La mécanique de l’ombre, François Cluzet fait sa Loi du Marché en pays espion

Un film d’espionnage made in France! Avouez, ça ne tombe pas toutes les semaines sur nos écrans. Ces dernières années, certains s’y sont risqués avec plus ou moins de succès, avec de bonnes surprises mais aussi d’amères déceptions. Et résolument, c’est à la première catégorie qu’appartient La mécanique de l’ombre du jeune réalisateur Thomas Kruithof avec un François Cluzet une nouvelle fois sidérant de justesse et de charisme.

Duval n’a pas de prénom. Tout juste a-t-il un nom assimilé à un numéro prêt à être croqué dans la mâchoire des assurances pour lesquelles il travaille. Et aujourd’hui, c’est le jour J, son supérieur, l’air méprisant, vient de lui demander de réunir tous les dossiers d’un même projet pour le… lendemain. Une mission impossible que Duval va prendre à coeur le temps d’une nuit interminable et pourtant si courte, nageant dans cet océan de solitude fait de chaises, de bureaux et d’une île de feuilles de papier à démêler. Rien ne viendra le secourir, pas même le technicien de surface surpris de l’immense bordel qui règne désormais dans ce gigantesque désert inhumain. Vous croyez tenir le fil de l’histoire? Que nenni, ce n’est que le début de la descente aux enfers de Duval, hanté par le burn-out, viré peu après, mis au chômage à 50 ans. Un âge raisonnable qui pourtant ne garantit plus un job, que du contraire. L’homme sans histoire a trouvé matière à cauchemars dans l’alcool et n’en dort plus. Mais il ne laisse pas tomber les bras. Décalé mais combatif.

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Et puis, un jour, l’improbable, une rencontre avec un lointain ami (Philippe Resimont) et le téléphone qui sonne. Qui sonne à une heure où l’on n’appelle plus. « Je vous appelle pour une offre d’emploi. (…) Nous cherchons un profil comme le vôtre pour un poste à pourvoir très rapidement. » Une aubaine. Et si, à l’autre bout du fil, le mystérieux M. Clément (effrayant et glaçant Denis Podalydes) ne s’épanche guère, un rendez-vous est fixé le lendemain, un improbable samedi, dans la Tour Topaze à la Défense. Les questions sont dérangeantes, déstabilisantes, « N’êtes-vous pas patriote? », mais Duval tient sa première victoire depuis longtemps: il va travailler dans l’intérêt de ses compatriotes dans un organisme de surveillance de personnes « pouvant être dangereuses pour la France ».

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Et tant pis si la tâche implique une rigueur loufoque. Dans un appartement ne comptant pour ainsi dire qu’un bureau et une machine à écrire, Duval va devoir retranscrire, à la virgule près, d’obscures conversations. Sans queue ni tête, parfois, sans aucun intérêt, plus que souvent. Mais qui paye bien: 1500€/ semaine. Et pourtant, l’homme qui surveille en vient même à être surveillé par Gerfaut (un Simon Abkarian aux airs louches comme il sait si bien les prendre). Pas l’air fréquentable le gaillard, mais Duval doit aller jusqu’au bout, envers et contre lui, plongé un peu plus dans un complot politique à chaque lettre tapée sur sa machine ancestrale. Et suivre Gerfaut à contrecoeur. L’éternel recommencement, l’engrenage infernal dans lequel Duval est à nouveau réduit à être un maillon décidément bien faible. Et qui sait si l’inspecteur Labarthe (Sami Bouajila, redoutable) et la douceur de Sara (Alba Rohrwacher, sensible) ne le feront pas chuter encore plus?

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Si on osait la comparaison, on dirait que La mécanique de l’ombre tient un peu d’une Loi du Marché qui aurait versé dans l’espionnage. Dans son désespoir premier de chômeur qui ne demande qu’à travailler, Duval est jumeau de Thierry Taugourdeau, le personnage incarné jusqu’à la désincarnation par Vincent Lindon. Deux personnages profonds (ne fût-ce que dans leur regard) qui, dans le nouvel élan procuré par le nouveau job qui leur arrive, vont acquérir un certain pouvoir. La surveillance directe dans une grande surface pour Thierry, la surveillance indirecte et insondable pour Duval. Un pouvoir bien dérisoire  tant les deux héros ne sont finalement que de vulgaires et fragiles jouets dans la main de ceux qui les dirigent. Manipulables et piégés.

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Avec le très 70’s La mécanique de l’ombre (tourné dans un Molenbeek qui prouve tout son potentiel cinématographique), Thomas Kruithof signe un premier long-métrage audacieux tant il joue de la dosette pour le bien de sa crédibilité. Assez de rythme que pour ne pas endormir le spectateur, mais pas trop pour ne pas en faire un film d’action. Social mais pas trop Dardennien. Psychologique, aussi, mais pas assez que pour engluer les personnages. Sans oublier un aspect « huis-clos » qui étouffe le personnage incarné par François Cluzet. Souvent abonné aux rôles d’hommes en péril (tout en trouvant à chaque coup des rôles différents et innovants dans sa carrière), Cluzet prouve, une nouvelle fois, qu’il est le monstre sacré qu’on a eu tendance à négliger avant le succès de Ne le dis à personne et, encore plus, d’Intouchables. Impeccable et profond, le sexagénaire campe un homme tout en failles et en solidité. Un anti-héros auquel il est facile de s’identifier. D’autant plus qu’en cinq premières minutes magistrales, Thomas Kruithof installe un malaise qui va perdurer tout le film durant.

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Servi par un casting infaillible, La mécanique de l’ombre est bien plus qu’un film d’espionnage à suspense dont il est impossible d’envisager la fin, c’est une oeuvre dans le moule de l’air du temps qui laisse peu de chances au héros, pardonnable autant qu’impardonnable. Un film cruel dont la musique (intense dans les mains de Grégoire Auger) continue de trotter dans les têtes. Il faudra suivre de près Thomas Kruithof, talent pur et intrigant, dans les années à venir.

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la-mecanique-de-lombre-de-thomas-kruithof-francois-cluzet-denis-podalydes-sami-bouajila-afficheTitre: La mécanique de l’ombre

Réalisateur: Thomas Kruithof

Acteurs: François Cluzet, Denis Podalydes, Simon Abkarian, Sami Bouajila, Alba Rohrwacher, Philippe Résimont, Bruno Georis…

Genre: Thriller politique d’espionnage, Drame, Psychologique

Pays: France/Belgique

Durée: 1h33

Date de sortie: le 11/01/2017

Distribution: Ocean Film (France) et Telescope Film Distribution (Belgique)

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