façon, toutes les valeurs sont déjà posées. J’ai juste à plaquer un aplat de couleur et Tadaaa… la page est finie. C’est plus rapide et ça permet aussi de travailler des parties entières du livre en même temps. J’appelle cette partie : « l’étalonnage »… comme au cinéma où, ils tournent des séquences dans le désordre, sous une lumière différente et ils font le montage et l’étalonnage de la séquence pour une harmonisation optimale. Là, le terme « Ciné-Comics » commence à prendre tout son sens. J’ai remonté 3 versions du combat au Zaïre, par exemple. J’ai fait le combat sur 2 double pages puis j’ai remonté l’ensemble sur 4 pages simples car c’était plus efficace. Chaque séquence doit avoir une ambiance colorée distincte pour une lisibilité rapide, ensuite cette couleur doit avoir un rapport avec l’émotion que le lecteur doit ressentir.
Aujourd’hui, quel est l’héritage laissé par Ali ?
Amazing Améziane: « BLACK IS BEAUTIFUL ». Il faut avoir confiance en soi. Et la force brute des hommes ou des états peut être vaincu par l’intelligence et l’obstination. Le goût de l’effort « Quand je fais des pompes, je commence à compter que quand ça commence à faire mal, c’est à partir de là que ça compte pour de vrai.«
Quels sont vos projets à tous les deux ?
Sybille Titeux De La Croix: Oui, comme toujours nous avons beaucoup de projets très différents les uns des autres. Tant des histoires qui pulsent que des choses tout à fait poétiques !
Amazing Améziane: Je m’attaque modestement au monde du franco-belge dans « Sam Hicks« . C’est une série qui va démarrer en 2016 dans la collection Troisième Vague au Lombard. Comme d’habitude, je fais tout… sauf le design cette fois. C’est du thriller d’action moderne. Si vous avez aimé « Sicario » vous allez adoooooooorer mon premier tome. J’ai aussi des projets avec Sybille, mais ça ne dépend pas de nous…
Merci à tous les deux!
Titre: Muhammad Ali
Scénario: Sybille Titeux De La Croix
Dessin et couleurs: Amazing Améziane
One Shot
Genre: Biographique, Historique, Sport
Éditeur: Le Lombard
Nbre de pages: 120
Prix: 19,99€
Date de sortie: 25 septembre 2015
Premières planches:
Et quelques extraits pour savourer encore un peu plus:
En bonus, Amazing a tenu à nous proposer une petite suggestion de lecture pour les curieux.
(certains titres ne sont pas sortis mais ils vont être publiés bientôt…)
– Injection de Warren Ellis & Declan Shalvey
– Nowhere Men – Eric Stephenson & Nate Bellegarde
– Hawkeye – Matt Fraction & David Aja (& more…)
– Le voleur des voleurs – Robert Kirkman & Aandy Diggle & Shawn Martinbrough
– Hellblazer : Pandemonium de Jamie Delano & Jock
– Twilight Children – Gilbert Hernandez & Darwyn Cooke
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