Puisque nos puissants, grands enfants, croient au Père Noël et ont pris leurs rêves pour des réalités, le grand Saint-Nicolas de Thierry Van Hasselt met des coups de crosse à leur monde à feu et à sang

Âmes sensibles et petits enfants s’abstenir. Si les enseignes commerciales et le mythe de la surconsommation ont fait de saint Nicolas un benêt oui-oui et un prometteur de beau jour, le 6 décembre, l’histoire originelle n’était pas piquée des vers. Chez Frémok, ce n’est ni plus ni moins que le patron, Thierry Van Hasselt, qui prend les choses en mains (et pas que des mandarines et des speculoos) et secoue le cocotier. Emmené dans notre monde, son saint Nicolas cyborg tire à vue et devient un pire cauchemar.

© Van Hasselt chez Frémok

Résumé de La véritable histoire de Saint-Nicolas par Frémok : Saint Nicolas arrive chaque année le 6 décembre : un vieil homme blanc, un ecclésiastique à barbe blanche dans un bel habit rouge, avec sa mitre et sa crosse… Depuis des générations, il passe par la cheminée et dépose des cadeaux dans les chaussures des enfants sages. Les enfants belges croient encore en cette histoire ancienne, puisqu’ils peuvent s’asseoir sur les genoux d’un vieil homme postiché au centre commercial du coin… Dans certaines régions de France, en Allemagne et en Hollande, il est attendu aussi. On peut lui envoyer sa liste, se faire prendre en photo avec lui… La légende originelle du saint patron des enfants est moins lisse : il sauve les enfants de la prédation des hommes, cupides et cannibales… Dans un monde qui prépare les jeux olympiques mais fuit les feux de forêts, où la police tue des enfants et où un ministre de l’intérieur interdit tout rassemblement pour la justice et l’écologie, l’anachronique bonhomme a-t-il encore quelque chose à offrir aux gosses ? Oui ! Saint Nicolas traîne ses bottes sur les routes embouteillées, dans les forêts polluées et les zones sinistrées. Il regarde devant lui. Il arpente l’anthropocène déglinguée, il trottine de la ville à la campagne, d’utopies concrètes en camps de fortune. Partout où il passe les enfants trinquent… qui se soucie d’eux ? Le vieillard reste calme. Mais ça chauffe sous sa mitre ! Saint-Nick bouillonne et mute… sa colère le métamorphose et nous embarque dans une fable furieuse et vengeresse, rédemptrice, jouissive. Diablement effrayante aussi.

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© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok

« Oh grand saint Nicolas, patron des va-nu-pieds, apporte-moi de l’essence pour mon petit brasier. J’aurai toujours la rage pour mettre les tyrans en cage, J’apprendrai tes leçons pour rendre le monde moins con… Venez, venez saint Nicolas, venez venez… » L’incantation de Thierry Van Hasselt a semble-t-il fonctionné. Et le grand saint est arrivé dans notre monde sinistré. Et il a fait le ménage.

© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok

Après l’avoir rencontré, dans une précédente aventure hallucinée, Vivre à Fran-Disco, Thierry Van Hasselt a donc décidé de consacrer un album entier (168 pages, format souple) au périple sanglant, 2.0, de l’homme à la barbe blanche et à la mitre. Au corps d’acier trempé… Ben oui, comment voulez-vous qu’il ait traversé les siècles sans avoir recours à la chirurgie mécanique. Il a plus d’un tour dans son ventre, là où il pourrait être démuni. Après tout, des drones pourrait bien faire son travail, faufiler des jouets made in China dans les cheminées qui sentent le soufre. Bon, ces drones-là ont d’autres chat à fouetter, surveillance, répression.

© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok
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Avec de grandes cases (deux, trois, quatre mais jusqu’à 320! – un record?) par pages, Thierry Van Hasselt reprend la légende cruelle et saignante de saint Nicolas et la transpose dans notre monde encore plus violent et dégénéré, aux mains de puissants grands enfants qui croient au Père Noël (et à la poudre de perlimpinpin), ont pris leurs rêves pour des réalités. Et ont oublié l’intérêt commun, sacrifiant, violant, mangeant la jeunesse, qu’elle vienne d’ici ou de l’autre côté de la Méditerranée. Croisant le sort tragique des migrants (qu’ils perdent la vie en mer ou arrivent sous une tente de fortune dans nos villes), le dérèglement climatique et tant d’autres thèmes que nos dirigeants mettent sous la carpette avant d’aller dîner avec leurs pairs lors de soirées mondaines (Bart de Wever, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Trump, Poutine, Bezos, Georges-Louis Bouchez – pour les Belges qui nous regardent – et consorts, ils sont tous là, mais aussi les thèmes bouillants du moment: sécurité, inondations, fièvres et épidémies, enjeux économiques et énergétiques, culture intensive, modification des sols et des paysages, tout à l’ego), intouchables. Jusqu’à ce que ce fou furieux de Saint-Nick remette de l’ordre, sème la mort et la terreur.

© Van Hasselt chez Frémok
© Van Hasselt chez Frémok

Dans cet album majoritairement muet mais au dessin et aux aquarelles criantes, hurlantes voire malaisantes, Thierry Van Hasselt signe un road-trip dantesque, qui remet les idées en place, donne des envies de meurtre avant de s’aventurer vers l’horizon poétique. La violence est-elle gratuite, non elle est graphique, coup de poing. Mais si Van Hasselt brûle tout sur son passage dans une désolation au rotring et aquarellée sans temps mort, il espère tout recommencer quelque part avec de l’innocence, de l’insouciance mais plus d’écoute des besoins du monde, il épate par sa liberté de ton, sans limite, à l’heure où beaucoup répètent dans les médias qu’on ne peut plus rien dire. Au fond ce que Saint-Nic, le père Noël, les Cloches et les autres pourraient apporter à nos enfants comme cadeau, c’est surtout que l’espoir d’un bout de monde meilleur ne soit pas anéanti.

© Van Hasselt chez Frémok
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À lire chez Frémok.

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