De toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, c’est un univers en (dé)construction sur la couverture du magnifique album que signe Élodie Durand. Un essai, aussi, abordant le choc des mondes qui se produit quand quelqu’un sort du rang de cette « normalité » que certains ont instituée (ça commence sur la carte d’identité) et prônée depuis trop longtemps. Transitions, c’est l’histoire d’un changement de genre, thématique autour de laquelle les langues se délient et qui a fait l’objet de plusieurs oeuvres documentaires ou de fiction ces dernières années, montrant souvent le décrochage familial qui se produit lors de ces « coming out ». Pas cette fois, c’est une mère qui prend les rênes de ce récit.

Résumé de l’éditeur : » Vous savez, les genres féminin et masculin sont les deux extrêmes d’un état. Chacun est libre de mettre le curseur où il veut, où il peut. » Les mots de la psychologue du planning familial bousculent Anne. Elle n’a rien vu venir. Sa fille est un garçon… Anne bataille, se déconstruit, apprend, s’ajuste à son enfant, pour se fabriquer un autre regard, un nouveau paradigme.

Femme cisgenre, Anne n’a pas de problème avec le genre qu’on lui a assigné à la naissance, ce qui ne fait peut-être que renforcer son malaise. Car oui, sa fille, Lucie va devenir Alex. Elle ne lui demande pas son avis (qu’Anne essaie d’abord tout de même de lui donner, la priant de faire demi-tour, de ne pas commettre ce qui est à son sens irréparable) mais sa compréhension. Mais comment comprendre ce qui semble inexplicable ? C’est dur. Parce que dans nos sociétés, rien ne nous prépare à l’entre-deux, plus que jamais il faut trancher. Peut-être même que la crise actuelle n’a jamais autant favorisé les schismes, mais c’est une autre histoire.

Toujours est-il que plus que jamais on a l’impression qu’on nous demande de choisir un camp. Mais les camps, les idées, les concepts ne reposent-ils pas sur des éléments et des choix finalement très subjectifs. Comme ceux qui ont mené à séparer l’humain en deux catégories, homme et femme, à creuser l’inégalité entre les deux sexes, l’un étant dit fort et l’autre faible. Alors que tout est finalement très artificiel, mais suffit à l’exclusion de ceux qui ne rentrent pas dans les cases cochées par nos institutions, les organismes sociaux, etc. La tolérance qu’on agite comme un drapeau blanc n’est qu’un petit remède face à tout ce qui a été institutionnalisé siècle après siècle. Mais le bien-être de chacun dépend avant tout de lui-même. Et Lucie a choisi de devenir Alex, de suivre un traitement pour harmoniser son corps avec l’identité qu’il ressent en elle, prendre une apparence masculine, sans nécessairement changer de sexe, comme on pourrait le dire, sans réfléchir, en prenant un raccourci fort dommageable. Un changement de genre, c’est une autre transformation encore.


Anne (prénom d’emprunt) fait la part belle à l’intime et à l’universel, dans le journal qu’elle a confié à Élodie Durand qui le porte avec beaucoup de vie, de dynamisme et de didactisme à nos yeux. Si Anne reste une mère tout au long de ce roman graphique, en proie au doute et à la frustration, incapable de trouver les mots et de ne pas s’éloigner de son enfant, la scientifique biologiste qu’elle est se rappelle à elle. En long et en large, en notes de bas de page, la voilà qui, après s’être interrogée sur ce qui avait foiré dans son éducation, questionne ce qui a dérapé dans l’édification du monde telle qu’on l’a conçu et solidement arrimé pour qu’il ne vacille en rien face aux personnes qu’il reconduisait à la frontière de ses normes. Sinon lui et ceux qui l’on monté, ceux qui le défendent (parce que malheureusement, les médecins et psychologues « safe », capable de concevoir et d’encourager le changement de genre, se comptent sur les doigts d’une main; les professionnels de la santé hermétique à cette possibilité (dès la naissance de l’enfant, parfois) sont bien plus nombreux), personne n’est coupable.

D’ailleurs, pourquoi chercher la trace d’une culpabilité dans ce qui ne devrait finalement faire l’objet que de discussions constructives et non de débats stériles et catégoriques. Ainsi, pour une fois, c’est le point de vue des parents qui est illustré. Parents bouleversés, combatifs, incapables de comprendre, dans un premier temps. Jusqu’à l’ouverture, la résilience, l’acceptation? … non plus fort encore, la compréhension qu’il est normal de vouloir être bien dans son corps, bien dans sa tête, dans la quête de soi et son accomplissement.

Entre le portrait de cette famille qui vit des moments difficiles mais s’accrochera finalement à l’essentiel, au bien-être de tous, cet album BD est un parfait manuel d’éducation aux genres, qui se comptent bien plus qu’au nombre de deux. On voyage dans la science, la sociologie, les modes, le langage, les pays et les traditions qui ont gravé le fait que les femmes ne devaient pas forcément se comporter comme des femmes tels que nous l’entendons, et les hommes, pareil! Parce que barbes et robes peuvent passer de l’un à l’autre, par exemple.

Touffu mais direct, lourd et léger, Transition ouvre la porte à un sujet qu’il faut construire et déconstruire sous toutes ses facettes, ses schémas (et Élodie Durand n’a pas eu peur de faire classe durant quelques pages) plutôt qu’à chercher à le résumer. Il sera encore temps de le résumer quand le changement de genre ne sera plus vu par d’aucuns (et ils sont nombreux, hypocrites et égoïstes, malheureusement) comme une tare monstrueuse, une incongruité, mais sera sorti du tabou (qui m’est incompréhensible) pour être communément accepté, banalisé. Parce que pour qu’une société soit bien dans ses baskets, capable du meilleur, la condition sine qua non est que tous ses individus le soient aussi.

Transitions, c’est une danse, houleuse, douloureuse, gracieuse et finalement libératrice et fondamentale.
Et pour continuer la démarche d’ouverture, de compréhension, je ne peux que vous inciter à aller visiter la page Instagram TransMission d’Amour du photographe Olivier Ciappa qui a commencé son périple positif et rayonnant pour devenir Olivia.
Titre : Transitions
Sous-titre : Journal d’Anne Marbot
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Élodie Durand
Genre : Autobiographie, Documentaire, Société
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
Nbre de pages : 176
Prix : 22,95€
Date de sortie : le 07/04/2021
Extraits :