La réputation de l’américano-bruxellois Stephen Desberg n’est plus à faire. Se baladant aisément dans l’univers animalier (en témoigne les intégrales de Billy The Cat que Dupuis ressort actuellement) comme dans la drôle de faune des agents spéciaux en passant par des enquêtes ésotériques ou des aventures temporelles entre antiquité et modernité, Stephen Desberg n’a pas chômé pour sa rentrée littéraire et revient avec pas moins de trois nouveautés chez Le Lombard. On vous reparlera du tout dernier tome de Cassio pour se concentrer ici sur les deux nouveautés de la collection Troisième Vague, brûlantes d’actualité… guerrière.
Options sur la Guerre, où va l’argent des trafiquants d’armes?
La première de ces nouveautés n’est ni plus ni moins que le seizième tome des aventures de Larry Max, agent spécial de l’I.R.S. (Internal Revenue Service), d’où le nom de cette série qui au fil des années s’est imposée en incontournable du thriller à la sauce franco-belge.
Dans la suite de ce diptyque entamé avec Plus-Value sur la mort, notre héros et action-man de la fiscalité se retrouve dans de sales draps, toujours au Rwanda. Et alors qu’au pays, son commanditaire, le Sénateur Zabriskie, essuie une tentative d’attentat en pleine campagne qui pourrait le faire accéder à de plus grandes ambitions; l’agent Max découvre très vite que non loin de la jungle des trafiquants d’armes, il ne pourra faire confiance qu’à lui-même et à son « assistante » surentraînée Laroya. Et si la réalité se révèle bien plus complexe que les simples intérêts de marchands d’armes attirés par le profit (quitte à vendre des armes à des ennemis mutuels) et touche aussi la sphère politique à des milliers de kilomètres du continent africain, il se pourrait bien que des « taupes » se soient en plus glissées dans l’univers de Zabriskie. Et pas que pour son bien ni pour la survie de Larry Max.
Une nouvelle fois menée tambour battant par un tandem qui n’a plus à faire ses preuves mais continuent quand même à les faire avec brio, cette suite de l’aventure rwandaise de Larry Max conjugue force de conviction, documentation fouillée et moments de choix entre action et suspense. Le tout toujours aussi bien rendu par le trait réaliste de Bernard Vrancken. N’hésitant pas à sacrifier ses personnages, I.R.S. prouve tout son intérêt dans cette manière qu’ont les auteurs de traiter une actualité certaine (que les médias ne se donnent parfois pas la peine de traiter, la faute à la loi du mort-kilomètres) tout en l’habillant de fiction.
C’est d’un cynisme et c’est à vous fâcher avec l’humain et les puissants de ce monde mais c’est surtout ultra-intéressant. À l’heure où de plus en plus de questions se posent autour de l’avenir de James Bond et de l’identité de l’acteur qui reprendra le rôle, plus de doute pour nous. Le héros de Desberg et Vrancken aurait toute sa place. Si seulement…
Série: I.R.$.
Tome: 16 – Options sur la guerre
Scénariste: Stephen Desberg
Dessinateur: Bernard Vrancken
Crayonné: Daniel Koller
Couleurs: Mikl
Genre: Thriller, Finance, Action
Éditeur: Le Lombard
Collection: Troisième Vague
Nbre de pages: 48
Prix: 12€
Date de sortie: 02/10/2015
Extraits:
Bagdad Inc., dans l’enfer d’une guerre privatisée
Dans la même collection, l’autre nouveauté du prolifique Desberg marque un réel tournant dans « Troisième vague« . Désormais, la collection regroupant quelques séries emblématiques du Lombard – et dont le leitmotiv « Quand la fiction décrypte l’actualité » semble ne jamais avoir été aussi vrai et juste (peut-être parce que la réalité rattrape de plus en plus ce qu’imaginent les scénaristes les plus affûtés) – pourra désormais s’articuler également autour de one-shots! Et les deux premiers auteurs qui s’y sont collés sont Thomas Legrain au dessin et Stephen Desberg au scénario. Une première collaboration qui fait des flammes dans un « après-guerre » irakien où rien n’est cependant gagné.
La guerre, Charlene l’a subie dès sa plus tendre enfance. Un père qui se barre et une mère partie au Kowaït dans l’unique but de payer les étude de sa chère petite fille. Partie et brisée, ravagée, assez que pour vouloir en finir avec sa vie, arme au poing, au champ de bataille intérieur, quand l’espoir s’annihile et que Charlene reste orpheline. Puis, c’est du racisme que la courageuse jeune femme va faire l’expérience quand son copain sera lâchement assassiné. Avec une confiance en l’être humain plus que réduite, la métisse va alors s’engager dans l’armée, bosser jour et nuit pour devenir une juge avocate brillante et implacable, respectable et respectée. Jusqu’au jour où elle est envoyée en mission spéciale à Bagdad, lancée dans la traque d’un serial-killer, boucher plutôt bien organisé. Des crimes qui risquent bien de mettre en difficulté l’ordre tout relatif instauré à Bagdad par les Américains.
Bagdad Inc. fait figure de véritable incursion dans une facette totalement méconnue de la guerre en Irak (mais aussi ailleurs, dans d’autres guerres): sa privatisation. Car si, en 2003, Georges W. Bush peut se targuer d’avoir déclenché une guerre qu’il ne gagnera pas aussi facilement qu’il le pensait, très vite l’establishment américain doit faire face à un problème inattendu: les soldats ne sont pas des robots et leur nombre est plus que limité. Bush n’est pas Jésus, et à l’instar du deuxième le président ne pourra pas multiplier son armée aussi bien que des petits pains. Du coup, l’argent dont son mandat ne manque pas sert à payer de véritables milices privées, des mercenaires sans foi ni loi, dont la force de frappe et de sécurisation n’a d’égal que leur passé trouble de criminels. Bref, beaucoup risquent bien de passer de criminels à héros de guerre. Et y faire fortune. En 2005, les experts imaginent qu’il y avait 100 000 hommes de contingents privés pour 140 000 soldats américains.
Dans ce contexte trouble et souvent sordide où ces mercenaires se croient tout permis, le scénariste tisse habilement le fil sur lequel se baladent chat et souris. Reste plus qu’à savoir qui de Charlene ou du tueur sera la souris, et les choses ne semblent pas être si faciles. L’enquête se déroule avec rythme procuré par le trait réaliste et bien senti de Thomas Legrain qui dynamite et dynamise la lecture de ce Seven à Bagdad: on sent la poussière des déserts traversés, le souffle des explosions et on est horrifié devant les visages d’horreur que sème l’assassin sur son chemin.
Rondement mené (et, surprise!, remis en perspective avec l’histoire du monde depuis qu’il est monde), Bagdad Inc. offre à la nouvelle gamme de one-shots de Troisième Vague, un départ sous haute tension et plus que convaincant!
Titre: Bagdad Inc.
One-Shot
Scénariste: Stephen Desberg
Dessinateur: Thomas Legrain
Couleurs: Benoît Bekaert & Elvire De Cock
Genre: Thriller, Guerre
Éditeur: Le Lombard
Collection: Troisième Vague
Nbre de pages: 80
Date de sortie: 11/09/2015
Extraits: