Les jeux de pistes de Pascal Regnauld, d’un Trou de mémoire qui force à sortir de sa zone de confort aux voyages de Pierre Loti, ode à l’humanité multiculturelle

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

Alors que, depuis le décès du regretté Benoît Sokal, il n’est pas sûr que le Canardo remette son imper et sa clope au bec, celui qui dessinait le canard expert pour mouiller dans des affaires pas nettes continue son bonhomme de chemin. Ainsi, Pascal Regnauld a fait l’actualité à deux reprises ces derniers mois. D’une part, avec une intégrale augmentée et deluxe du Trou de mémoire qu’il avait creusé avec Roger Seiter. D’autre part, avec une évocation de la vie du voyageur Pierre Loti en compagnie des scénaristes Didier Quella-Guyot et Alain Quella-Villéger.

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Trou de mémoire

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

Résumé de Trou de mémoire par les Éditions des 4 mondes : Imaginez un type qui se réveille au petit matin sur le port de San Francisco avec une blessure à la tête, un flingue à ses côtés et le cadavre d’une fille quelques mètres plus loin. Même s’il est sonné et a mal au crâne, il comprend immédiatement qu’il est mal et qu’il va avoir les flics sur le dos. Il a intérêt à se barrer vite fait… Mais pour aller où ? Il ne se souvient ni de son nom, ni du moindre détail de sa vie. Le voilà obligé de fuir la police tout en menant une enquête sur lui-même. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il va aller de surprise en surprise…

© Regnauld
© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

Feues les éditions du Long Bec savaient flairer les bons coups et propulser sur le devant de la scène, des planches, des auteurs de l’ombre ou de jeunes pousses. Graphiste, actif notamment dans le milieu de la pub, Pascal Regnauld est devenu l’un des hommes de main et de crayon (enfin plutôt de palette graphique) de l’univers de Benoît Sokal et de son Canardo, dès la fin des années 90 jusqu’au dernier tome paru en 2018. Outre des apparitions dans des recueils collectifs, Pascal Regnauld a ainsi dû attendre 2015 et une collaboration avec le très prolifique Roger Seiter pour dégainer un univers qui lui était plus propre. Très encré, dans un style très singulier, jouant tour à tour sur des procédés photographiques, des filtres comme des négatifs ou du sépia, colorant les différentes temporalités de l’histoire, entre le temps présent et la reconstitution d’un passé possible.

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

Car, comme dans le Memento de Christopher Nolan, le héros de Trou de Mémoire l’a perdue. Et dans le lieu où il se réveille, il n’a pas le temps de la chercher. Le déluge qui s’abat ne lavera pas de sitôt la sordide scène de crime dont il semble être un point central. Un flingue à portée de main, le corps ensanglanté d’une femme là. Toutes les hypothèses sont envisageables et dans cette équation à plusieurs inconnues, le mieux que cet homme à la Bogart, qui se réveille dans une tenue appropriée tant à un limier qu’à un tueur, puisse faire, c’est de découvrir sa propre identité. Problème: dans son ancienne vie, il semble avoir tout fait pour brouiller les pistes.

© Regnauld

Et forcément, en menant l’enquête sur les autres, le labyrinthe ne finit plus d’augmenter. Mais peut-être la clé de l’énigme viendra-t-elle du milieu, des gens qui, du bon ou du mauvais côté de la loi, doivent chercher ce Jason Bourne des bas-fonds mais aussi des gratte-ciels.

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

J’avais pu découvrir le premier puis le deuxième album à leur sortie. Force est de constater qu’en version réunifiée dans cette intégrale aux Éditions des Quatre mondes, le récit n’a non seulement pas pris une ride et perdu de sa force mais est encore plus tripant et passionnant en se lisant d’une traite. Rondement bien mené comme l’atmosphère dont hante Pascal Regnauld chaque case avec son dessin tellement original et singulier. On pourrait se dire qu’on va s’en lasser, que ça va manquer de couleurs, mais non le relief, le jeu avec les plans et les points de vue mais aussi le bon goût de cinéma de genre qui n’enlève rien à la puissance de la BD, tout est au rendez-vous pour une vraie révélation.

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 Mondes

Dans cette version plus grande, plus massive, les Éditions des Quatre Mondes ont exhumé un bonus original: le séquencier de Roger Seiter (tel une pièce de théâtre, en fait) illustré par Pascal Regnauld. Il ne faudra pas nous faire le coup à chaque réédition, refonte, mais, pour le coup, avoir une fois ce genre de supplément est instructif et apprend sur le média incroyable qu’on a dans les mains : le Neuvième Art. Les Éditions des 4 Mondes proposent une version classique (pour 39,95€) mais aussi un tirage de tête avec plein de suppléments (couverture alternative, ex-libris, cahier de crayonnés, cahier des victimes, permis de conduire, cartes de visite, photos, affiche et enveloppe contenant des éléments de la double-enquête). Sur le site de la maison d’édition, chaque version peut s’accompagner d’une dédicace.



Pierre Loti, une vie de voyageur

Résumé de Pierre Loti, une vie de voyageur par les Éditions Calmann-Levy : Pierre Loti, par sa vocation de marin et par goût pour les voyages et l’écriture, a sillonné le monde toute sa vie. De l’île de Pâques au Japon, en passant par le Sénégal, l’Égypte et le Pays basque, il a porté son regard curieux sur des pays, des peuples et des événements extraordinaires. À partir de son oeuvre littéraire et de ses reportages, accompagnés du dessin riche et pittoresque de Pascal Regnauld, les auteurs font renaître sous nos yeux les voyages de Pierre Loti. Il vit des expériences culturelles multiples, s’enthousiasme, condamne. Sa découverte des différences, la richesse des ailleurs, la peur de l’uniformisation, les amours aussi, font de son existence un roman qui trace un tour du monde fascinant.

© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy
© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy

Changement total de genre pour Pascal Regnauld avec cette biographie composée avec les jumeaux Didier Quella-Guyot et Alain Quella-Villéger (qui raconte ainsi le destin de l’enfant parti de leur pays, Rochefort, dans les Charentes-Maritimes) et qui invite plus au voyage, à l’itinérance et à la conscience du monde, ses merveilles et ses problèmes. Dans l’ouverture de l’esprit plus que son engoncement.

© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy
© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy

Là où aujourd’hui, voyager n’a plus rien de valeureux, est même polluant et se règle à coup de quelques centaines d’€, qu’on économise toute l’année ou qu’on pioche dans son aisance, il y a dans ce roman biographique une saine redécouverte de la découverte de notre Terre, de son humanité, de la richesse de ses cultures. Et ça prend le temps, ça exige de la curiosité pour mettre son nez plus loin que les attrape-touristes. Ça tombe bien Pierre Loti s’est offert tout ça, la liberté surtout. Celle qui est relative dans les villes et villages, les bleds, d’ici ou d’ailleurs que les grandes puissances écrasent du sceau des colonies et de l’hégémonie de la culture occidentale. Au point de perdre la diversité, le sens de la multiculturalité.

© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy

Dans ce récit à la fois épistolaire, carnet de voyage et aventure extérieure autant qu’intérieure, les auteurs ne font pas pour autant de Pierre Loti un saint, s’il a ses engagements et credo, il a aussi de plus mauvais côtés, comme tout être, qui ne sont pas passés au bleu. Des côtes françaises aux îles de Pâques, en passant par la Guinée, Tahiti, l’Égypte, le Maroc, le Japon, Constantinophe, etc., entre amours de passage ou durable et découverte de choses qui dépassent l’Homme, les auteurs réussissent à nous emporter. Avec des gueules moins patibulaires et moins typées polar, de tous les horizons, Pascal Regnauld relève avec succès ce défi globe-trotteur, sans abandonner son style caractéristique, assez géométrique, mais en oubliant le négatif pour trouver des couleurs, sable notamment, qui imprègnent et ambiancent chaque étape de ce voyage séduisant et hautement enrichissant. Je trouve que ce travail de couleurs aurait pu être un peu plus riche mais ça fonctionne. Il y a 150 ans, Pierre Loti disait des choses d’aujourd’hui. Pourvu que nous gardions, coûte que coûte la curiosité de l’autre et le goût de préserver notre environnement.

© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy
© Quella-Guyot/Quella-Villéger/Regnauld chez Calmann-Levy

À lire chez Calmann-Levy.



À suivre : Anchorage

Pour la suite, Pascal Regnauld compte repartir dans le polar, le thriller, toujours plus froid, en compagnie de Roger Seiter: Anchorage (le nom réel d’une ville d’Alaska). Voilà le pitch : Etre milliardaire n’a jamais préservé quiconque de la maladie. C’est le dur constat fait par Zachary Brooks alors qu’il est en train de mourir d’un cancer dans sa luxueuse villa d’Anchorage. Il sait qu’il lui reste à peine quelques mois à vivre et qu’il est grand temps de mettre de l’ordre dans sa vie. Une tâche qu’il a confiée à Carter Evans, son notaire et ami. Car deux choses préoccupent Zachary. Éviter que sa femme Lauren mette la main sur sa fortune et retrouver sa fille, qui s’est tirée de la maison quelques années plus tôt en coupant brutalement tous les ponts avec son père. Et comme Zachary n’a aucune idée de l’endroit où se trouve Amber, il a chargé Maître Evans de recruter un privé pour la retrouver avant qu’il ne passe l’arme à gauche. Le privé en question s’appelle Tony Rivera. Un ancien marine d’abord devenu flic avant de se faire virer de la police et de se mettre à son compte. Tony finit par localiser la fille de Zachary à Vancouver. Le problème, c’est qu’elle vit avec une bande de bikers et qu’elle n’a pas du tout envie de retourner chez son père. Tony décide donc de l’enlever, buttant quelques Outlaws au passage. Et c’est donc avec une bande de bikers fous furieux et bien décidés à lui faire la peau qu’il remonte la route 97 vers le nord en plein hiver. Et Tony réalise bientôt que la neige et les bikers ne sont pas ses seuls problèmes. Visiblement, la belle Lauren n’a pas du tout envie de voir revenir sa belle-fille à la maison. Du coup, elle a elle aussi engagé des hommes de main dont la mission est de faire disparaître Amber entre Vancouver et Anchorage.

© Seiter/Regnauld aux Éditions des 4 mondes

Sympa, non? L’album fera 56 pages et devrait sortir au premier trimestre 2024. En attendant, il reste une poignée de jours pour le financer, dans diverses versions, dont certaines exclusives, sur Ulule.

L’éditeur a d’ores et déjà levé le voile en publiant une interview du scénariste :

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