1946. Fuir l’indicible et surtout fuir l’Autre Endroit. Celui que l’on ne nomme pas. Fille d’un officier nazi arrêté comme tant d’autres après la guerre, Gretel, 12 ans, n’a pas d’autre choix que de quitter son pays avec sa mère. Mais reste à trouver de faux papiers et gommer un accent allemand trop prononcé. Se fondre dans la masse ne sera pas chose facile. Alors lorsque par l’entremise d’une propriétaire peu regardante, elles trouvent un appartement en plein coeur de Paris, les deux femmes espèrent enfin pouvoir se poser et démarrer une nouvelle vie en laissant derrière elles l’ignominie. Mais même si Gretel n’a été que spectatrice des horreurs perpétrées dans le camp d’Auschwitz (que son petit frère, Bruno, appelait innocemment « Hoche-vite »), elle ne peut s’empêcher de se sentir coupable des actes atroces commis par son père et surtout du décès de son petit frère.
Et si on pouvait humer le parfum de la vie là-bas, on était étouffé par la puanteur de la mort
2022. Veuve depuis peu, Gretel, a un peu plus de 90 ans à présent et vit désormais dans un appartemment des beaux quartiers de Londres. Aimant le calme et ne supportant guère le changement, la vieille dame s’inquiète lorsqu’elle apprend que l’appartement en dessous du sien va bientôt être occupé par un couple et son enfant. Un garçonnet de 9 ans, l’âge qu’avait le frère de Gretel lorsqu’il s’en est allé. Tout comme Bruno, Henry semble aimer la solitude et les livres. (Il ne quitte pas son exemplaire de L’île au trésor) Un gamin dont Gretel, qui n’a pourtant jamais eu la fibre maternelle, finit par apprécier la compagnie. Un gamin qui, remarque la vieille dame, semble se blesser souvent. Bien trop souvent.

Écrire la suite du « Garçon au pyjama rayé » (5 millions d’exemplaires vendus à travers le monde) c’était une idée qui germait depuis longtemps dans la tête de John Boyne. Un roman qu’il comptait écrire à la fin de sa vie pour boucler la boucle en quelque sorte, mais la pandémie en a décidé autrement. Ainsi, en 2021, l’auteur irlandais commence à imaginer la vie de cette fille d’officier SS hantée par le remords. Car comme le dit lui-même Boyne » il s’agit avant tout ici d’un livre sur la culpabilité, la complicité et le deuil »
Conteur hors pair et fasciné depuis toujours par l’Holocauste, l’auteur de L’audacieux Monsieur Swift et de Il n’est pire aveugle nous fait ici voyager entre deux époques, de la Pologne à la France en passant par l’Australie et l’Angleterre. Une juxtaposition d’époques et de lieux, procédé souvent utilisé par l’auteur, qui ne nuit en aucune façon à la fluidité du récit. On peut juste, il est vrai, regretter quelques facilités scénaristiques. (Gretel part en Australie et tombe comme par hasard sur le jeune homme qui était au service de son père et dont elle était secrètement amoureuse).
On suit toutefois avec beaucoup d’intérêt le parcours de ce personnage dont Boyne ne cherche jamais à excuser les actes. Gretel n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est avant tout humaine.
Qui sommes-nous d’ailleurs pour la juger? Qu’aurions-nous fait à la place de cette gamine de 12 ans?
Quelles que soient nos erreurs, Boyne semble vouloir nous dire qu’il est toujours possible de réparer celles-ci d’une façon ou d’une autre et ce à n’importe quel âge. Même au crépuscule de notre vie.
John Boyne, un immense auteur à découvrir, si ce n’est déjà fait.
Titre : La vie en fuite
Auteur : John Boyne
Genre : Drame
Éditeur : Editions J-C Lattès
Nbr de pages : 336
Date de sortie : 05/04/2023
Prix : 22,90€