Eve de Castro explore, dans l’Autre Molière, une hypothèse née il y a plus de 100 ans, du temps même de l’existence des deux protagonistes. Une hypothèse quelque peu dérangeante pour les grands fans de Molière. Une hypothèse qui voudrait qu’il n’ait pas écrit ses pièces lui-même mais que ce soit Corneille qui ait noircit les pages. Même si l’hypothèse est séduisante et a tenu en halène de nombreux amateurs de théâtre et historiens, elle a définitivement été enterrée en 2019 par une recherche qui a alors fait grand bruit. Soit, l’Autre Molière est un roman et ne s’en cache pas. Son autrice a choisi un parti pris et l’assume. A vous de trancher en sa faveur ou non !
« C’est une histoire où le bien et le mal se donnent la main. On y avance masqué, on y ment par profession, par vice, par nécessité, on y aime, on s’y trahit et on y ressuscite.
La nuit du 21 février 1673, une foule en larmes enterre le baladin Molière. Sous son capuchon, le vieux Corneille suit le cortège. Il vient pour Armande, la veuve. Il la désire en secret? Il va lui dire la vérité sur son mari. Et nous l’apprendre.
Molière et Corneille, deux faces d’une même médaille, deux génies liés par un pacte inavouable. Ces monstres sacrés avaient-ils plusieurs visages ? Que nous cache-t-on depuis trois cents ans ? »
Vous pardonnerez cette insertion du Malade imaginaire. Cette pièce n’a que peu de lien avec le livre que cette chronique a pour but de vous exposer. Mais c’est l’oeuvre ultime de Molière et c’est, à mon sens, la plus belle. Celle qui voit un rôle magnifique de femme au théâtre, celui de Toinette. La pièce qui m’a définitivement liée à jamais à l’amour de cet art du vivant. Depuis qu’un prof de français passionné avait choisi de passer sa soirée avec sa classe et de l’emmener au théâtre, au vrai. Nous avions quitté notre petite ville en car pour en rejoindre une grande. Il était tard, il faisait noir, nous étions jeunes et haut perchés (dans le paradis de ce théâtre à l’italienne)… La fosse était remplie d’un orchestre, les trois coups ont frappé et je suis tombée amoureuse d’un art, d’une pièce, d’un personnage, d’un auteur. Bref, je ne peux évoquer Molière sans penser à ce moment, à cette oeuvre… Et je voulais vous la partager.
Peinture de Gerôme (1824-1904) créée à la demande Louis XIV représentant Corneille et Molière
Coupons tout de suite court à toute interrogation, ce roman est une fiction. Elle part d’une hypothèse qu’une étude de Florian Cafiero et Jean-Baptiste Camps a démontrée comme erronée. Pour les amateurs de vérité historique, il faudra repasser…
Une fois que le cadre est posé, il est intéressant et plaisant de découvrir la vie, l’entourage et l’époque de ces deux géants du théâtre. Mais on peut s’interroger sur la part de vérité et de romance, la part de faits historiques et d’imaginaire que l’autrice a laissé dans ces pages. N’étant pas assez informée en la matière, je me garderai bien d’émettre un jugement. Les questionnements ne m’ont cependant pas quittée de la lecture. Certaines vérifications sont aisée mais des paroles ou des actions posées, les relations entre les protagonistes sont toutefois à mettre sur le compte de l’autrice.
Molière par Pierre Mignard
La forme du récit est particulière. En effet, les narrateurs font le titre des chapitres et les points de vue de l’histoire changent au gré du narrateur. Tantôt l’épouse, tantôt Corneille ou même Molière qui est pourtant décédé dès les premières pages. C’est toute une époque qui prend forme par leurs récits, des émotions, des secrets qui se dévoilent. Les liens avec les grands de l’époque, les moments passés auprès du Roi et de sa cour.
L’écriture est volontairement précieuse et complexe, telle un reflet de l’époque que nous conte l’autrice. Les amateurs de phrases courtes, de vocabulaire simple et précis et de punchlines ne trouveront pas leur bonheur ici.
Notons encore la qualité d’édition de l’Iconoclaste. Une couverture et un papier légèrement crème, épais et à relief. Doux au touché. Une illustration telle une gravure en couverture, des reliefs que l’on peut toucher au recto comme au verso.. C’est un bonheur et un confort. Dans un monde de plus en plus numérique, ce plaisir est immense et il est de plus en plus rare.
L’Autre Molière nous offre une vision, un parti pris audacieux de l’autrice Eve de Castro sur la vie et l’oeuvre de deux grands monstres du théâtre.
Titre : L’Autre Molière
Editions : L’Iconoclaste
Sortie prévue le 6 janvier 2022
Nbre de pages : 346 pages
Prix : 20 €