De Funès aurait pu incarner le Voltaire de Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot: « Il était assez gesticulant, très expressif »

Les biopics se suivent, se ressemblent mais ne s’assemblent pas toujours. Alors que Clément Oubrerie vient de publier le deuxième tome de son Voltaire Amoureux, deux autres auteurs entrent dans la danse qui consiste à retourner sa veste plus vite que son ombre et souvent du bon côté. Oui, Voltaire était comme ça. Et l’adaptation, quasi De Funesienne, qu’en font Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot est particulièrement soignée et bien amenée. Comme une longue balade, un jour de soleil et de nature fleurissante dans les alentours de Ferney. Rencontre avec Jean-Michel Beuriot.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Bonjour Jean-Michel, c’est toujours en compagnie de votre complice, Philippe Richelle, que nous vous retrouvons dans une variation autour de la vie de Voltaire. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Le but de Philippe était de faire un album sur ce personnage on-ne-peut-plus-scolaire en s’en amusant. Cela fait une quinzaine d’années que nous voulions aborder le Siècle des lumières. Nous en avons souvent parlé, à chaque fois en fait. Parce que cette époque, c’est le début de la modernité, la science, les découvertes. La voie vers un monde qui n’a plus d’explication divine, puisque le savoir la battait en brèche.

Du coup, pourquoi ne pas prendre Voltaire comme personnage central ? J’avoue, cette idée m’a fait peur, tant il me paraissait austère, scolaire. Philippe m’a réconforté en le voyant sous l’angle du divertissement.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Vous parlez d’un personnage scolaire, mais, justement, le lit-on encore ?

Oui, je crois. J’ai fait mes études à Paris à l’École Georges Méliès et j’ai dû le lire. Puis, beaucoup de jeunes lisent Candide. J’ai vu des jeunes filles l’adapter en film d’animation. Puis, depuis les événements désastreux, terroristes, de Paris, il y a un retour à Voltaire.

Du coup, comment l’approche-t-on ?

Il a fallu le réapprendre, en avoir une vision moins statufiée. Celui qu’on voit en pourfendeur se révèle dans ses plus grandes ambiguïtés au fil des événements. Voltaire était un fils de notaire qui enviait à la fois les nobles tout en les méprisants. Puis, il y a cette polémique autour de son enrichissement personnel qui serait lié à la traite, un portefeuille d’actions auprès de la Compagnie des Indes. Ce qui entacherait quelque peu son aura de défendeur de la Liberté. Mais était-ce volontaire, était-il au courant ?

Toujours est-il que c’est un personnage un peu comme Hergé, qui doit être replacé dans son époque. Il véhiculait les idées de son époque – notamment le fait que les Juifs étaient mis au ban de la société et vu comme des profiteurs, tous prêteurs sur gage s’enrichissant sur le dos des gens – mais certainement pas son point de vue politique.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Pour le cerner, vous lui attitrez un biographe.

Une invention de Philippe pour permettre d’en arriver aux moments les plus révélateurs. Puis, ce long dialogue est émaillé d’une enquête sur le Chevalier de la Barre, un jeune noble accusé d’avoir profané un christ en bois et souiller un monument religieux en déposant des immondices. Il sera soumis à la question, à la torture des brodequins – tout en n’allant pas trop loin pour le maintenir en vie – et finalement condamné à mort à la suite de la découverte, chez lui, d’un dictionnaire philosophique de Voltaire. Ce fut le dernier procès en inquisition en France, sous Louis XV.

La première chose qu’on voit d’un livre, c’est sa couverture, comment l’avez-vous élaborée ?

Elle a pris beaucoup de temps. J’ai commencé les premières versions à partir de 20 ou 30 planches. J’en ai proposées, nous avons discuté. Notamment au niveau des propositions de mise en page de la couverture. Et c’est Néjib, le directeur artistique de Casterman, qui a proposé cette idée d’arbre. Qui présente assez bien le titre.

Un arbre qui existe réellement ?

Oui, mais pas à cet endroit malheureusement. Il est issu d’une photo que j’ai faite, à l’orée d’un bois. J’aimais ce tronc court et ce feuillage développé. C’est presque une image biblique. Cela représente bien le savoir, la sagesse. Tout en y mettant une certaine ironie, avec Voltaire qui discourt au pied de cet arbre.

Et le titre, avez-vous tourné autour ?

Au départ, nous pensions aux Rendez-vous de Ferney. Mais c’était un titre trop neutre pour Casterman. À raison. Nous avons proposé des centaines de titres. Ça ne coulait pas de source. Jusqu’à ce que nous soyons séduits par le rapprochement de deux notions : le culte, qui a trait à la chrétienté, et l’ironie, le type d’humour que Voltaire pratiquait.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Et une nouvelle technique de dessin.

Oui, j’ai changé ma technique par rapport à la série Amours fragiles sur laquelle je procède de manière traditionnelle : le trait noir à l’encre, après quoi je scanne et je colorise. Ici, j’ai choisi les couleurs directes. J’ai fait mon dessin au crayon, que je n’ai pas repassé à l’encre et sur lequel j’ai directement appliqué mes aquarelles. Par glacis, des couches de couleurs qui prennent en intensité. Il me semblait que j’allais apporter plus de nuances par cette méthode.

Je ne voulais pas d’un trait noir, qui alourdisse. Cette méthode, je l’ai voulue autant qu’elle s’est imposée. Je ne voulais pas représenter des décors surchargés, je préférais suggérer des motifs décoratifs. J’y ai mis des références, des inspirations de peinture venant de Watteau, Fragonard, Quentin de La Tour. Eux aussi ont donné des indications sur les vêtements.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

J’ai travaillé scène par scène, pour avoir la même température. Je plaçais sur une table à côté tous les dessins et je passais de gauche à droite, case par case. Sur un format beaucoup plus grand que l’album, sur du 30-40 cm en virtuel. J’ai ensuite assemblé chaque case sur Photoshop. Avec ce même logiciel, j’ai dessiné les bulles et les textes incrustés. En tout, ça a donné 850 aquarelles, poussées.

Autre pan de travail, la documentation…

Ce fut un énorme travail. D’autant plus que c’était toute la vie de Voltaire qu’il fallait évoquer, avec une évolution des costumes, des perruques. Même si Voltaire avait un côté ringard. Ainsi, à la fin de sa vie, à l’époque où les nobles avaient opté pour la perruque à rouleaux, il préférait celle à boucles.

Pour les personnages, je pense que c’est au dessinateur de faire le casting, de trouver des personnages qui collent bien. Ici, à chaque fois que Philippe en faisait intervenir un nouveau, je m’efforçais de trouver une gravure. Pareil pour les lieux que Voltaire a fréquenté. Pour certains personnages, je n’en ai pas trouvées, je me suis rabattu sur des peintures, me suis inspiré de l’attitude des bourgeois.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Qu’est-ce que l’écriture de Philippe Richelle est fluide, légère, non ?

Moi, je suis admiratif de la qualité de construction de ce récit. Cette manière d’alterner les deux intrigues. On ne voit pas où il veut en venir et on ne sent pas les ficelles… il n’y en a pas ! L’intrigue se noue subtilement.

D’autant plus que le dessin ne suit pas forcément le texte. À certains moments, ils agissent séparément, ce qui ne serait pas possible en littérature classique.

C’est vrai, ce n’est possible qu’au cinéma ou en BD. Cette astuce me plaisait, montrer en parallèle des choses différentes. Au-delà de ça, les ellipses, peu importe ce qu’il va se passer, créent des situations ambiguës. Puis, le personnage se remet en question d’une planche à l’autre.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

Et se comporte de manière inattendue.

C’est ce qu’on cherchait. Comme dans cette scène coquine avec Pimpette après laquelle, nu, il s’enfuit par la fenêtre. C’est un personnage humain, proche de nous, Voltaire. Puis, il y a cette scène où Adrianne Le Couvreur l’embrasse. Dessiner les femmes, ça m’a toujours plu. Puis il y a ces châteaux, cette campagne française, cette ambiance bucolique.

Des difficultés tout de même ?

Les scènes d’intérieurs des riches nobles, surchargés. C’est pénible.

Puis, les situations les plus complexes étaient les séquences de torture. Il faut trouver les bons documents. J’ai déniché, là encore, des gravures. Cela dit, il y a eu encore pire que ce que nous montrons, comme des dépiotages vivant ! Rien que pour ça, pour faire face à l’obscurantisme, je suis content que Voltaire ait existé.

En se tirant souvent la couverture à lui.

Mais il a quelque chose de moderne dans ce personnage : cette manière de se faire de la publicité, d’attirer l’attention, d’être politiquement incorrect.

© Richelle/Beuriot chez Casterman

En vous lisant, je me suis dit que Voltaire aurait pu être un bon rôle pour un De Funès.

C’est vrai qu’il y a de ça, il était assez gesticulant, très expressif. J’aime être entre le réalisme et la caricature, bien typer le personnage pour rendre juste. Après, ça pose aussi la question du jeu, de la mise en scène. Il y a une relation entre le fait de bouger et de dire un texte. Il faut que ça aille de pair. Ce fut une grosse réflexion tout au long de cette balade. Que faire des bras, de la tête. Vous savez, il existe mille manières d’ouvrir une porte.

Quels sont vos projets ?

On aurait bien aimé faire un autre one-shot. À un moment, la question s’est posée d’embrayer sur d’autres philosophes. Alors, peut-être pas Rousseau, mais Diderot pourquoi pas ? Mais cette hypothèse s’éloigne.

Puis, il y a le tome 8 d’Amours fragiles. Dix planches sont déjà réalisées. Le neuvième, quant à lui, sera double. Nous raconterons la fin de la guerre, le Reich s’est effondré et Martin recherchera ses proches dans les ruines de l’Allemagne.

En attendant, le tome 2 a subi une révision de couleurs
© Richelle/Beuriot chez Casterman

Tiens, dans cet album-ci, vous laissez très peu de place aux oeuvres de Voltaire.

Elles sont tellement connues. Puis Voltaire n’a pas été rendu célèbre par sa dramaturgie. Il nous semblait inutile d’aborder cette question. Mais, par contre, si cet album donne envie de prolonger et de relire les oeuvres de Voltaire, ça ne pourra faire que le plus grand bien.

Enfin, l’album vient donc de sortir, vous avez des rituels ?

Oui, j’ai d’ailleurs posté des photos de ma visite chez l’imprimeur. Cette fois, il m’importait de suivre le processus, il était important que les aquarelles soient fidèles à la manière dont je les avais conçues. Ce fut le cas.

Merci Jean-Michel et très bonne continuation. Rappelons que le Slumberland-Bd World de Wavre accueille jusqu’au 31 octobre une exposition-vente de vos aquarelles de Voltaire.

Titre : Voltaire

Sous-titre : Le culte de l’ironie

Récit complet

Scénario: Philippe Richelle

Dessin et couleurs : Jean-Michel Beuriot

Genre : Biographie (librement inspirée de faits réels), Histoire

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 97 (+ 6 pages d’entretien avec les auteurs)

Prix : 20€

Date de sortie : le 21/08/2019

Extraits : 

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.