Dans le monde de l’histoire et de la politique internationale, la Russie revient sans cesse sous les radars, dans la réalité comme la fiction, inquiétant ou prêtant au fantasme. Les camarades du Neuvième Art ne sont pas en reste pour s’approprier sous toutes les coutures ces vastes étendues prêtant à la guerre, à un peu d’enfer et à des aventures folles, sanguinaires aussi. Pour son arrivée dans le monde éditorial de la BD, la Frenchie de Pixar (maison pour laquelle elle est storyboardeuse, notamment sur les Indestructibles 2 et pour les films à venir Alerte rouge et Lightyear, spin-off de Toy Story consacré à la jeunesse de Buzz L’éclair!!), Melody Cisinski passe d’Ouest en Est avec La révolution des damnés.

Résumé de l’éditeur : 1905 aux bords du lac Kitej, en Russie, la jeune Elena et ses deux soupirants Yuri et Nikita sont inséparables. Mais en 1917 Elena décède tragiquement et laissent les deux jeunes hommes dans le désarroi. Le premier devient un anarchiste réputé tandis que le second est promu à un haut grade dans l’armée bolchevique. Deux » frères » , deux destins que tout oppose mais qui luttent pour libérer la Russie du joug tsariste…

Il y a un siècle, une éternité, et pourtant c’est tellement frais dans la mémoire des décors millénaires. Les guerres marquent durablement les esprits, autant ceux des hommes que de la nature qui pleure d’être abimée par les progrès, tortureux, de l’Homme. Vectrice de mort et de blessures au corps (comme l’ambigu leader bolchévique Nikita, sorte d’Albator du mauvais côté de la force, avec son bras en moins) mais aussi de changement et de progrès technologique, la guerre est un laboratoire à ciel ouvert pour les expériences les plus porteuses mais aussi effrayantes.




C’est de l’homme mangé par la machine, mais aussi par ses propres ambitions, que parle Melody Cisinski en explorant pourtant les faiblesses, les failles et les cicatrices de deux « frères » amis puis ennemis. Frères d’armes jusqu’au-boutiste, avec leurs parts d’ombre qu’on découvre petit à petit. S’il n’y avait qu’eux… mais, au-delà de leurs gestes parfois plus égoïstes qu’héroïques, il y a des gens, des familles, à défendre. Et petit à petit, ces deux ennemis seuls au monde et au champ de bataille sont rattrapés par d’autres visages, d’autres destins qui ont d’autres finalités que l’unique vengeance.


Des personnages aux allures simples et épurées, graphiquement, qui recèlent des complexités, dans des décors taillés pour impressionner, sous un voile grisâtre et un choix parcimonieux des couleurs pour faire ressortir les enjeux. Pour jouer avec le feu avant de le faire exploser.


Dans cette fresque fiévreuse, éprouvante et finalement inattendue, la jeune auteure réussit une belle réinvention, dans les idées aussi, de la révolution russe, en suivant à sa guise le cours de l’histoire pour ensuite converger vers des ingrédients de science-fiction voire de fantastique. Sous des allures enfantines, voilà un album hybride dans les courants artistiques continentaux qu’elle emploie pour faire sa force.

Entre Dostoïevski et Kurosawa, Melody Cisinski livre un album de belle facture, mature et adulte, propulsé par un trait qui semble facile mais d’une efficacité redoutable pour faire passer les symboles, les mille sentiments qui émaillent des protagonistes et la peur que la folie technologique mais suppléant un cerveau malade gâche définitivement tout.

Sur son Tumblr, Melody Cisinski propose un grand making-of, super-intéressant, des débuts de cette saga.
Série : La révolution des damnés
Tome : 1 – Le Chaos
Scénario, dessin et couleurs : Melody Cisinski
Genre : Drame, Guerre, Science-fiction
Éditeur : Robinson
Nbre de pages : 176
Prix : 19,95€
Date de sortie : le 20/01/2021
Extraits :