
Une claque graphique, pacifique, c’est bien mieux qu’une condamnation à mort. Avec Perpendiculaire au soleil, son premier roman graphique, Valentine Cuny-Le Callet fait une entrée remarquée et inspirée dans le monde de la BD. Amenant son supplément de vie dans le couloir de la mort.

Résumé de Perpendiculaire au soleil de Delcourt : En 2016, âgée de 19 ans, Valentine Cuny-Le Callet entame une correspondance avec Renaldo McGirth, condamné à mort américain, incarcéré depuis plus de 10 ans en Floride. Au fil de leurs lettres, des images qu’ils s’échangent, des rares visites, naît le récit graphique de leurs vies parallèles. Le livre questionne avec une intense émotion la brutalité d’un système carcéral, et l’amitié qui surgit, depuis une cellule de 5m2.

On peut être plus chaud que le climat, et que bien d’autres encore. Plus chaud que la peine de mort. ados et adulescents qui se sentent concernés par une cause ont les moyens de la révolutionner, de rendre les choses plus belles, avec un autre regard et surtout un vécu encore frêle qui demande à s’enrichir, s’affranchir de ce que pensent les « grands », pas toujours les plus sages, des certitudes… ou au contraire prolonger une tradition familiale qui ne baisse pas les bras, qui continue à rêver et à créer un monde plus beau, plus grand.


Même à l’ombre, confiné dans moins de 5 m², entouré des cris de ceux qu’on dit irrécupérable. C’est là, à Raiford (Californie) que Renaldo McGirth, afro-américain de 34 ans, vit depuis 14 ans. Bientôt la moitié de sa vie, pas en prison, dans le couloir de la mort. Car, pour un meurtre qu’il jure ne pas avoir commis, Renaldo doit payer de sa vie, il ne sait pas quand. Il attend. En espérant, qui sait, que son innocence soit prouvée ou que sa peine capitale (assez minuscule d’esprit car elle ne changera rien à la douleur des victimes et que ceux qui l’acteront continueront, eux, leur bonhomme de chemin, c’est fou comme ça désensibilise) soit transformée en prison à vie suite à une procédure introduite.


Dans l’attente, Renaldo laisse libre cours à son imagination, s’instruit, créatif dans l’âme. Il écrit aussi, vers l’extérieur. Car des associations mettent en relation les condamnés avec des correspondants motivés. Comme Valentine, du haut de ses 19 ans, qui, depuis 6 ans, échange avec Renaldo. Avec des hauts et des bas, quand le prisonnier se contente de paraphraser ce qu’elle lui a écrit, sans rien dire de lui, de son coup de mou. Alors qu’il peut tellement s’en voler au-delà des grillages et nourrir des projets. Impensable mais vrai. Une BD, par exemple, qu’il ne pourra pas signer, c’est interdit aux incarcérés de générer des revenus, des droits d’auteur.

Valentine a même rencontré Renaldo, à l’occasion de six mois passés en Amérique en échange scolaire, quelques années après avoir noué contact avec le vingtenaire. En attendant, c’est vraiment une oeuvre de patience, pas à pas, que l’autrice entreprend, au fil des missives épistolaires qui délivrent attention et empathie, lèvent le voile sur le vécu de ces deux écrivains tout en gardant le poids de la censure, des courriers non délivrés parce qu’un sujet abordé, une image envoyée (selon des formats très spécifiques) n’ont pas l’heur de plaire aux autorités judiciaires. Une manière de garder le contrôle, d’avoir le pouvoir de vie et de non-vie, en attendant l’exécution.


Parce qu’on ne fait pas de visio-conférence en prison, que les photos d’un détenu sont rares et mal éclairées, et que donc les infos entrantes ou sortantes sont contrôlées, le contact se fait par petites touches, avec balbutiements, avec un son modulé mais des images à inventer. Ça tombe bien, c’est le métier auquel Valentine se prédestine et elle ne veut rien laisser au hasard, questionner les représentations et trouver sa force en s’en faisant les siennes. Dans le fond et la forme. Ce qui rend, ceux qui rendent ce roman graphique de 430 planches passionnant, hautement enrichissant. Sur le ressenti, la psychologie, la spiritualité, les croyances d’un gars dont le temps de vie sur terre (peut-on appeler ça la terre?) est plus que limité, mais aussi sur l’iconographie qui peuple le racisme, sur tout l’appareil judiciaire et sur la manière dont fonctionne (si on peut appeler ça fonctionner) le pénitencier, dans ce qui l’effraie, dans la manière dont on peut s’offrir un snack ou un bonus – très limité -, de profiter de la condition des prisonniers pour s’enrichir un peu plus, plus loin que les rendre fous, malades. À moitié-mort, quand l’exécution se passe mal, aussi.


Et les avions de papier entre les deux mondes, avec de merveilleuses idées pour donner force au propos. Celui d’une jeune fille qui a toute la vie et celui de Renaldo qui se donne de l’espoir et des rêves, quand il en a la possibilité. Du chacun dans son coin (mais avec ce supplément d’âme qui rassemble) et la rencontre, Valentine Cuny-Le Callet réalise son album à tâtons, cherchant comment représenter Renaldo, un ton, une forme, un réalisme et un onirisme, une initiation. Avec des vues de l’esprit et une documentation à toute épreuve qui vient à point, à vif, sans parasiter l’expérience sociale, sentimentale.


Car il y a mille sentiments, mille expériences, de la ruse et beaucoup de créativité, dans le résultat final mais aussi les étapes qui y ont mené. Comment enfin faire rentrer dans les murs de la prison les ébauches de ce qui sera leur livre commun? Il y a des essais, des refus, puis enfin ça passe, grâce à des ajustements infimes, cons. « Bienvenue à l’établissement pénitentiaire de Union. Inspire le succès en changeant une vie à la fois ». Tu parles. Par contre, l’incroyable album (incroyable d’humanité et de non-jugement) de Valentine a ce pouvoir de changer plusieurs vies. Celles des deux qui sont à la base de cet album et celles de tous ceux qui le liront! Et ne pourront plus remettre leurs oeillères. Un cadeau de Noël incontournable à mettre au pied du sapin de l’humanité.
