Un tramway nommé Désir est une pièce de Tennessee Williams traduite par Isabelle Famchon et mise en scène par Salvatore Calcagno. C’est plus que du théâtre. Pendant deux heures quarante, le metteur en scène a choisi de vous en mettre plein la vue et les oreilles. Il y a du cinéma, de la musique, du théâtre évidemment, un pianiste magique installé avec vous dans la salle et une interprétation bouleversante de danse par un Bastien Poncelet exceptionnel. Il est également le scénographe et costumier de la pièce et teinte donc la représentation de cette sensibilité qu’on lui découvre dans ses performances de corps en mouvement. Il est bouleversant. C’est donc un autre monde dans lequel j’ai été plongé au Théâtre de Namur, celui d’artistes qui s’expriment tant par la parole, que par des notes et leurs corps que nous propose cette adaptation moderne.
« C’est l’histoire d’un été torride. Une femme issue d’un milieu privilégié, Blanche DuBois, se retrouve à la rue après la perte de son emploi et de la maison familiale. Sans situation ni avenir, elle se réfugie chez sa soeur Stella. Elle découvre les conditions de vie précaires de sa soeur et le mari de celle-ci, Stanley.
C’est l’histoire de la confrontation de deux mondes opposés. Celui de Blanche, mue par son passé et son héritage. Et celui de Stanley, riche de son avenir et de sa force de travail. C’est aussi le portrait de femmes, de deux soeurs, toutes deux secouées par le désir d’exister. L’une vieillissante, fragile et apeurée devant le temps qui passe, voit ses fantasmes prendre le pas sur la réalité tandis que l’autre tente à tout prix de s’accrocher à la vie.
Dans cette nouvelle traduction vive et rythmée d’Isabelle Famchon qui donne à l’oeuvre une couleur tragi-comique, Salvatore insuffle son esthétique de la sensualité incarnée et de la poétique du quotidien. Il nous fait entendre la voix subversive de Tennessee Williams, dramaturge du désir transgressif comme moyen d’affirmation de soi, pour le meilleur et pour le pire. »

Lucas Meister nous propose un Stanley Kowalski « brut de décoffrage ». Alcoolique, peu soucieux des convenances, on a d’abord le besoin irrésistible de le détester. Il est violent, à moitié nu en permanence et guère heureux d’accueillir sa belle soeur Blanche. Son interprétation sonne tellement juste qu’on s’attache à lui et on aimerait également qu’il nous regarde avec des yeux qui dévorent. Je ne peux comparer avec la version de Marlon Brando (car je ne l’ai pas vue, une lacune à combler rapidement) et ce n’en est que mieux. Il est parfait dans le rôle.

Maria Bos est Stella DuBois-Kowalski, la soeur de Blanche et l’épouse de Stan. Elle est le parfait mélange de son mari et de sa soeur. Sans cesse positionnée au milieu du duel des deux acteurs, elle n’aura d’autre choix que de prendre parti, d’imposer ses propres choix. Son jeu d’actrice est parfois un peu gauche, comme si elle ne savait pas où mettre ses mains, comment se déplacer pour avoir l’air naturelle. C’est dommage car la voix et les émotions vocales sont justes. Son visage exprime toute l’entièreté de ses contrariétés, des ses passions, de ses inquiétudes.

Venons-en à la performance de Sophia Leboutte qui incarne Blanche DuBois. C’est réellement une performance que de tenir ce rôle de bout en bout. Les pages de textes qu’elle interprète semblent interminables. Elle est quasiment de toutes les scènes, n’a que peu de temps de pause et, dans les rares moments où elle ne parle pas, elle incarne le personnage en arrière scène. C’est un réel engagement physique. Mais j’ai le regret de constater qu’elle ne m’a pas convaincue. En effet, j’imaginais Blanche distinguée, hautaine et un peu évaporée. Je l’ai trouvée vulgaire, hystérique et pathétique. Est-ce voulu par la mise en scène? J’en doute. Par honnêteté, j’écrirai ici que les personnes qui m’accompagnaient au théâtre ne partagent pas mon ressenti et ont trouvé l’actrice remarquable dans son interprétation et crédible en séductrice vieillissante.
Bastien Poncelet n’a qu’un « petit » rôle dans cette pièce. Il incarne successivement le vendeur de tamales, une femme mexicaine et une infirmière. Mais il est BOULEVERSANT. Pourtant, on entend à peine quelques mots prononcés par l’artiste. Mais sa présence sur scène et dans la salle, les mouvements de son corps dans la danse et ses déplacements, les expressions et émotions que l’on peut lire sur son visage, dans ses gestes…. Il crève l’espace par sa présence simplement. Le regarder bouger vous transporte immédiatement dans un monde de grâce et de séduction pure, essentielle. Les larmes sont au bord des yeux tellement l’éblouissement provoqué par son personnage est fort. Notons également qu’il est le scénographe et le costumier de la pièce et la sensibilité ressentie dans les prestations de l’artiste imprègnent l’ensemble de la pièce. C’est la révélation ! Et je pense un jour m’offrir une soirée à Bruxelles pour aller assister à une prestation de l’artiste en cabaret sous les traits de Kimi Amen.
Notons encore la présence sur scène de trois artistes aux rôles secondaires mais indispensables au bon déroulement de l’intrigue. Réhab Mehal incarne la voisine Eunice Hubbell, séduisante et râleuse, serviable et solidaire. Tibo Vandenborre est un Mitch particulièrement « perdu » et peu débrouillard. Touchant par son éblouissement et ses sentiments pour Blanche. Et Pablo-Antoine Neumars est le voisin Steve Hubbell, de mauvaise fois et fêtard délaissant son épouse pour sortir avec les copains.
Impossible de terminer cette chronique sans souligner la prestation touchante, émouvante et pleine d’énergie de Lorenzo Bagnati au piano. Le metteur en scène a choisi de placer le piano dans l’orchestre, à côté des spectateurs et pas sur la scène… Les sons semblent alors plus proches que jamais et toute l’interprétation du pianiste est palpable car il n’est qu’à quelques mètres de nous. Ces instants apportent du repos aux acteurs et permettent un changement de décors en douceur mais sont aussi de véritables parenthèses de bonheurs et d’émotions pures pour les spectateurs.
Un Tramway nommé Désir
de Tennesse Williams
Mise en scène de Salvatore Calcagno
Artistes : Lorenzo Bagnati, Marie Bos, Salvatore Calcagno, Sophie Leboutte, Lucas Meister, Réhab Mehal, Pablo-Antoine Neufmars, Bastien poncelet et Tibo Vandenborre
Durée : 2h40
Vu au Théâtre Royal de Namur le 27 novembre 2021
Un spectacle de la compagnie garçongarçon, en coproduction Théâtre de Liège, Théâtre Varia, Mars – Mons Arts de la Scène, Atelier Théâtre Jean Vilar, Théâtre de Namur et DC&J Création avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique et de Inver Tax Shelter Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Service Théâtre.