
Du plein écran aux cases, il n’y a qu’un pas que Glénat et Ubisoft ont décidé de franchir il y a quelques années en adaptant à la BD quelques classiques du jeu vidéo. Voilà le tour de Far Cry et de ses mercenaires dans une Amérique latine jamais à l’abri d’un putsch, d’alliances surprenantes et de surprises. Au milieu de tout ça ? Il y a Juan Cortez, un expert des situations compliquées et détonantes, des révolutions, pour qui il est annoncé que « la guérilla est un métier. La mort, un hobby ». Même s’il y a quelque chose de désabusé en lui. Mathieu Mariolle, Afif Khaled, Salaheddine Basti et Yassir Kerbal ont oeuvré en vitesse mais dans le secret pour que cet album épaississe et paraisse simultanément au sixième épisode du célèbre jeu de tir dont il est le préquel. Interview avec le dessinateur Afif Khaled, lors du festival BD d’Hanret. Avec, en bonus, le plein de recherches de personnages et de couvertures.
Résumé de l’éditeur : Ils sont nombreux, les humains rongés par les addictions. Certains ne vivent que de sensations extrêmes, d’autres ne peuvent se passer de substances euphorisantes. Juan Cortez, lui, est accro à la guérilla. Depuis des années, il voyage de pays en guerre en zones de conflit, mettant son expérience et sa formation au service du plus offrant. Cette fois-ci, le destin l’a mené jusqu’au Santa Costa, un pays d’Amérique du Sud qui lui rappelle curieusement Yara, sa terre natale. Car ici, comme sur l’île d’Antón Castillo, la découverte récente d’une ressource rare, un minerai appelé « Tantale », a bouleversé l’économie d’une petite nation auparavant ignorée. Trois camps se font maintenant face : la junte militaire récemment établie au pouvoir par Di Stefano, le parti bourgeois mené par la fille de l’ancien dirigeant assassiné et un groupe révolutionnaire, défenseur des droits ouvriers et des populations indigènes. Ce sont ces derniers, guidés par leur leader Max Purillo, qui ont fait appel aux talents de Juan. Et pour lui, c’est du pain béni : une guérilla naissante, une période trouble sur le plan politique et surtout : de l’argent. Beaucoup d’argent. Pour soulever le pays, on lui demande de frapper un grand coup en assassinant le général Di Stefano. Mais bien entendu, rien ne va se passer comme prévu…

Bonjour Afif, nous vous retrouvons au dessin, partagé, de ce premier tome de Far Cry en BD. Vous êtes un gamer?
Non, pas vraiment. Auparavant, j’ai travaillé pour une boîte de gamedesign, mais plutôt dans la communication. Quant à Far Cry, j’avais joué au premier. C’était une licence gourmande, elle avait du mal à tourner sur mon pc de l’époque.
Dix-huit ans plus tard, vous voilà à en adapter l’univers… Dingue!
Oui, c’est super-chouette, d’autant plus que ce n’est pas juste une adaptation. Nous avons repris la licence en collaboration avec l’équipe qui planchait sur le nouvel épisode, le sixième, sorti en octobre. Il y a eu des interactions, nous avons contribué à créer l’univers, nous l’avons découvert avant que le joueur n’en prenne possession.
Le monde du jeu vidéo vous a imprégné graphiquement?
Oui, comme le cinéma. Mais force est de constater que le jeu vidéo a vachement évolué. C’est devenu une référence pour des designers. J’adore sa modernité dans les concepts, les illustrations. Alors, pourquoi se priver de piocher. Le jeu, c’est tout un style graphique. Plus que le cinéma. Je suis consommateur des deux, cela dit. En tant que dessinateurs, nous sommes tous marqués par différentes choses. Moi, je suis plus ancré dans le comics. Je me suis éloigné des peintres que j’affectionnais plus jeunes. Même si Vermeer reste pour moi mon point de fixation en matière de lumière. Il y a aussi des évidences.

Sur cet album, vous avez oeuvré à deux au dessin. Qui a fait quoi de vous et Salaheddine Basti.
Salaheddine Basti est un étudiant, j’ai beaucoup apprécié de travailler avec lui. Moi, je découpais les scènes et je posais les personnages dans le décor tandis que Salaheddine poussait le dessin, je revenais pour l’encrage. Et je faisais les couleurs avec Yassir Kerbal.

Avec, j’imagine, un délai assez court à tenir.
Oui, d’autant plus que c’est un album de 80 pages. Il nous a fallu réadapter notre manière de travailler pour fournir l’album pour la sortie du jeu. J’ai simplifié le trait, suis allé à l’essentiel. Mais j’aime changer de ce que je sais faire et ai déjà montré.

Amener le jeu vidéo dans la BD, c’est gagnant-gagnant pour les deux univers? Avec du fan-service?
Il n’était pas question de faire quelque chose de torché. Il fallait autant attirer les lecteurs de BD, leur faire découvrir l’univers du jeu, que les joueurs. En termes de fan service, c’est resté léger, il est dans l’état d’esprit des personnages et en rappelant des protagonistes déjà vus dans les précédents épisodes. La base restait ce nouvel environnement et ces nouveaux héros que les lecteurs et joueurs découvriraient.
Et ça fonctionne comme prévu?
Apparemment! Je suis content de ne pas croiser que des gamers en dédicaces.

Comment adapte-t-on des personnages 3D au papier?
Ce n’est pas très lourd et j’ai été assez heureux qu’on nous fasse confiance, l’équipe aurait pu vouloir un rendu graphique plus ultra-réaliste. Le tout, c’est de choper les caractéristiques essentielles du personnage, le modeler, se l’approprier. J’aime m’accaparer les personnages. Ça ne me plairait pas de faire un Tintin à la manière d’Hergé.
Avec des personnages qui ne sont pas dans le jeu?
Oui, Max et… Esperanza. Et ça me fait plaisir d’apprendre, même si rien n’est encore signé, que cette dernière est susceptible d’être réutilisée dans un spin-off. Ça veut dire qu’elle tient la baraque.

Dans ce sixième épisode et ce premier album, vous nous présentez Juan Cortez. Un petit nouveau, pas le Jack Carver que vous aviez découvert dans le premier opus.
Juan, c’est un personnage intéressant qui m’a rappelé le John McClane de Die Hard. Il se voit vieillir, il est blasé par la vie. Il est rongé mais il connaît les rouages.
Il y a là un triangle non pas amoureux mais géopolitique. Avec des faux-semblants et votre héros qui va-et-vient entre les commanditaires qui veulent se servir de lui mais qu’il manipule peut-être tout autant.
C’est son boulot, avec comme but de gagner un max. Mais il a quand même une éthique!

Avec un cahier des charges de la part d’Ubisoft?
Oui, forcément, mais je ne me souviens pas l’avoir eu dans les mains, le scénariste Mathieu Mariolle, lui, l’avait, et a créé son histoire sur cette base. Le dessin en était libéré. Naturellement, il ne s’agit pas de faire et dire n’importe quoi. Comme Tintin qui ne peut pas sortir avec une petite copine.
Il y avait une bible graphique, tout était à notre disposition. Nous piochions ce que nous voulions. Il y avait matière à analyse et à compréhension.

Sur quoi travaillez-vous, à présent?
Je suis sur un projet avec Damien Marie, deux albums aux éditions Grand Angle: Baikonour Blues. Ce sera un récit fantastique dans les steppes russes-kazakh, du côté de Baïkonour, ville bien connue pour tous les lancements de fusées qui y ont été effectués. Je vais changer complètement de style graphique.



Quid de Time Lost, autre récit d’action complètement fou dont nous avions découvert le premier tome il y a quelques années?
C’est en stand-by, actuellement, parce que d’autres projets se sont invités. Mais il faut dire que ce n’est pas de la faute de l’éditeur, qui a signé le tome 2.
Un deuxième tome de Far Cry est-il prévu?
Non, ça restera un one-shot.
Rappelons que vous travaillez aussi régulièrement pour la nouvelle formule de Métal Hurlant.


Merci Afif et bon rafraîchissement dans les steppes.
Série : Far Cry
D’après le jeu vidéo du même nom
Tome : 1 – Les larmes d’Esperanza
Scénario : Mathieu Mariolle
Dessin : Afif Khaled et Salaheddine Basti
Couleurs : Afif Khaled & Yassir Kerbal
Genre : Action, Espionnage, Thriller politique
Éditeur : Glénat/Ubisoft
Collection : Ubisoft
Nbre de pages : 88
Prix : 18€
Date de sortie : le 01/12/2021
Extraits :