En près de dix ans de carrière dans la bande dessinée et un peu plus dans la musique, derrière un solide et festif accordéon, Pierre-Yves Berhin (alias Hamo dès qu’il s’agit de signer un album) n’a jamais compté ses efforts et livrant quelques belles pages, déjà, de la bande dessinée Franco-Belge et de la musique à la namuroise (mais pas que). Des affiches de Camping Sauvach à ses bandes dessinées souvent ancrées et encrées dans le siècle dernier, long entretien avec un auteur complet avec des envies plein la tête.
Bonjour Hamo, en l’espace de deux mois (avril et mai), vous avez sorti deux albums en tant que dessinateur, pas mal non ?
Moi, je fais des albums qui ne sortent pas toujours tout de suite. D’habitude, c’est un album et puis l’autre. Mais ici, j’ai plutôt fait les deux en même temps. Ça, plus le fait qu’il y en a un des deux qui a pris un peu de retard, au final les deux sont sortis en même temps. Mais rien n’était voulu. Je pense même que c’est mieux quand il y a 3-4 mois d’intervalle. Mais ici, ce sont deux éditeurs différents et chacun fait en fonction de son propre agenda. J’essaie aussi de ne pas mélanger les choses et eux non plus. Qu’ils sortent en même temps, c’est chouette mais ça ne change pas grand-chose pour moi: à la sortie, je suis de toute façon déjà occupé sur autre chose.
La seule différence, c’est qu’à la limite, en Festival, j’ai deux nouveautés. Les gens achèteront peut-être les deux.
Alors, La Malbête, une histoire tournant autour de la bête du Gévaudan. Comment es-tu arrivé là-dedans ?
J’avais fait l’Envolée Sauvage, son second cycle, dans la collection Grand Angle de Bamboo. Je l’entendais bien avec cet éditeur et il m’a proposé ce projet-là. Au tout début, c’était juste un document word que j’ai pu lire. Ça me plaisait vraiment bien, mais je ne pouvais pas le concrétiser dans l’immédiat puisque je travaillais sur le troisième Special Branch –ça fait donc déjà un petit temps puisque depuis il y a eu deux autres tomes de Special Branch. Il me l’a mis de côté et je me suis retrouvé là-dedans. L’éditeur me voyait bien faire cela.
En s’attaquant quand même à une légende, la Bête du Gévaudan. J’imagine qu’il faut faire un peu gaffe à ce qu’on dit.
Oui, mais ce n’est pas un album historique. J’ai lu le commentaire d’une personne sur un site qui était vraiment remontée parce qu’on trahissait des trucs par rapport à la vérité. Mais en même temps, c’est un sujet sur lequel on aura jamais le fin mot. On sait des choses mais on ne peut plus mystérieuses. Nous, en plus de ça, on ne voulait pas partir dans un truc complètement historique, il y a de l’aventure surtout. Le personnage principal, le petit Barthélémy est purement fictif. J’ai fait gaffe, je me suis bien documenté sur certaines choses mais pour le reste je ne me suis pas plus stressé que ça. Ce n’était pas de l’historique pur.
Par contre, pour Special Branch, même si là c’est vraiment de la fiction, elle s’insère dans des événements qui ont vraiment existé. Pour le coup, dans le cinquième tome, c’est l’Expo Universelle de Paris. Là, il y a moins de place pour la fantaisie.
Avec des personnages réels, d’ailleurs. Comme Ravachol.
Tout ça, c’est sûr, c’est un peu plus contraignant. Mais ce ne sont jamais des séries purement historiques. Ce ne sont pas des bandes dessinées de documentation pour les cours d’histoire.
À côté de ça, on te retrouve toujours dans des histoires ancrées il y a un siècle ou deux siècles. Jamais vraiment contemporaines, c’est là que tu te sens le mieux ?
Oui, quand tu racontes des histoires, soit tu fais des choses historiques, du contemporain ou de la science-fiction, en gros. Moi, c’est vrai que jusqu’ici le contemporain ne m’a pas vraiment botté. Je préfère les univers différents de ce qu’on peut vivre tous les jours, au quotidien. Pour ça, la bande dessinée est chouette. Ça me laissait le choix entre le passé ou le futur. Et, dans l’Histoire, il y a tout un vivier de choses qui existent déjà, que tu ne dois pas créer mais que tu peux te réapproprier. La BD de fiction historique me plaît bien pour cette raison-là. Je peux y explorer des ambiances temporelles différentes et des lieux différents. C’est chouette et propice à plein de personnages, d’enquête…

Mais ça pourrait – et ce sera sans doute le cas dans d’autres projets – être des histoires remontant à bien plus loin qu’un siècle ou deux : du Moyen-Âge, de l’Antiquité, de la Préhistoire. Tout est possible.
Mais, c’est vrai que mon premier album se passait au XIX ème siècle, mon deuxième aussi, ça s’est enchaîné. Noirhomme, Special Branch, L’envolée sauvage un peu plus tard mais jamais que cinquante ans plus tard. C’est fort ramassé mais je n’étais et ne suis toujours pas fermé à faire d’autres choses comme du western. Ici, c’est du hasard mais je pense que quand tu fais quelque chose dans un style, on te catégorise vite. Certains scénaristes m’envoient des scénarios comme ça en me disant « toi qui aimes bien le XIXè siècle ». Inconsciemment, peut-être croient-ils que j‘adore faire ça. Mais je développe des projets sortant un peu de ce siècle-là !
Tu développes, c’est-à-dire, toujours avec un scénariste ou de manière personnelle dans l’écriture aussi ?
C’est un peu la nouveauté, j’essaie d’écrire un truc tout seul. Enfin, il y a plusieurs projets… mais une chose réellement sur laquelle je vais essayer d’enfoncer un peu plus le clou, cet été. Et je verrai d’ici la fin de l’année si le projet est pris ou pas. C’est vraiment la première fois que je veux aller au bout de ce que j’écris. J’ai déjà écrit des choses que je n’ai jamais abouties. L’écriture, c’est comme le dessin, il faut y mettre beaucoup d’énergie.
En tout cas, j’essaie, j’ai un projet perso et deux autres avec deux autres scénaristes qu’on développe et pour lesquels on est en contact avec les éditeurs en vue de futures séries.

Comment travailles-tu avec les scénaristes ?
Il n’y a pas de méthode, c’est au feeling. À chaque série, sa méthode différente, car scénaristes et éditeurs sont différents. Je m’adapte à leur manière et eux s’adaptent à la mienne. Comme une nouvelle collocation. Tu fais les règles en fonction du nombre qu’on est. Avec Roger, c’est assez classique, c’est de l’horlogerie, minutée, tout tient la route sans rien à remettre en question, il écrit tout. Et puis, je dessine et je lui montre.
Sur la Malbête, le scénariste Aurélien Ducoudray a écrit tout le premier album sans le chapitrer, sans découpage. Comme un roman ou une pièce de théâtre. On voit qu’il y a des scènes, des personnages qui apparaissent ou partent, mais sans indication sur les sauts de pages, le nombre de bulles, de cases et ce qu’il s’y passe précisément. J’ai trouvé ça chouette de le faire par moi-même, parce que j’avais un peu plus d’expérience et que c’était bien de m’y coller. Mais, il y avait du coup plus d’allers-retours entre le scénariste et moi, c’était plus compliqué. On doit rechanger les dialogues en fonction des dessins et inversement. C’est plus vivant mais ça demande plus de temps. Et sur Noirhomme, avec Antoine Maurel, c’était encore différent. Je réagissais en direct.
On parlait de timing, des délais parfois compliqués à respecter ?
Oui, mais comme tout le monde, des échéances, il y en a partout. Les examens des étudiants, le chef qui demande où ça en est. Moi, c’est un peu plus trash, c’est vrai. Mes bouclages d’albums sont un peu comme des blocus. Je vois qu’il ne reste plus que quelques mois, alors je speede un peu plus. Et, à la fin, j’en perds un peu ma vie sociale tant j’ai la tête dans le guidon. Mais après viennent les vacances, ouf. Mais c’est positif, ça veut dire que j’ai du boulot et pas mal d’histoires à raconter. Puis, j’aime bien ça, je ne saurais pas travailler deux ans sur un album. Ce sont des histoires faites pour être vite lues, ça ne sert à rien de passer deux ans sur un album lu en vingt minutes. Ça implique les périodes de rush.
À côté de ça, tu as une réelle identité graphique. Quand on voit un de tes dessins, on sait qu’il est de toi. Comment le définis-tu ?
C’est un mélange de tous les ingrédients. Je n’ai pas une influence directe, je n’ai pas un maître de prédilection. C’est un mélange de plusieurs choses. J’imagine que le fait que j’aime faire la couleur moi-même influence aussi l’identité. Après, au niveau du dessin, je me revendique de l’École Franco-Belge, je ne suis pas influencé par les comics ou les mangas. Ce que j’aime moi, c’est du Franquin, du Tome et Janry ou du Gazotti. Mes goûts sont très « École de Marcinelle », Dupuis. Sauf que… je me retrouve dans des maisons d’édition françaises avec des histoires plus historiques. Ça crée le mélange entre franco-belge et style plus contemporain.
Mais, c’est vrai que dans les visages, les mains, la façon de mettre en scène, il y a un héritage franco-belge. Même si c’est une étiquette et que ça ne veut rien dire! C’est Astérix, Tintin… Je ne fais pas partie de la génération des jeunes auteurs qui veulent balayer tout ça.
Ta première BD ?
Je n’étais pas un grand lecteur de BD quand j’étais petit. J’aimais bien mais je n’étais pas né, comme d’autres dessinateurs, dans une famille dans laquelle il y avait plein de BDs dans les bibliothèques. Chez nous, il y avait juste Tintin ! Que j’ai beaucoup lu chez mon grand-père. Et peut-être plus Quick et Flupke. J’ai lu ça parce qu’il y avait ça. Puis, il y a eu les Quatre as, Boule et Bill comme tout le monde. Puis, le Petit Spirou. J’ai découvert beaucoup de choses bien après. Quand je suis rentré Saint Luc.
Des études à Saint-Luc, donc ?
Oui, mais au départ plus pour faire des illustrations pour enfants, des livres pour les tout petits.
Et dessiner, comment ça t’est venu ?
Chez mon grand-père aussi, celui qui avait les quelques Tintin. Il adorait jouer du piano et peindre à l’huile. Je dessinais beaucoup chez lui, puis à l’école aussi. Mais lui m’encourageait. C’est comme le gamin à qui on dit « Tu joues bien au foot », il va continuer. Moi, j’ai eu pareil avec le dessin et la musique. Je dessinais beaucoup, je jouais tout le temps. Mais j’étais plus dans le croquis et la peinture. Je ne racontais pas encore vraiment des histoires.
Puis, à l’heure où certains vont faire du sport, j’ai été aux Beaux-Arts dès onze ans. Je faisais tous les mercredis après-midi de la peinture, des pastels. Je suis devenu plus assidus.
Et comment, d’illustrateur jeunesse, es-tu devenu auteur de BD ?
À Saint-Luc, il n’y avait pas de séparation entre illustration et bande dessinée. Ce qui est le cas maintenant. Mais, ce qui était bien, c’était ce mélange. Il y avait un cours de bande dessinée. J’y ai vraiment découvert ce qu’était celle-ci. C’est un peu cliché, mais tous les garçons de ma classe voulaient faire de la BD et les filles de l’illustration. Moi, j’étais un des seuls garçons à lorgner plus vers l’illustration. Mais à force d’être entouré par mes copains, je me suis intéressé à de nouvelles choses, c’était le boom des Bandes dessinées de Soleil : Lanfeust, Kookaburra… ou les Loisel. Je ne connaissais pas du tout avant, je ne connaissais pas cette bd-là, pour ado/adulte. Et au fil des cours d’anatomie, de croquis, de perspective, je me suis dit : « À force de passer toutes tes semaines durant trois ans, à dessiner mais comment vas-tu vivre de ça ? » La BD me semblait plus complète, avec un certain « marché ». Je l’ai vue comme un métier, j’ai fait des concours – j’en ai gagné comme celui « Jeunes talents » de la Fête de la BD d’Andenne en 2002 – , des rencontres de gars un peu plus âgés que moi qui en faisaient -Stéphane Louis notamment… De fil en aiguille, je m’y suis mis mais ce n’était pas mon rêve d’adolescent.
D’autant que tu n’es pas vraiment arrivé dans le métier à l’Âge d’Or de la BD, révolu depuis longtemps.
C’est vrai, on se le dit beaucoup avec les copains avec qui j’ai fait mes études, mais aussi des gens de Bruxelles, ou de Paris. Ce n’est pas évident mais je pense que, quand je suis arrivé en 2006, il valait mieux que ce soit à ce moment-là que cinq ans après. C’était le moment de l’éclosion de plein de petites maisons d’édition. J’ai eu l’occasion de signer chez Casterman mais si ça n’avait pas été par cette voie, il y avait encore toute une série de possibilités. Je n’avais pas envoyé mes manuscrits chez tous ceux-là, mais j’y avais réfléchi. Il y avait beaucoup de nouveaux éditeurs et beaucoup de collections se sont cassées la figure mais, au moment, où j’arrivais sur mes premiers projets, il y avait plein de possibilités pour rentrer dans le métier. Après…. y rester, c’était une autre paire de manches.
Ce n’est bien sûr pas évident comme marché parce que fort incertain mais quand on sait rebondir, il n’y a jamais eu autant d’opportunité d’en faire. Beaucoup de gens peuvent en faire, très peu en vivent, et encore moins toute une carrière. Mais il y a de la place pour les nouveaux projets, les éditeurs en cherchent. Il faut voir le positif de tout ça, c’est un marché incertain mais très vivant.
La preuve, ça fait presque dix ans que tu es dedans, pas mal, non ?
Oui, pas de regret, je suis bien là où je suis. Le truc, c’est que je n’ai pas démarré trop rapidement, c’est bien de ne pas brûler des étapes. J’ai commencé dans le magazine Spirou avec des histoires courtes. Mais, c’était une sale période avec des restructurations, des gens virés et le rachat par MédiaParticipations. Je n’ai donc pas continué chez eux; pas uniquement pour ces raisons-là. Mais, je suis arrivé à un moment où je sentais que c’était le bazar. J’ai signé chez Casterman puis chez Glénat et chez d’autres éditeurs. Et me voilà, la trentaine, quelques lignes sur le CV et, surtout, je dessine. Donc l’éditeur est là. Le lecteur voit les albums sortir, les histoires continuer. Des trucs se passent, et moi je continue de dessiner et de raconter des histoires. Quand ce sera fini, je ferai autre chose.
Il y a cette appréhension ?
Ce n’est pas une appréhension négative, mais c’est une réalité. Je ne me focalise pas là-dessus. Que peut-on bien se dire ? C’est pareil pour tout le monde encore une fois comme ceux qui travaillaient à Arcelor et se disaient que la métallurgie marchait à crever, qu’ils étaient en sécurité. Du jour au lendemain, c’est fini, il faut se recycler, retrouver du travail. Moi, je ferai pareil.
Mais, franchement, je me le dis de plus en plus, je crois que je fais partie des dessinateurs qui ne dessineraient plus s’il perdait leur boulot dans la BD. Bizarre, non ? Parce que j’aime bien faire ça pour raconter une histoire. Mais si on me dit : « Maintenant, c’est ton hobby, tu dessines juste pour toi. » Je pense que je ne le ferais pas. S’il n’y a pas l’objet qui se transmet et le lecteur qui le lit, ça ne m’intéresse pas. D’ailleurs, dessiner pour dessiner, je ne le fais jamais. Quand je pars en vacance, je ne suis jamais avec mon carnet de croquis à faire des dessins à tout-va et à croquer tout et n’importe quoi. Certains sont des dessinateurs « pur jus ». Moi pas. Si je suis illustrateur, c’est pour illustrer des choses. Le jour où j’en aurai fait le tour et où je n’aurai plus ma place dans l’édition, que le vent aura tourné, je ferai autre chose.
On parlait de ligne sur le CV, la plus belle, c’est Special Branch ?
C’est la série qui bénéficie du plus grand nombre d’albums, en tout cas. Après ça dépend du goût des lecteurs. Mais c’est la série qui a été tirée au plus grand nombre d’exemplaires. C’était prévu pour être une trilogie mais ça a plutôt pas mal marché, donc on continue à faire des one shot. Ils ont eu une réunion éditoriale chez Glénat, c’est un peu du marketing, après laquelle sortait soit un oui soit un non. Et ce fut un oui, pour notre plus grand bonheur.
Après, c’est le même processus pour n’importe quel album. Si l’éditeur aime bien, ça ne garantit rien, il doit se référer à l’avis de toute l’équipe (marketing, service presse, boss…), ils mettent tous les projets sur une table et ils disent «ça c’est oui, ça c’est non… ». Si tu es parmi les chanceux, ils te rappellent ! Ils se basent sur des tableaux de vente, réfléchissent aux stratégies…
Des one shot, un peu nouveau pour toi qui nous habitue à des séries ou en tout cas des histoires en plusieurs tomes.
Oui, mais je n’étais pas contre. Dans l’esprit des BD traditionnelles, j’aime bien ces séries dans lesquelles tu peux piocher n’importe quel tome pour les lire dans n’importe quel ordre. Je rêvais de ça pour Special Branch à terme. Je trouve ça chouette d’avoir ces tomes 4 et 5 en one shot.
Beaucoup de documentations ?
Oui quand même. Le scénariste connaît certaines choses et se renseigne, il lit un tas de choses. Ainsi, je ne connaissais pas cette histoire de foudre géant conçu pour l’Expo de Paris. Je reçois le scénario, tout est bien décrit, je me joue la scène du foudre géant, je sais qu’elle doit tenir sur deux planches et donc je vais voir tout ce que je peux trouver comme images, peintures, gravures. J’étudie tout ce que j’ai comme éléments visuels et comment je peux les agencer dans la scène. Je me documente comme ça.
Souvent je lis tout le scénario et j’écris dans les marges les mots-clés sur lesquels je vais baser ma documentation. Je vois rapidement si j’ai ce qu’il faut ou pas. Le danger étant de tomber sur un truc pour lequel je ne trouverais rien pour imaginer à quoi il ressemblait. Après, ce n’est pas du cinéma, en BD on peut toujours tourner les choses à son avantage. Comme du théâtre avec des décors en carton. Tu peux tourner l’angle dans le sens que tu veux et tu fais illusion. Ça rejoint ce que je disais, je ne fais pas de la BD purement historique. C’est documenté mais j’arrive toujours à tourner la documentation que j’ai à bon escient.
Dans ce cinquième tome, un thème d’actualité, l’anti-terrorisme.
Oui, et par pur hasard. L’album est sorti deux-trois mois après les attentats à Paris mais était écrit un an à l’avance. Je me le suis dit. Mais après, sur le propos politique, il n’y a aucun rapport. Mais ceci dit, il y a quand même quelques éléments en commun. Après, si tu sautes sur le moindre prétexte pour créer le buzz en disant « Regardez, c’est dans l’air du temps », ça peut vite devenir malsain.
Toi qui es dessinateur, quel a été l’effet de l’attentat de Paris sur toi ?
Comme tout le monde, choqué, triste mais sans avis outre-mesure. Plus amorti et sous le choc. Pas de ressenti personnel particulier. C’est ce qu’on s’est dit avec des copains: on ne fait pas le même métier. Moi, je ne donne pas mon avis à tort et à travers sur tout, mais certains l’on dit : « Nous on est bien content de pouvoir faire de la BD de fiction dans un cadre de liberté d’expression mais on sait qu’au front sont ceux qui nous protègent – Charlie Hebdo… – et qui sont beaucoup plus virulents. » C’est peut-être grâce à eux que nous pouvons agir dans un périmètre sécurisé. Si on interdit les caricatures, après ce sera autre chose puis encore autre chose, jusqu’au jour où quelqu’un ouvrira mes albums et dira « Ah non, ça on ne peut pas ». On est conscients que les caricaturistes et le dessin de presse en général, même si c’est une branche cousine à nous, ce n’est pas le même métier. Je ne fais pas de la bande dessinée engagée. Je ne me sens pas en danger en tout cas. Mon ressenti, c’est que j’assume complètement et de plus en plus que je dessine pour la distraction, la légèreté et le divertissement. Tout en ayant un grand respect pour ceux qui font un autre usage du dessin et je suis choqué de ce qui a pu se passer.
Mais je pense que les gens ont besoin de plein de choses différentes en matière de dessin. Et notamment de s’évader. Et pour ça, la BD historique est chouette, pour faire découvrir des personnages, une époque, des régions… C’est ma vocation d’illustrateur.
Pierre-Yves à l’accordéon, on va y venir, mais Hamo au dessin. Pourquoi Hamo ?
Tout simplement parce qu’à 20 ans quand j’y ai songé, je n’avais pas envie de mettre mon nom de famille comme signature d’auteur BD. Tout simplement parce que quand les gens disent aimer Franquin, Loisel, Bilal ou d’autres, je trouvais ça bizarre d’appeler les gens par leur nom de famille. « Berhin, j’aime bien », Berhin ceci, ça ne me plaisait pas. Et le pseudonyme, c’est très francobelge, avec un côté sympa, plus facile à retenir. Moins scolaire comme dans les années scolaires quand on disait « Berhin viens ici ». C’était plus sympa d’en changer.
Hamo, alors d’où ça vient ?
Ça vient d’un délire de mes amis à l’école de dessin. Ils m’avaient surnommé comme ça du nom d’une veste rouge et très spéciale que je portais. Ils m’avaient fait croire que c’était la marque emblématique d’un certain mouvement dont je ne me proclamais pas du tout. Il n’en était rien et j’ai découvert le pot-aux-roses en râlant, du coup. Maintenant, je la ressors encore parfois, mais maintenant les copains pensent que je l’ai faite à mon nom. C’est un clin d’œil à mes années d’étude, puis, ça sonnait bien !
Je vois sur ta table tes séries traduites en néerlandais ! Pas mal pour un auteur « Franco-Belge » !
Mais les Néerlandais et Flamands sont très friands de bandes dessinées franco-belges. Ils ont une culture de la BD aussi, avec Bob et Bobette et tous les autres. Mais ils sont de plus en plus ouverts à la BD franco-belge. Et j’ai la chance que mes deux éditeurs aient pu faire traduire mes albums. C’est de la revente de droits en fait. Ça devient De Wilde vlug pour L’envolée Sauvage et Special Branch est resté Special Branch. Noirhomme avait été traduit en allemand. Mais ça se fait beaucoup, la traduction. En Italien aussi. Moi, ce n’est qu’en Néerlandais, pour le moment. Et j’aime bien, je me débrouille en Néerlandais, je rencontre mes lecteurs étrangers. Puis, c’est vrai que symboliquement, ça grappille un autre territoire. Et comme le but est de faire lire, quand la traduction est possible, c’est encore mieux !
Tu travailles sur palette graphique, donc ?
Noirhomme, tout était sur papier, vraiment à l’ancienne, tout au même format, sans remettre ma méthode en question. Je garde précieusement les planches et j’aime bien les revoir. On y voit encore certaines découpes, le travail opéré dessus.
Le tome 1 de Special Branch, j’ai fait un mix des deux, du papier et de la palette graphique. Je créais sur papier, je scannais et je retravaillais sur pc. Pour le tome 2, je suis revenu au crayon et sur papier. Et à partir du tome 3, j’ai tout fait sur ordinateur… enfin… avec des allers-retours. Maintenant, tout peut se faire sur ordinateur.
Ça a son importance, je pense vraiment faire partie de la génération qui a vu émerger les outils infographiques. C’est bien de constater ce renouvellement, de se dire que 20 ans auparavant, ça n’existait pas et qu’aujourd’hui, c’est tout à fait normal. Du coup, il a fallu s’adapter. Au départ, on dessinait sur une tablette graphique à côté et ça apparaissait sur le côté. Pour les couleurs, ça allait, mais pour le dessin… je ne trouvais pas ça naturel. Et, depuis qu’il y a la Cintiq, je me suis remis dessus, c’est l’outil de référence, le modèle qui reprend les technologies dont j’ai besoin. Il y a eu plein d’essais mais quand la Cintiq est sortie, on s’est dit : « C’est le truc qui va tenir des années et ce qui sortira après, ce ne seront que des variantes. » Et je l’ai achetée. Super-chère mais comme je n’avais pas de voiture pour aller au boulot, que je ne louais pas de surface pour travailler, c’est mon outil de travail au quotidien.
Je fais absolument tout dessus. Là, je fais du découpage. Je reçois le scénario sur un document, avec les différentes cases qui sont délimitées. Je copie les dialogues, les colle en préparant mes cases. Je commence à crayonner dedans et je storyboard. Mais, entre chaque étape tout peut se faire sur papier comme il y a le scanner comme intermédiaire. Je peux par exemple faire un story-board sur papier et après le scanner. Je fais des allers-retours entre les deux.
Et tu utilises quel logiciel ?
Photoshop. Ce n’est pas prévu à la base pour ça, mais ça marche. Il y a aussi Manga Studio qui est prévu pour avec pas mal d’outils vraiment faits pour la BD. Mais Photoshop est complet pour tous les domaines, y compris la BD même si l’interface n’est pas prévu pour. Au final, les deux reviennent plutôt au même. Je crois même fonctionner sur la méthode de Manga Studio mais avec Photoshop. Ainsi j’ai un calque avec un cache qui vient cacher l’arrière-plan, je peux dessiner entre les cases, ça ne se verra pas. Puis, il y a les bulles qui viennent se poser au-dessus. C’est très hiérarchique, tu es à l’intérieur de la planche, c’est encore plus simple que sur papier.
Aussi pour la documentation, je l’intègre dans mon décor, je « décalque », je prends la Tour Eiffel, je la transforme manuellement, la remets en perspectives et je l’intègre. Avant il fonctionnait comme ça avec des agrandisseurs, des rétroprojecteurs, des découpes dans le papier aussi d’un personnage.
Disons que ça offre plus de latitudes qu’avant mais ça reste de la BD et respectueux de la manière d’en faire. Après il y a un autre cran, certains font de la 3d, anime leurs personnages pour une lecture sur internet.
Et dans un autre style, il y a l’accordéon.
Oui ! J’ai des nouveaux projets. Avec Those fucking bells, notamment, des gens de la région, notamment Yves Dulieu qui est fan des Pogues. Il a voulu monter un groupe de reprise des Pogues. Mais, très vite, on a commencé à composer. C’est devenu un grand groupe, on est huit, comme aux débuts de Camping Sauvach.
Je compose beaucoup pour ce groupe-là, j’amène des idées. Je pensais arriver et me poser sur ce truc-là. Mais j’ai découvert ce style-là, l’irish pub song, et je me suis prêté au jeu. Et on propose depuis plus d’un an des chansons à boire irlandaise. Je me marre vraiment bien. Ça c’est le projet principal.

Mais j’ai aussi rejoint Les Déménageurs, un groupe pour enfants qui tourne pas mal. Je ne suis pas titulaire et ça m’arrange bien, je fais des remplacements, c’est confortable, mais ça demande du boulot : il faut jouer, chanter, il y a des petites chorégraphies et le nouveau spectacle est plus évolué que les précédents. Un chouette challenge pour moi.
Enfin, j’ai un tas de compos perso que j’ai envie d’enregistrer. J’ai un peu de matériel pour ce faire et l’idée serait de faire un album solo, mais ça traîne un peu vu que ce n’est pas la priorité. Mais le jour où je le ferai il faudra que j’aie pris le temps de le faire. Ce sera une douzaine, voire une quinzaine de chansons avec l’accordéon en lead et pas mal d’instruments en accompagnements. Ce sera du folk instrumental, ce qui, je l’accorde, n’est pas très commercial. Beaucoup d’accordéonistes font du jazz ou de la musique du monde, moi j’ai toujours utilisé mon accordéon pour des genres plus populaires, la chanson française, de la musique festive, du rock, de la chanson pour enfants. Des trucs appliqués et pas de l’accordéon pour faire de l’accordéon. Ici, je vais justement essayer de revenir à ça mais avec des orchestrations plus modernes que le jazz ou le traditionnel, avec de l’acoustique, de l’électro.
Quels sont tes influences dans tout ça ?
Tout et rien. Parfois, c’est comme la BD, je cherche un terrain de jeu, comme avec les Fucking Bells, du « à la Pogues » alors que je n’y connaissais pas grand-chose. Je me documente, je fais un exercice de style. Avec Camping Sauvach, quand on a créé ce groupe, je voulais faire quelque chose dans la veine des Ogres de Barback mais plus rock’n’roll ou comme la Rue Kétanou mais en plus acoustique. J’ai mes références mais je n’en fais pas des influences. Comme en BD, je n’ai pas voulu faire du Loisel ou du Janry, plus alors du polar victorien ou de l’aventure médiévale. Dans ce paramètre défini, j’essaye de voir comment je peux m’amuser.
Et avec mon projet solo, c’est le paramètre le moins défini: ce sera mon projet, pas celui de quelqu’un d’autre, ça ne s’inscrira pas dans un courant commercial préexistant. Ce sera moi et la manière dont je joue depuis des années, et un challenge d’arriver à le graver sur cd. Ce n’est pas évident, c’est peut-être pour ça que ça me prend des années.
Quel regard portes-tu sur Camping Sauvach ?
Ah, maintenant, un beau regard, de la nostalgie mais positive. Je suis assez nostalgique de manière générale, je garde les photos, les découpes de presse, les affiches en Italien. Nostalgique mais positif, car c’est toujours remplacé par de nouveaux projets.
Après, pendant un certain temps après la fin de Camping Sauvach, j’ai eu des regrets, parce que je n’étais pas résigné à ce qu’on arrête. J’ai cherché des solutions pour continuer, jusqu’au bout, j’aimais bien ce qu’on faisait. Il y a un an et demi, j’aurais été amer et j’aurais cherché à éviter le sujet pour trente-six raisons. Maintenant, j’ai d’autres trucs, je suis content d’avoir vécu ça.
À trente-deux ans, quand je fais le bilan de ma vingtaine, je suis heureux, j’ai voyagé, fait des rencontres, joué mes propres morceaux avec mon instrument de prédilection depuis que je suis tout petit. J’ai parfois été payé pour le faire, on m’a appelé pour des concerts. C’est extra. Tu n’as la vingtaine qu’une fois dans ta vie. Une fois que c’est passé, c’est passé. Je préfère, à trente-deux ans, me dire que j’ai passé mes vingt ans à faire des chouettes trucs avec Camping que de n’avoir rien fait.
C’est vrai que parfois, j’aimerais bien relancer la machine, mais ce serait différent, on a tous pris des chemins différents. Des attentes différentes aussi. Mais il y a l’envie de nouvelles choses pour remplacer. Ça aide à se souvenir de manière positive.
Mais c’est vrai qu’à la période faste, on était pris tous les week-ends, d’une foire aux boudins à une grande scène, à Houte-Si-Plou ou St Petersbourg. C’était génial quand on faisait tout le temps des fêtes, Fêtes de Wallonie, Fête de la musique, Fête nationale. On était à un âge où plein de choses étaient à vivre. Je râle toujours quand je vois des gamins qui ne font rien, tout n’est pas toujours possible, mais ne rien faire, c’est triste.
L’accordéon ?
J’ai commencé à six ans, un flash. Un copain de mon papa en jouait, et c’est ça que je voulais faire.
Avant l’âge où on rêve des rockstars, c’était l’accordéon !
Oui, c’est ça. Mais, à douze-treize ans, je sentais que la manière dont on me l’apprenait me fatiguait, très et trop traditionnelle. À l’adolescence, ça devient un peu ringard, je ne pouvais plus m’amuser là-dedans. Donc, j’ai un peu arrêté. Et très vite, je me suis posé la question que tu viens de me poser. À l’adolescence, j’ai commencé à composer. Et vers 18-19 ans, j’ai joué avec des musiciens en Flandre de la folk-fusion. Et là, j’ai eu la chance de me dire que l’accordéon, je pouvais l’amener vers autre chose, que ce n’était pas que cornemuse, violon etc.
Et, à 21 ans, je démarrais Camping Sauvach avec vraiment cette envie de faire ce qu’on a fait après : venir sans complexe avec l’accordéon sur scène et faire danser les gens sans qu’ils ne se disent : « Oh tiens, un accordéon sur scène, comme c’est marrant ! » Ce qui compte avec cette musique, c’est l’énergie que tu y mets.
N’y-a-t-il pas un retour de l’accordéon sur la place publique et festive ?
Il y a toujours plein de retours. On me fait souvent la remarque « Tiens, c’est le retour de l’accordéon » mais c’est le retour tout le temps. Il y a toujours des gens qui font des chouettes trucs. Le vrai revival a eu lieu dans les années 80 avec beaucoup de gens qui s’y sont intéressés. L’accordéon bal musette est ressorti de nulle part pour devenir diatonique et folk. Ce phénomène, je l’ai connu quand j’étais gamin. Mais depuis, il y a toujours eu plein d’initiatives de mélange de musiques traditionnelle et moderne. Urban Trad par exemple. Les retours sont constants et sous plein de formes différents.
Finalement, quand on te voit seul à ta table de dessin, la musique n’est-elle pas un moyen de s’évader ?
C’est clair, c’est pour ça que si je n’ai pas un livre à dessiner, je ne dessine pas. Pour la musique, c’est pareil, si je n’ai pas un concert ou un projet, des gens à qui la faire écouter, je n’en joue pas. J’aime bien jouer mais pas tout seul; je veuxsortir, rencontrer des gens. D’où ce besoin de jouer de la musique qui m‘amène à rencontrer des gens. Je ne serais pas doué, par exemple, pour un truc tellement intimiste qu’il impliquerait de jouer dans une petite pièce avec cinq spectateurs. Ça ne m’intéresserait pas, pas pour le moment.
C’est vrai que la musique, pour le moment, j’en joue un peu moins, j’ai ma petite fille, beaucoup de boulot en BD, des travaux à la maison. Mais je sais que ça va revenir. Ça me permet de voyager, de faire des concerts dans des bonnes conditions. J’ai parlé avec un guitariste flamand, il me disait : « Tu sais quand j’avais ton âge, j’ai aussi eu une petite fille, je ne jouais plus beaucoup, j’étais frustré à coté de l’énorme plaisir d’être père. Maintenant, elle a 18 ans et je suis tout le temps sur les routes. Mais on se voit !» La musique, ça doit aller et revenir, enfin j’espère, c’est bien la musique.
Ton plus beau souvenir musical ?
Un seul ! Ouf… Ohlàlà… Il y a plein de trucs, ça pourrait être Esperanzah, le Verdur pour l’aspect local. Ça, c’est chouette quand tu as cet âge-là, que tu as tous tes amis, leurs potes, toute la région qui vient te voir jouer le truc que tu aimes vraiment bien faire devant 3000 personnes. On en parle encore des années après. On aurait pu faire des dizaines de petits concerts, on n’aurait jamais le résultat qu’on a eu en faisant un Verdur ou un Esperanzah. À ton échelle, chez toi, dans ta génération, ça marque. Tu étais en concert chez toi ! Un super souvenir.
Mais sinon le Québec avec Camping Sauvach. Ça peut être des choses très différentes. Des bons souvenirs j’en ai plein, je me dis souvent que c’est chouette ce que je fais.
Floreffe ?
J’y suis depuis quatre ans. J’aime bien, je venais d’un peu partout dans les environs de Namur. Ici, pour s’établir, être plus fixe, Floreffe, c’est très bien. J’ai habité en ville, à la campagne, ici on aime bien le mix entre les deux. C’est facile à expliquer et à localiser quand on y invite des amis. Puis il y a la brocante, Esperanzah. Avec des enfants qui vont à l’école, Floreffe c’est simple, pour avoir des copains dans le village. On peut aller se promener avec le chien, c’est calme.
Merci beaucoup Pierre-Yves/ Hamo pour ce chouette entretien!
Vous pouvez visiter l’atelier de Pierre-Yves Berhin grâce à une vue panoramique et à 360° réalisée par le photographe Alain Hamblenne, il y a quelques mois.
Voilà également l’article que j’ai réalisé dans les pages du journal L’Avenir.
Quant aux albums:
Titre: La Malbête
Tome: 1 – Monsieur Antoine en Gévaudan
Scénariste: Aurélien Ducoudray
Dessin et couleurs: Hamo
Genre: Aventure, Mystère
Éditeur: Grand Angle
Nbre de pages: 48p.
Prix: 13,90€
Date de sortie: le 01/04/2015
Extraits:
Série: Special Branch
Tome: 5 – Paris la noire
Scénariste: Roger Seiter
Dessin et couleurs: Hamo
Genre: Aventure, Espionnage, Enquête
Éditeur: Glénat
Collection: Grafica
Nbre de pages: 48p.
Prix: 13,90€
Date de sortie: le 06/05/2015
Site: Page Facebook
Extraits:
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