Les mondes possibles, c’est un recueil d’entretiens entre Pascaline David, cofondatrice des éditions Diagonale, et Jérôme Ferrari, philosophe et écrivain (Prix Goncourt 2012, notamment) chez Actes Sud. Les thèmes abordés sont relatifs aux processus créatifs et laborieux de l’écriture mais s’élargissent sobrement à quelques faits d’actualité ou intérêts de l’auteur. Mais comme Jérôme Ferrari est un érudit, un philosophe et un pédagogue, son propos trouve écho, grandit le lecteur que nous sommes. C’est passionnant, intelligent et riche.
Je ne peux pas écrire quelque chose en quoi, d’une certaine manière, je ne crois pas. Je sais bien que c’est de la fiction mais, en même temps, il faut que j’y croie. Il faut que j’y croie parce que sinon pourquoi irais-je l’écrire ? Il faut que j’y croie et que ce soit comme si je regardais quelque chose qui se déroule dans une espèce de petit monde.
« Saisir les secrets de la création en regardant par-dessus l’épaule d’un grand écrivain tandis que le texte s’élabore, c’est peut-être là le désir de tout nouvel auteur. Dans ce grand entretien, Pascaline David lève le voile sur le travail d’écriture et l’univers romanesque de Jérôme Ferrari.
L’écrivain aborde des thèmes aussi variés que le rôle de l’enfance dans le déploiement de la vocation romanesque, la construction de personnages, la mise en œuvre de la langue, l’élaboration du récit ou le travail de l’écriture proprement dit. »
C’est par la Corse que commencent les entretiens avec l’auteur. Parce qu’il est corse. Parce qu’elle est inscrite, en filigrane ou au premier plan, dans ses romans. Parce qu’elle le constitue. Parce qu’elle fait de lui l’être qu’il est. C’est la Corse des vacances d’été que le petit Parisien retrouvait, celle des rues envahies de monde, celle de la lumière blanche qui écrase tout. Mais c’est aussi la Corse de l’hiver, des ombres tranchées, de l’horizon qui s’élargit parce que les vapeurs de chaleur ne brouillent plus le paysage.
Les entretiens sont articulés sous la forme de questions-réponses. Il n’y a pas de réelle discussion, parfois une réflexion de l’éditrice Pascaline David, une précision. C’est essentiellement autour de la pensée de Jérôme Ferrari que le propos s’articule.
Ce que peut faire un roman, c’est justement poser un problème au niveau qui est le sien. c’est-à-dire pas dans les concepts. Pas dans l’analyse abstraite. Mais dans la singularité et l’incarnation.
C’est particulièrement instructif et intéressant d’ouvrir la petite porte que l’auteur nous indique pour jeter un œil sur son travail. Comment vient l’idée d’un roman, comment devient-on écrivain ? Quels processus conduisent à l’obtention d’un roman ? C’est d’abord et avant tout en étant lecteur qu’un auteur se construit pour Jérôme Ferrari. Pas dans l’objectif de plagier ce qu’il aura lu mais de s’en nourrir et de le digérer. Par l’exemple, les autres lui ouvrent les mondes possibles qui s’offrent à lui. Et il reprend cette phrase de Leibniz :
On ne peut nier que ce que l’on appelle « roman », ce soient des mondes possibles.
C’est passionnant de suivre le processus créatif, de comprendre, de cheminer dans la démarche laborieuse qu’est l’écriture. Je pourrais vous dire que c’est facile, que les fulgurances s’imposent à lui sous forme de flashs et qu’il lui suffit de s’asseoir derrière son écran pour que les mots s’écoulent de ses doigts mais ce n’est pas comme ça que fonctionne l’auteur. Il y a beaucoup de préparation en amont d’un roman, cela vaut pour lui mais c’est captivant.
Pour l’auteur, écrire nécessite avant tout un travail de recherche, de lecture, de récolte de témoignages. Car il ne peut créer de la pure fiction. Pour lui, « La littérature n’est pas une entreprise de divertissement ». C’est une expérience de la langue et elle est faite pour élever. Pour permettre au lecteur de découvrir un certain type de vérité. Pour qu’il puisse percevoir une idée, un point de vue que sa simple vie, son monde ne lui aurait pas permis. Il est adepte des phrases longues, avec beaucoup de syntaxe et de virgules. Il a poussé le concept dans « Un dieu un animal » en ne découpant pas son roman en chapitres. Tout s’enchaîne d’une seule traite, même si l’écriture, elle, fût très laborieuse.
C’est pour répondre aux interrogations des jeunes auteurs qui envoient leurs manuscrits dans sa maison d’édition que Pascaline David a eu l’idée de ce projet. Et il dépasse de loin l’objectif poursuivit car ces entretiens sont réellement passionnants.
Avoir lu l’auteur n’est pas indispensable à la lecture de ces entretiens. Il faut juste être curieux, ouvert à l’expérience de l’autre sur la description d’un processus créatif. Avoir choisi Jérôme Ferrari est un gage de qualité. La formation philosophique de l’auteur ouvre les horizons et élève le propos. On en ressort grandit, intellectuellement plus riche.
Auteurs : Pascaline David et Jérôme Ferrari
Editions : Actes Sud / Diagonale
Sortie prévue le 12 février 2020
Nbre de pages : 173 pages
Prix : 18 €