C’est une formidable enquête qui sort ces jours-ci aux éditions Les Arènes: Les évaporés du Japon, enquête sur le phénomène des disparitions volontaires, de la journaliste Léna Mauger et du photographe Stéphane Remael. Léna Mauger, on la connaît pour oeuvrer dans la bienvenue revue XXI. Revue dont le rédacteur en chef Partrick de Saint Exupéry lui a donné l’opportunité, la confiance et la chance d’effectuer son premier reportage au Japon. C’est ce qu’elle nous expliquait lors d’une rencontre avec l’équipe XXI à Namur: « Je ne savais pas à qui proposer cet article d’enquête sur ces gens qui disparaissent au Japon, abandonnent leurs familles et ne laissent aucune trace. Cette enquête reposait sur des expectatives, je ne savais pas ce que je pourrais trouver là-bas et si je pourrais ramener matière à un sujet. Mais je voulais le faire. » Journaliste pour différents journaux, aucun de ceux-là ne lui permettra de faire ce voyage sans les garanties que Léna ne peut leur donner. Convaincue de son rêve de fuite (pas aussi inéluctable heureusement que les sujets de son reportage, Léna rencontre Patrick de Saint Exupéry, dans son bureau aux quatre vents et garni de grandes baies vitrées. « J’étais convaincue qu’il ne me laisserait pas partir. » La vérité se montra plus clairvoyante et Léna partit, sans parler un mot de Japonais mais bien décidée à faire la lumière sur ces disparitions et évaporations. Elle a eu raison, ce dont elle a accouché est un formidable témoignage. D’abord, en article pour XXI, et maintenant en livre, Les évaporés du Japon est bien plus qu’un regard sur un phénomène de société. Non, il en dit long sur cette société du pays insulaire, sur sa culture.
Une culture qui résolument ne laisse pas place à l’échec, un affront, une tare impardonnable qui ne laisse place qu’à la fuite, même pas celle en avant, la fuite qui bien souvent mène à la misère et laisse aux proches, le déconfort de la tristesse et du désespoir. Car ils sont nombreux, 100 000 japonais chaque année à s’évaporer (en plus des 85 000 cas signalés par la police!): de l’étudiant qui rate un examen à l’employé subitement viré, en passant par la femme mariée à un homme qui ne lui plaisait pas par la force de sa famille. Léna Mauger réussit le tour de force de retrouver des professionnels de l’évaporation (des déménageurs de vies) mais aussi certains évaporés, de leur mettre un nom, de leur rendre une vie, une personnalité noyée dans des quartiers propices à l’anonymat. Mais elle ne s’arrête pas là, toujours dans la pudeur, elle parle aux familles toujours dans l’incompréhension et payant parfois des sommes folles (l’équivalent de 400-500€/jour) à des détectives pour retrouver les disparus. Mais élargissant son propos, au risque de le perdre parfois un peu, Léna Mauger va également rencontrer un détective « bénévole » et frôler le monde de la mafia, des yakusas. Des témoignages, des portraits souvent porteur d’émotion pour nous occidentaux, alors que le Japon est un pays où les larmes sont malvenues, des faubourgs de Tokyo aux falaises de Tojimbo, haut lieux des suicides, attirant des milliers de cars de touristes.
Et le photographe Stéphane Remael qui a souvent eu besoin de s’évader, signe des photos baignant dans l’instant prégnant, traduisant bien ce passage entre le connu et l’inconnu, ce monde des ombres. Ses photos renforcent le propos, et ses prologue et épilogue brillants. Les évaporés du Japon est une grande enquête qui visite le Japon et ses affres, fait échos à l’échec, à nos échecs, et à nos envies de fuite parfois. Brillant!
16/20
Léna Mauger et Stéphane Remael, Les évaporés du Japon, Les Arènes, 258 pages, 20,90€.
Très sympathique comme blog !
C’est très gentil, merci 🙂