
Sur un fameux trois mâts fin comme l’oiseau ou un paquebot, sur un voilier ou un jet d’encre, Sarah Belmas est une autrice qui aime se laisser porter par la mer et par l’océan de ses envies, de ses pensées aussi, qu’elles aient été infernales ou soient aujourd’hui créatrices. Cette fan de Mylène Farmer n’est plus désenchantée comme elle a pu le montrer, combattant avec ses armes le démon en elle, dans Lever l’ancre. Aujourd’hui, c’est entre un koala et un Tintin qui est son meilleur copain, que Sarah Belmas nous parle aussi d’un méchant poétique et habité, Allan Thom… as Scott, qui cultive une ressemblance avec un autre personnage d’Hergé, en ayant l’intelligence de ne pas le copier, de ne pas se faire héritière de sa Ligne Claire. Longue interview avec une autrice qui se livre.

Bonjour Sarah et enchanté. Question traditionnelle à une autrice émergente qui fait ses premiers pas dans l’édition : comment êtes-vous arrivée dans le monde de l’illustration, de la bande dessinée ?
Je dessine déjà depuis toute petite, mais cela fait seulement quelques petites années que je publie mes dessins sur les réseaux sociaux. La bande dessinée me passionne bien évidemment depuis toute petite. J’ai grandi avec. C’est donc toute ma vie !
Vous êtes tombée dans la marmite petite, alors ? Quelles ont été les héros, les séries qui ont fait votre amour, votre passion pour les éditeurs ?
Sans surprise, mon héros d’enfance reste à tout jamais Tintin. C’est majoritairement l’oeuvre de Hergé qui a fait toute mon enfance et a nourri mon imaginaire. Je lisais aussi évidemment Spirou, Astérix, Boule et Bill …

Comment êtes-vous devenue dessinatrice ? Avec quelle formation ? Et quels maîtres de chevet ?
Si on ne nait pas dessinatrice mais qu’on le devient, j’ai envie de dire que je suis née avec un crayon dans la main. Je n’ai pas un souvenir sans avoir dessiné. J’y passais des heures, des journées entières étant petite. Et toujours, dès le plus jeune âge, cette conviction que ce serait mon métier. J’ai toujours travaillé en autodidacte. Les écoles d’art ne sont pas accessibles à tout le monde et je pense que même si j’avais pu en faire une, j’aurais redouté que cela tue mon plaisir de dessiner. Ma référence majoritaire a toujours été Hergé.
Pourquoi ?
Je ne saurais pas trop l’expliquer. Je suis consciente que Tintin est une oeuvre universelle, tout le monde le connait un peu ou alors au moins trois-quatre albums. Je pouvais rester des heures sur quelques cases juste parce que j’aimais cette ligne claire, cette précision, cette netteté du Maître. J’apprécie autant le créateur de Tintin que l’individu. Ce qui fait la force de Hergé, c’est qu’il a créé un univers riche, extrêmement complexe, qui fait qu’on a l’impression d’être aussi bien dans la réalité que dans la fiction. Cet homme est un témoin de son siècle. Il a consacré sa vie entière à Tintin. Il s’est dévoué entièrement à son oeuvre. Les tintinophiles le savent, le ressentent et ont, entre autres, pour ces raisons, cet attachement envers le jeune reporter. J’avais lu quelque part qu’une enfance baignée au lait de Tintin n’a rien à voir avec la découverte de Tintin si on est déjà adulte. C’est une affirmation que j’approuve totalement. Tintin a fait mon enfance et j’en suis marquée à jamais.

Outre les deux albums dont nous allons parler, c’est aussi sur les réseaux sociaux que vous faites parler de vous, avec un blog et des dessins très réguliers. Quelles sont vos thématiques de prédilection ?
Vous savez, on m’a longuement reprochée d’avoir des questions existentielles, de trop réfléchir et de me prendre la tête. Qu’à cela ne tienne, j’ai eu envie de continuer de « me prendre la tête » dans mes dessins. J’aime aborder les sujets qui me tiennent à coeur ou bien une colère du moment, ou une réflexion qui me vient et que j’ai envie de partager. Je ne suis pas de lignes directrices, de thématiques particulières. Je vais vraiment selon ce que j’ai envie de raconter. Je sais que j’ai pu aborder des sujets qui n’ont pas plu à tout le monde. Mais il ne faut pas oublier que dessiner est une liberté formidable. Un espace de liberté infini. Et c’est quelque chose que j’ai ressenti encore plus fortement pendant les confinements.

Et c’est comme ça que vous êtes devenue une héroïne de vos BD. C’est facile de faire le pas, de se raconter et de livrer ses expériences à un public qu’on ne connaît pas toujours ?
Je ne vous cache pas qu’au tout début, ça a été vraiment difficile. J’avais même réalisé un petit sondage sur Instagram pour savoir si, sous prétexte que l’on fait de la BD, il faut obligatoirement parler de soi pour autant. Je suis assez hermétique aux réseaux sociaux, en ce sens que je ne comprends pas qu’on y raconte sa vie et je me suis demandée si raconter la mienne en dessin n’était pas tout autant impudique. Mais, de fil en aiguille, cela m’est paru évident que ce serait nécessaire de me raconter en dessin. La difficulté a fini par s’estomper. Le dessin ne révèle jamais votre stricte intimité. C’est vous qui menez la barque. Vous pouvez sublimer, dramatiser, inventer, faire ce que vous voulez de la forme. Seul le fond reste authentique.
C’est plus facile par le dessin que par la photo, par exemple ?
Oui, ça n’a vraiment rien à voir. Pour la photo, vous êtes focalisé sur les autres. Il y a bien sûr l’autoportrait, mais ça reste un exercice complètement différent. Dans le dessin, vous avez deux solutions pour vous représenter : ou bien vous vous sublimez et là c’est complètement narcissique, ou bien vous vous caricaturez, et en l’occurrence, cela permet de vous montrer avec humour, recul voire même un gentil sarcasme ! J’aime me dessiner de manière très caricaturale. Je ne me mets pas en valeur de cette manière et en même temps si.

Est-ce pour autant facile de se foutre à poil en dessin ?
Au sens littéral ou figuré du terme? Blague à part, dans l’expression artistique, on raconte ce que l’on veut bien raconter de soi. On livre certains pans de soi. Mais sans que cela empêche de ne rien raconter d’intime, de personnel, de soi. Je peux vous parler de beaucoup de choses de ma vie dans mes dessins, sans que vous ne sachiez pour autant qui je suis. C’est un exercice qui est beaucoup plus facile pour les artistes de ma génération. Je suis née dans les années 80 et je me rends compte que c’est plus facile pour nous de parler. Pas forcément de nous mais de parler tout court. De dire les choses. Ne rien laisser enfoui, ne plus être dans l’abnégation afin de vivre bien plus sereinement.
Vous pratiquez l’autofiction ou l’autobiographie ?
Je me suis longtemps posé la question avant de faire « Lever l’ancre ». Il me semble que l’autofiction soit le meilleur outil pour se raconter tout en préservant la pudeur que l’on porte en soi. J’aime bien aussi ce petit côté mystérieux de l’autofiction tant dans les romans que les bandes dessinées, où on se demande : « Où est le réel du fictif dans cette histoire ? »

Pour parler au public dans cette voie, ne doit-on pas trouver le bon équilibre entre affaires personnelles et universelles ?
Nos vies entières, nos histoires, nos souffrances, nos joies, tout ça même est universel. Le personnel touche toujours à l’universel. Je pense que l’équilibre entre les deux n’est pas si difficile que ça. En tout cas, pour moi. Si nos parcours de vie à toutes et tous sont différents, dans un aspect général, on se ressemble tous dans cette quête de sens, d’amour, de reconnaissance. On se plaint beaucoup que tout a été dit et inventé. Mais personne n’a rien inventé, pas même les plus grands qui ont vécu avant nous ! Et ce n’est pas grave ! Il y aura toujours des histoires, des vécus, des expériences à raconter et à partager. C’est infini et jamais on ne pourra s’en lasser.
Comment se représente-t-on graphiquement ? Il y a des recherches ? On demande à ceux qui nous entourent si c’est ressemblant ou on fait à son idée ? Comment la Sarah de BD est-elle sortie de votre crayon, durablement ?
Ça a pris du temps. Beaucoup de temps. Depuis quelques années, j’ai réussi à trouver la base même de ma tronche en dessin. Et c’est quelque chose qui change avec le temps. En 2020, je ne me dessinais pas comme en 2019 et en 2022, je ne me dessine pas comme en 2021. C’est quelque chose qui change, qui se meut année après année. Le style de beaucoup de grands dessinateurs tels que Hergé ou Franquin n’a cessé d’évoluer au fil des années. En tout cas, pour ce qui est de me dessiner, je ne demande l’avis de personne. On m’a même fait la réflexion que je me dessinais avec un nez crochu, que ça ne me ressemblait absolument pas, même que je ne connaissais pas mon nez si bien que ça !

Et pourtant si. J’ai un nez réellement (mais discrètement) crochu. Je n’ai fait que l’exagérer. Je me représente de manière exagérée. Je ne me prends pas au sérieux. Je ne m’embellis pas et, en même temps, ce petit bout de femme avec son nez crochu façon perroquet et son ventre qui pendouille un peu, je la trouve toute mignonne !
Vous apparaissez ainsi en tant que personnage principal et central de « Lever l’Ancre » et en tant que personnage secondaire d’ « Allan Thomas Scott », c’est ça ? Dans des registres très différents, non ?
Oui, « Lever l’ancre », c’est mon histoire, c’est moi, ce sont mes tourments, mes noirceurs. Je suis seule dans un océan noir de douleur, de doute. Et au fil des pages, des personnages réels et fictifs viennent graviter, provisoirement autour de moi. Comme dans la vraie vie. Pour « Allan Thomas Scott », c’est plutôt l’inverse. C’est l’histoire d’un marin…. autour duquel je gravite !

« Lever l’ancre », c’est donc votre premier album. Avec déjà cet univers maritime et tout ce qu’il évoque, entre le large et les cordes fortement arrimées, qui peuvent vous empêcher de partir. Êtes-vous depuis toujours une fille de la mer ? Ou l’êtes-vous devenue?
Je suis devenue une fille de la mer. J’ai vécu plus de dix ans à Bordeaux, port maritime par excellence. C’est une ville que je garde dans mon coeur et qui m’a marquée. La mer, cette indomptable, vous rappelle, au sens métaphorique du terme, que la vie est un voyage semé de tempêtes, de flots calmes et tempérés. Elle est imprévisible. Mais surtout, elle vous rappelle que c’est le voyage, la traversée qui compte. Peu importe la destination, tant qu’il y a l’ivresse du voyage ! Son imprévisibilité vous pousse à lâcher prise.
Le Voyage… Dans la vraie vie aussi, ou surtout dans la symbolique de vos dessins ?
Dans la vraie vie, je rêve depuis de longues années de faire un voyage en cargo. Pour le plaisir du voyage, sans destination précise, juste le plaisir d’être en mer, dans l’inconnu total, dans le temps figé et suspendu hors de toute routine.
Pourquoi êtes-vous tombée amoureuse de la mer, de son décor, des personnages qu’elle charrie, réels ou de fiction ?
Parce qu’elle évoque la liberté. C’est le champ de tous les possibles. Marin est l’un des métiers les plus dangereux au monde. Je suis admirative de tous ces hommes qui mettent leur vie entre parenthèses plusieurs mois par an pour leur métier. On oublie que la marine marchande transporte plus de 96% des produits que nous consommons au quotidien. Tout passe majoritairement par la mer !

Dans la mer, le reflet, l’image de soi, qu’on accepte ou pas ? Le dessin vous y a-t-il aidée ?
Les gens ne se rendent pas compte à quel point le dessin, ou même tout autre forme d’expression artistique, est puissamment cathartique. Sans exagération aucune, le dessin m’a sauvé la vie. Et me la sauve encore aujourd’hui. Je ne peux pas vivre sans dessin. Quand je dessine, je suis pleinement moi-même, sans blocage, sans peur, sans manque de confiance en moi.
« Lever l’ancre », c’était une manière de faire votre thérapie, de vous aider ? De le publier, de le donner à voir à des inconnus, encore plus ?
Cathartique, thérapeutique. Cela faisait déjà depuis quinze ans que je voulais raconter mon histoire. J’avais ce besoin de me libérer de pas mal de démons. De me déposséder d’eux, de prendre le dessus sur eux et non plus l’inverse. J’avais 32 ans quand j’ai fait « Lever l’ancre » et ce livre a été un acte symbolique pour coucher sur papier tout ce qui a pu me faire souffrir pendant tellement d’années. Quand vous publiez, vous vous « exhibez » à des inconnus mais sans montrer votre visage. C’est votre travail que vous montrez et non vous-même.

Pas de couleur, juste du noir et blanc, un choix affirmé ?
C’était risqué de faire un livre en noir et blanc uniquement, mais le choix est complètement délibéré et assumé. Je n’ai rien fait en me disant que ça n’allait pas plaire au public. Je me suis tout simplement écoutée. Et je crois que les choses fonctionnent, ou si non, doivent fonctionner ainsi.
Il y a la bête noire, qui est-elle ? Comment avez-vous su comment la représenter ? Êtes-vous parvenue à la terrasser ? Comment expliquez-vous que vous ayez hérité d’un tel cauchemar ?
La bête noire, c’est une entité fictive qui représente mon anxiété, mon mal-être et peut-être même une dépression. Je dis peut-être parce que je ne peux pas m’auto-diagnostiquer. Mais elle est le symbole de plus de vingt ans de vie où les pensées très très noires m’ont terrassée. Elle est réellement apparue dans mes cauchemars de petite fille sous la forme que vous voyez dans le livre. J’ai voulu représenter ce personnage fantomatique, lui aussi universel en fin de compte. Mais c’est ma bête noire à moi, telle que je l’ai vue, éprouvée.

Je ne l’ai pas tuée. J’ai réussi, après tant d’années, à l’anesthésier. Elle restera pour toujours en moi. Disons que j’ai les armes aujourd’hui pour la tenir à distance aussi longtemps qu’il le faudra. Je sais d’où elle vient. Je connais l’origine de sa venue, son héritage. Elle vient de moi, mais elle vient aussi de générations passées. Par moment, j’ai le sentiment qu’elle ne m’appartient pas, qu’elle n’est pas dans le bon corps.

C’est une expérience de solitude, de combat seule à seule, la plupart du temps. Comment tient-on en haleine le lecteur dans ce huis-clos, avec si peu de choses, et pourtant tant de choses ?
J’étais partie pour raconter ma vie de manière chronologique avec dates, lieux, etc. Mais j’ai pensé qu’aborder cette existence de douleur dans un espace intemporel, sans lieu reconnaissable pourrait permettre de se focaliser sur le sens même du message. On rentre dans la tête d’une femme qui souffre depuis des années, comme dans un espèce d’Enfer de Dante duquel elle a dû mal à sortir. Le lecteur est passager de tout ça et, ainsi, pas brouillé par trop d’éléments, il lui est possible de s’y reconnaître ou de reconnaître quelqu’un de proche dans la même souffrance. Le huis clos noir et oppressant est absolument voulu pour que le lecteur éprouve réellement cet effet de compression. Il peut mieux se représenter ce que ça fait. L’idée de « Lever l’ancre », c’était de matérialiser cette douleur, cette Bête Noire pour lui dire : « Si tu me domines, sache que moi je prends le contrôle en criant à tout le monde que tu me fais mal. » Ce n’est pas forcément remporter la guerre, mais au moins une bataille.

J’ai été vraiment happé par votre récit, par son intensité et son urgence, la succession des images et des idées. Est-ce un album qui s’est fait pas à pas, qui s’est improvisé ? Et comment sait-on où on s’arrête ?
Urgence, vous avez le bon mot. Urgence que cette souffrance cesse, urgence de reprendre possession de sa propre vie, ras le bol de la passer à voir noir et la mort pour seule délivrance. Cet album s’est fait rapidement, j’avais cette idée de fond de tout faire en noir. Le reste est venu spontanément. Je ne saurais pas l’expliquer mais je me suis dit qu’il fallait que je me libère de la BD traditionnelle pour offrir quelque chose de plus « expérimental » qui laisserait libre court à mon expression. On sait que ça s’arrête quand on pose le crayon avec cette sensation de : « Voilà, tout est là. »
Cet album vous a-t-il changée ? Et a-t-il changé les lecteurs ? Parce que ce genre de lecture vous poursuit ?
Vous savez, j’ai pu parfois sourire quand j’entendais des artistes dire de leur album que c’était leur bébé. Hé bien j’y réfléchirai à deux fois avant de sourire. Ce premier album a été mon bébé, je l’ai vraiment éprouvé comme tel. Quand je l’ai terminé et l’ai rendu à mon éditeur, j’ai eu une grande sensation de vide mais avec ce sentiment d’avoir accompli quelque chose. Je ne sais pas s’il a changé les lecteurs, mais au vu des retours que j’ai eus, que ce soit par messages écrits ou lors des séances de dédicaces pendant les festivals, il a fait son chemin, a touché des personnes et ça m’a vraiment bouleversée. C’est là que vous réalisez à quel point vous avez une sorte de rôle important à jouer quand vous proposez une création à un public. Il y a quelque chose que vous transmettez, vous avez une sorte de « responsabilité ». J’ai pour raisonnement que dans nos vies, chacune de nos actions, de nos gestes, même des mots insignifiants ont des répercussions énormes sur les autres. Donc imaginez l’émotion de savoir que « Lever l’ancre » a pu faire du bien à certaines personnes.
On reste dans un format carré, souple. C’est voulu, un format que vous appréciez, ou est-ce le jeu du hasard ?
Je trouve le format carré intimiste. Cela ne laisse pas d’autres choix que de regarder autant le texte que le dessin. Et pour moi, je trouve que cela offre un petit quelque chose d’immersif.
Avec Allan Thomas Scott, on retrouve un personnage, un second-couteau bien connu des bédéphiles. Vous ne pouvez le niez, vous êtes tintinophile. Comment êtes-vous entrée dans ce club très fréquenté et mondial ?
Je suis tintinophile depuis « ma plus fendre entrance » comme diraient les Dupondt. Je n’ai pas connu de tintinophile toute petite, mais ce sont des amis que j’ai rencontrés bien plus tard, à ma vingtaine. Pour ceux que je connais, ils sont soutenants, et avec cet esprit de famille que j’aime retrouver lors des réunions annuels entre tintinophiles.
Qui est Tintin pour vous ? Comment ce coup de cœur, de foudre est-il arrivé ?
Tintin, c’est un coup de foudre qui est arrivé quand j’avais 3 ans. A minima. C’est rigolo, mais dans ma tête de petite fille, il avait 25 ans. Et non entre 14 et 17. Son courage et sa bravoure n’ont eu de cesse de me toucher. Dans le jardin de la maison, je m’amusais à me prendre pour Tintin. Je remontais les manches, ainsi que mon pantalon pour que ça fasse pantalon de golf, et je me plongeais dans un imaginaire où j’étais le jeune reporter. Avec les années, en vieillissant, on s’attache aux autres personnages. On aime l’imperfection de Haddock qui le rend touchant, un ami loyal, profondément loyal qui, même s’il râle en disant à Tintin que, cette fois, il le laisse agir seul dans son périple, va revenir le lendemain en lui gueulant dessus qu’il ne le laissera pas tomber. Le charme haddockien auquel nul ne peut être indifférent. Et puis en grandissant, on a un regard presque neuf sur les autres personnages et on mesure la richesse de cet univers.

Comment se matérialise cette passion ? Avec uniquement les albums et l’univers de papier de Tintin ou aussi dans tous les produits dérivés et parallèles auxquels ils peuvent donner lieu ?
Les produits dérivés ne m’ont jamais vraiment intéressée. Quand on est gamin, on lit, on relit et on re-relit ses aventures. On reste fixé sur une case, on se fait l’animation de cette case dans la tête, tout un imaginaire se développe. Tintin et les autres deviennent alors une seconde famille. Je n’ai aucun objet de collection hormis quelques figurines.
Et votre album préféré ? Celui que vous avez le plus lu ?
Je les aime tous. Mais mon préféré restera à tout jamais « Vol 714 pour Sydney ». Il faut quand même reconnaître que Rastapopoulos est croustillant de ridicule sous l’effet du sérum de vérité n’est-ce pas ?…
On ne peut rien vous cacher. Regrettez-vous que la vie de Tintin se soit arrêtée avec la mort d’Hergé… et dans l’imagination des lecteurs ?
Je ne crois pas que Tintin ait disparu de l’imaginaire des lecteurs. Quant à si je regrette que Tintin se soit arrêté à la mort de Hergé, qui ne le regrette pas ? Mais quand on connait suffisamment l’oeuvre de Hergé, on sait que Tintin a été, littéralement, toute sa vie. Et on le comprend lorsqu’il disait « Tintin, c’est moi ! » Et on se doit de respecter cela.

Il n’est pas question de Tintin dans « Allan Thomas Scott », pour moi c’est Thomas Scott seul dont il est question. Quelques clins d’oeil au reporter sont là, bien évidemment. Mais c’est l’histoire de Thomas Scott et de lui seul. Un marin sorti de prison pour une affaire (presque) inconnue, qui essaie de reprendre un semblant de vie et qui sait au fond de lui que si l’on chasse le naturel, il revient au galop. Puisqu’Allan est peu apparu sur le chemin de Tintin, il ne l’a pas tant marqué que cela.
Avez-vous déjà rêvé ou réalisé juste pour vous une suite à ses aventures ?
Non, jamais. Je n’ai jamais rêvé ou réalisé une aventure de Tintin. Cela ne m’appartient pas, je le ressens au fond de moi.

Mais revenons à Thomas Scott ! Préféreriez-vous les méchants aux héros ? Ou plutôt des personnages plus énigmatiques, dont on sait très peu de comment ils sont arrivés à tel endroit, et quelles sont leurs motivations ?
Depuis toute gamine, j’ai eu et ai encore une large préférence envers les méchants. Ils sont suffisamment complexes et riches pour que je m’y intéresse. Gamine, ils me poussaient déjà à me questionner sur les raisons qui les avaient amenés à être perfides. Déjà, je me disais : « Ça vient forcément de quelque part… »
Mais peut-être cette histoire est-elle marquée par le souvenir de la rencontre avec Tintin et le Capitaine ?
Je pense que non. Mon Thomas Scott prend les traits d’un autre homme qui lui ressemble. Est-ce vraiment un personnage d’Hergé ou un autre ? Chacun se le représentera comme il voudra. Mon roman graphique reste une parodie.


Thomas Scott ne serait-il pas comme vous dans « Lever l’ancre » : en proie à ses démons ? Et à sa solitude ?
Pas vraiment de la même manière. Lui, il est rattrapé par ses propres démons, il les avait tant rejetés. Il y a forcément un moment donné dans la vie d’un être humain, où on est face à soi-même, quand un coup dur vous frappe en pleine figure. Vous vous croyez, comme Thomas Scott, solide comme un roc, au-dessus de tout. Et la réalité vient vous faire descendre de votre piédestal. La réalité a filé un sacré uppercut à Thomas Scott. Mais si vous voulez mon avis, je ne suis pas vraiment certaine qu’il ait vraiment bien compris la leçon.

Pour vivre cette aventure, vous n’avez pas pour autant mimer le style Ligne Claire de Hergé. C’était important de faire votre album, avec votre style ?
Oui. Je n’ai pas fait cet album comme une suite des aventures de Tintin. Ce n’est pas une imitation de Hergé. Je suis vraiment ravie d’avoir pu lire dans certaines critiques qu’on relevait qu’il ne s’agissait pas d’une imitation du trait de Hergé mais bien d’une histoire d’un personnage, finalement peu connu, à part entière, en aucune manière une adaptation.

Qu’ont pensé les Tintinophiles de votre album jusqu’ici ?
J’ai eu de très très bons retours à ma grande surprise. Beaucoup d’enthousiasme !
Votre fin reste ouverte ? Il est important de laisser le lecteur avoir sa propre interprétation ?
À cette question, je n’ai pas encore de réponse définitive…

Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Une petite bande dessinée sur un koala ronchon… et quelques commandes pour des particuliers. Affaire à suivre !…:-)

Merci beaucoup Sarah et bonne continuation, bon vent et bonne marée. Lever l’ancre est disponible chez Cote-a-cas éditions tandis qu’Allan Thomas Scott – Le marin bandit est paru aux Éditions L’Harmattan/Sépia dans la collection Zoom sur Hergé. Nos lecteurs peuvent aussi vous retrouver sur Instagram (https://www.instagram.com/sarah_belmas_illustration/) et votre Portfolio se trouve sur www.sarahbelmasillustration.format.com