En ce jour glacial de novembre 2018, Yoann, 35 ans, électricien au chômage, parade, fier, sur la plus grande avenue de la plus grande ville de France. Mais Yoann n’arpente pas seul l’avenue des Champs Elysées. Des hommes, des femmes, en provenance comme lui du fin fond de la Creuse l’accompagnent. Tous ont l’intention de faire entendre leurs voix. De ce gouvernement qui les taxe et les spolie de plus en plus, ils en ont plus qu’assez. Bizarrement, c’est un sentiment de liberté qui prédomine. Yoann se sent comme invincible au sein de ce groupe. Jusqu’à ce qu’arrivent les CRS, les coups de matraques, les gaz lacrymogènes qui vous bousillent les poumons, les menottes qui vous tordent les poignets et les nuits passées au commissariat, couché sur un matelas puant l’urine.
C’était la première fois de sa vie que Yoann manifestait.
Il ne se remettra jamais vraiment de cette arrestation.
De son côté, Eliel Laurent, jeune journaliste à Libération, intrigué mais aussi légèrement effrayé par les Gilets jaunes, vus par beaucoup comme des vandales assoiffés de sang, se voit chargée par son rédacteur en chef de faire le portrait d’un membre emblématique de ce mouvement. Son choix se portera sur Yoann, un manifestant qui lui semble bien loin des clichés véhiculés par les médias.
Ce qui frappait dans la masse de manifestants qui, par grappes de silhouettes noires cuirassées de jaune vif, commençaient à se rassembler, ce 1er décembre, dans un froid glacial au pied de l’Arc de triomphe, c’était l’impression de fierté.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Aude Lancelin ne porte pas Emmanuel Macron dans son coeur: un chef d’état qui, selon elle, a été entièrement fabriqué par les grands patrons dans le but de défendre leurs intérêts. « Un homme mi-rapace au profil acéré, mi-garçonnet aux yeux bleus tendres » usant et abusant de la presse pour attirer l’électeur de plus en plus perdu dans les méandres de la politique française. Mais, même si, dans ce premier roman au style très classique (il faut parfois s’accrocher), Aude Lancelin s’en prend ouvertement à Macron et à son gouvernement, ce texte existe avant tout et surtout pour rendre hommage à un jeune homme que la journaliste a croisé et dont elle comptait faire le portrait. Malheureusement, Yoann, ce jeune Creusois taciturne mais borné, décidé à faire entendre ses revendications et celles de ses camarades d’infortune, a mis fin à ses jours avant que ce projet n’aboutisse.

Ce que souhaite également ardemment Aude Lancelin via cet ouvrage, c’est que le mouvement des Gilets jaunes soit définitivement inscrit dans l’histoire avec un grand H. En effet, on n’avait plus vu tel soulèvement depuis mai 68. Un mouvement que la journaliste se garde d’ailleurs bien de magnifier et qui, comme elle le démontre subtilement dans cet ouvrage, a été perçu de diverses manières par les différentes bulles sociales composant notre société. Quoiqu’il en soit, l’intelligentsia parisienne, l’armée, la presse… Tous en prennent pour leur grade dans ce roman complexe mais néanmoins intéressant.
Titre : La Fièvre
Auteur : Aude Lancelin
Genre : Roman
Éditeur : LLL
Nbr de pages : 304
Date de sortie : 02/09/2020
Prix : 20€