De la Nuit de Circé à l’aube du Dernier Atlas, Fabien Vehlmann entre intime et universel : « Je n’aime pas les héros omniscients, toujours partout »

Et soudain, dans la brume, pas un gorille, mais un géant de fer, un robot d’un autre temps. Et là, dans la nuit du plaisir, des amoureux qui s’échangent et partagent leurs expériences. Homme de collaboration, Fabien Vehlmann a répondu à nos questions à propos de deux de ses dernières parutions : le premier tome du Dernier Atlas et Polaris ou la nuit de Circé. Deux oeuvres incroyables de sensibilité, pas forcément facile mais aboutie à force de questionnements et de recherches. Deux facettes d’un scénariste phare mais aimant répartir la lumière sur ses associés de premier choix et des thèmes différents, peu traités. Pas de cette manière en tout cas. Interview.

Bonjour Fabien, avec Le Dernier Atlas, c’est la première partie d’une épopée que vous nous livrez. Et déjà un pavé.

Oui, mais paradoxalement, si j’en crois les premiers retours, ça se lit vite. C’est bon signe.

Pourtant, à la base, c’est en feuilleton que vous imaginiez publier ce projet.

C’est feuilletonnant et c’est lié à la genèse du projet. À l’époque où il a vu le jour, nous pensions le prépublier en numérique dans le cadre de la revue du Professeur Cyclope. Mais le projet était trop important, d’autant plus que la revue s’est gamellée. L’idée fut abandonnée jusqu’à ressurgir, après la liquidation. Ça aurait été dommage de jeter le bébé avec. Du coup, nous avons gardé le chapitrage et avons repris cette aventure en main.

© Vehlmann/De Bonneval/Tanquerelle/Croix/Blanchard chez Dupuis

Cela dit, victoire, ce premier album est quand même paru sous forme de fascicules.

C’est vrai, mais a priori, ce ne sera plus le cas pour le tome 2. Ce sont de beaux objets en noir et blanc qui ont été proposés gratuitement aux lecteurs en guise d’opération de promotion. Ils ont eu leur succès. Le but était d’attirer le public par l’étrangeté de cette publication périodique.

À vous entendre, c’est un album qui a mis longtemps à se faire.

Quinze ans, en fait. J’ai retrouvé ma première idée, l’esquisse, elle datait de 2003. À l’époque, pour m’aider à trouver des idées, je faisais des collages surréalistes, mélangeant des titres de film et des images. Et notamment le film Les géants du ciel. Après recomposition, je tombais sur quelque chose qui m’évoquait presque les boat people, avec un bateau qu’on voyait de dos, rouillé. Pas très loin de Goldorak, non plus. C’est ainsi que j’ai imaginé cette machine en train de pourrir, de manière insoupçonnée, dans un entrepôt, au beau milieu d’une population défavorisée. Comment cette machine, ce robot se redresserait-il ?

Recherches © Vehlmann/De Bonneval/Tanquerelle/Blanchard

Cette idée parmi tant d’autres, je l’ai sortie des limbes pour la concrétiser, dès 2008. Avec Juanjo Guarnido, nous en avions discuté. À l’époque, il n’était pas encore question d’équipage, il n’y avait qu’un seul pilote. Par contre, l’idée du robot de construction était déjà bien présente.

Il n’était pas non plus question d’Algérie. Les pièces du puzzle se sont assemblées avec Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle.

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Pourquoi l’Algérie ?

Mon père, militaire, a participé à ce conflit. Il est décédé en 2008. Je savais qu’un jour j’aborderais le sujet mais je devais laisser faire le temps. Même pour l’introduire de manière détournée, surtout d’ailleurs.

Cette guerre, c’est un énorme non-dit, le traumatisme laissé par une métropole insensible et se souciant peu de cette colonie lointaine. Jusqu’à ce qu’il y ait un revirement, une résistance. Alors que les méchants de service, jusqu’à preuve du contraire, ce sont les envahisseurs. Bref, ce fut un des déclencheurs de ce projet, mais le thème de la guerre n’est pas tant présent que ça dans ce premier album. S’il y a une tonalité politique et qu’il y a une menace possiblement extra-terrestre, on dépasse la guerre. Le domaine énergétique polarise ce début d’histoire, la vague migratoire aussi. Avec différents lieux explorés.

© Vehlmann/De Bonneval/TanquerelleBlanchard chez Dupuis
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Comment auriez-vous fait si c’était paru en numérique ?

Nous voulions en faire un turbo-média. Case par case, le trait était « amélioré » par un effet d’animation. Mais nous aurions tout remonté pour l’album. Ce sont deux modèles différents, il faut que l’histoire soit à la fois lisible en numérique et en album. Ce qui donne beaucoup de boulot. Pour les gens qui s’occupaient de l’animation de cette aventure, l’expérience a dû être douloureuse. S’ils se reconnaissent, je voudrais leur dire que ce n’était pas une question de talent. Ils en avaient mais nos attentes, basées sur le charac-design de Hervé, étaient trop exigeantes. Comme si nous tentions l’ascension de l’Everest par la face nord, alors que la face sud se suffit déjà à elle-même.

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Puis, la fin de Professeur Cyclope est venue tout anéantir un peu plus. Je pensais que le projet était vraiment mort. Je n’étais pas sûr de retrouver l’énergie pour le concrétiser. Tout était mort pour les héros. Il m’a fallu 3-4 ans pour y revenir. Ce n’est pas comme dans les blockbusters quand, après 2 min 30 de chaos, le héros parvient à rebondir. Ce projet, comme ce qu’on y raconte d’ailleurs, il a fallu le ressortir de la décharge !

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Comment ?

Finie sans être finie, chacun remuait dans son coin ce qu’il subsistait de cette aventure douloureuse. Mais, curieusement, nous n’en avions pas fait le deuil. Jusqu’au jour où nous nous sommes dit : si nous ne le faisons pas maintenant, nous ne le referons jamais. La question se posait : avec qui ?

C’est à Hervé Tanquerelle que nous avons proposé, en premier, la reprise du projet. Justement, il y réfléchissait, envieux des autres engagés sur le dessin lors de la première mouture. Il se sentait dépossédé de son travail comme il en avait fait le charac-design et, surtout, ça le démangeait, il pensait en être capable, s’il était secondé par Fred Blanchard. Yoann et moi, nous travaillions déjà avec lui sur les Spirou. Tout s’est mis en place.

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Ce n’est pas la première fois que nous tenons un album signé Vehlmann et De Bonneval. Mais celui-ci est différent.

C’est vrai, nous sommes coscénaristes, là où jusqu’ici, sur nos collaborations, il n’avait jamais été crédité en tant que tel. Évidemment, quand il est dessinateur, il intervient toujours dans mon histoire, il y a une part de coscénarisation mais rarement l’appellation le signifie. Cela dit, il n’y a pas de règle absolue, certains dessinateurs interviennent beaucoup, d’autres très peu. Et certains scénaristes livrent un scénario qui n’est pas destiné à être amendé.

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Ici, Gwen ne dessine pas du tout, c’est un statut qu’il a très peu vécu. Mais, sans lui, je me serais trop laissé emporter par la guerre d’Algérie. Si le récit était fleuve, il ne fallait pas le noyer par trop d’informations. Il me fallait un soutien pour ne pas passer à côté de possibilités.

Du coup, nous nous donnions des rendez-vous, une demi-journée à chaque fois, pour lesquels nous nous fixions trois ou quatre grandes questions que nous débattions à bâtons rompus. Avec Gwen, nous nous connaissons depuis longtemps, quand l’un de nous n’étais pas sûr de la voie à prendre, cette méthode nous permettait de nous attacher à un choix très rapidement. Les grandes questions étaient vite tranchées, nous gagnions du temps. Ainsi, le fil directeur, les personnages se sont entremêlés dans un grand brassage.

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Et Tanquerelle ?

On pourrait croire qu’il n’a pas eu son mot à dire. Ce serait faux. Dès le départ et le Professeur Cyclope, il était présent dans le projet. Pas au dessin à proprement parler mais au characdesign. Quelques années plus tard, quand nous avons voulu relancer l’aventure, Gwen et moi nous sommes rendus à l’évidence : Hervé était tellement fort, sa manière de décrire notre univers tellement juste et intuitive, qu’il devait le dessiner !

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Et il est intervenu dans le scénario par sa manière de représenter des personnages forts. Des personnages qui auraient très vite disparu de la narration sont devenus plus imposants tant Hervé  marquait les esprits. Comme un acteur génial qui rend un personnage secondaire culte.

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J’adorais voir arriver les planches, une sorte de gourmandise mêlée à une certaine jubilation.

Puis, il y a Fred Blanchard.

Lui s’est vraiment attaché au design des géants, à leur architecture, à leur aspect menaçant. Quand on relit le storyboard, on voit à quel point il a insufflé un côté très cinématographique.

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Et Laurence Croix, aux couleurs.

Cette équipe, c’est un vrai attelage. Laurence a amené une dramaturgie, elle rend les scènes marquantes. C’est étonnant de s’être royalement plantés la première fois et que, cette fois, tout fonctionne. Les astres étaient alignés, alors on est devenus plus ambitieux. La base de travail est énorme.

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Le tout dans une dynamique chorale.

C’est ce qu’il faut quand on veut aborder la complexité du monde. Sans les personnages d’Hervé, certains auraient été ponctuels. Le défaut aurait été d’avoir envie d’aborder un personnage, puis un autre. On a donc resserré les personnages-clés. Mais ils sont nombreux. Il y a 15-20 personnages importants. Il fallait garder en tête le dynamisme, ne pas se disperser.

Justement, ces personnages, comment les avez-vous castés ?

C’était complexe. Et, à vrai dire, nous sommes partis de ce que nous ne voulions pas. Vous savez les héros qui savent tout sur tout dans les films catastrophe pas toujours réussis. Comme dans Independence Day quand on se rend compte que le président des États-Unis est aussi un redoutable pilote d’avion de chasse. Je n’aime pas les héros omniscients, toujours partout. Bon, le genre n’est pas ce qui amène l’hyper-crédibilité mais j’aimais bien l’idée d’avoir des personnages qui puissent être bien placés sans être partout et qui sont eux-mêmes dans la méconnaissance. Qu’ils puissent apprendre comme tout le monde des choses qu’ils ignorent, par la presse, les réseaux. Il s’agissait de les inventer et de les placer comme des points d’acupuncture, qu’ils assistent aux événements de manière plausible. Par étapes.

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Prenons Ismaël Taïeb, c’est un anti-héros, il permet de casser le cliché du pilote sans peur et sans reproche. C’est un mafieux, un personnage complexe, évoluant dans un monde proche des Soprano, dans l’écosystème qui gravite autour de lui. C’est un Français d’origine maghrébine. Ça aura son importance.

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Puis, Françoise Alford. Il nous fallait une femme, pour amener de la crédibilité dans cette histoire virile mettant en scène des militaires et la mafia. Elle est journaliste. Difficile de ne pas avoir en tête Florence Aubenas, tant elle nous a impressionnés par son courage physique, sa grande connaissance du monde.

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Il y a aussi tous les anciens membres de l’équipage de l’épopée des Atlas. Ils nous permettaient de nous poser cette question : que faire passer, que retenir des Trente Glorieuses?

Et, alors que le dernier album que j’avais lu de lui était Groenland Vertigo, c’est fou comme le trait d’Hervé Tanquerelle change en fonction de ses projets.

C’est un génie protéiforme. Ce qui peut être un défaut d’un point de vue commercial. Je connais ça, au fil de ma bibliographie, je mélange des genres différents avec plaisir… sans pour cela être reconnaissable du public. Mais ça force l’adaptation.

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Avec Gwen, nous lui faisions confiance. Mais son essai lui laissait des réserves. Les éditeurs, également, n’étaient pas certains qu’il conviendrait. Hervé, c’est un diesel, une fois qu’il est parti, qu’il a trouvé ses marques… Il a refait des pages et plus personnes n’a eu de doutes ! En plus, il est allé vite, 200 pages en un an et demi, ce n’est pas rien. Son style synthétique, expressif, son talent dans l’acting, la manière dont il fait interpréter le dialogue aux personnages, sa finesse… tout ça fait qu’il est imbattable.

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Il y a l’Algérie, mais il y a aussi la ville de Nantes qui est très présente dans cet album.

Il y a deux raisons à cela. Une personnelle. Nous sommes quasiment tous Nantais dans cette aventure. Sauf Laurence, elle l’est presque. Alors, autant se faciliter la tâche. D’autant que je me méfie des récits hors-sol, que ce soit à Tokyo ou New-York. Parfois, il y a des récits qui ne nécessitent pas d’ancrage réel. Dans Seuls, on revendique Fortville comme un endroit imaginaire, pour n’exclure personne et garder le côté fable.

Mais, dans le Dernier Atlas, il nous importait d’être crédibles, de nous implanter dans des lieux qui existent et donc de les rendre parlants. Que ce soit à Alger, Beauvais, Nantes ou le Parc de Tassili qui ouvre l’album. Avec des recherches documentaires pour les connaissances moins intuitives. Bon, à Nantes, la mafia n’est pas autant implantée… mais ça reste crédible.

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La deuxième raison remonte à l’époque où il était possible que Guarnido réalise le projet. J’avais envie de chantier. On pensait à Saint-Nazaire, à la fierté des gens au moment où un bateau est baptisé et prend la mer. C’est le monde ouvrier qui permet les grandes machines. Il nous fallait donc une ville qui se soit créée dans cette impulsion, quelque chose de portuaire, d’ouvrier.

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Et des mondes qui rentrent en collision.

Oui, mais encore une fois nous ne voulions pas forcer cette collision. Cela a exigé un gros travail de tri dans les idées. Vu de l’extérieur, ça ressemblait à un gros fourre-tout qui faisait se rejoindre des extra-terrestres, des robots et la guerre d’Algérie. Remarquez, il y en a bien qui ont croisé des lapins et du cape et d’épée, avec succès.

Cela dit, il fallait un point commun à nos éléments. Qu’est-ce qu’une invasion d’extra-terrestres sinon le symbole parfait de la colonisation? On en revenait aux racines profondes de notre Histoire.

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Sauf que les robots géants n’ont pas grand-chose à voir avec De Gaulle. Mais ils fonctionnent au nucléaire et là on pouvait se dire qu’ils ont été construits à Saint-Nazaire. De quoi porter les auteurs français à rayonner. On ricane face à ces Goldorak français mais ce n’est pas si idiot.

Vous parlez de Goldorak, y’a-t-il des influences perceptibles dans cet album ?

Le Roi et l’Oiseau dont nous avons utilisé quelques images qui nous ramènent à une lignée très imaginaire, très françaises. Puis Miyazaki. Son oeuvre fait tellement sens, écho, les racines se mêlent. Ce n’est jamais hors-propos.

Comment expliquez-vous cette fascination des robots qui perdure avec le temps ?

Je pense qu’il faut remonter encore un peu plus loin. Ils appartiennent à la lignée, plus ancienne, des géant. Le Pantagruel de Rabelais, par exemple. Ils font rêver par leur toute puissance, leur façon d’être au-dessus des choses, démesurés, des super-héros anthropoïdes. Le robot, c’est un être humain géant. Et il y a un bestiaire fantastique et mythologique assez incroyable en matière de géants.

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Cela dit, avec cet album, je pensais que nous nous adressions plus aux quadras-quinquas, ceux qui ont été touchés par la guerre d’Algérie et qui ont eu Goldorak comme Madeleine de Proust – cela dit, je ne voudrais pas revoir la série, maintenant -. Ce n’est pas pour rien non plus que notre héros est un quadragénaire. Il y a ce clin d’oeil à Goldorak, donc, mais aussi à Panini avec ces vignettes d’albums qu’on a rebaptisés Caselli. Vintage, comme on les collectionnait dans les 70’s. Mais il y a une chose qu’on évoque par-dessus tout, c’est ce côté extrêmement nostalgique. La grandeur de la France, on y a cru, on la pensait immuable mais l’époque est révolue. Ismaël ne l’a pas accepté et il a fait le mauvais choix.

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Bref, au final, notre public, on s’en rend compte, est plus large. Comme Seuls qui s’adressait avant tout à un public de jeunes de 10 à 14 ans. Mais je me méfie de l’universalité.

Récemment, avec Gwen de Bonneval, vous avez aussi sorti Polaris – La nuit de Circé.

Je l’adore avec ses défauts. Il est très cérébral, très conceptuel, à revers de l’érotisme, loin de la superficialité mais fait pour ceux que le sujet intéresse, vraiment. Avant ça, j’avais fait l’Herbier sauvage, un recueil de témoignages. Avec Polaris, c’est ma première tentative de fiction sur ce sujet, avec un contexte et un parti pris : le fait que l’érotisme pourrait être beaucoup plus créatif que ce à quoi il est réduit, que cela peut se travailler. L’ars erotica. Car il y a un angle mort, on parle beaucoup de sexualité mais pas de créativité.

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Le porno, je ne le repousse pas en bloc, il a des bons aspects mais ce ne sont jamais ceux-là qui sont sur-représentés, que du contraire. Ce qui est diffusé, est souvent très misogyne, c’est dangereux pour l’imaginaire collectif. Encore plus pour un gamin dont la vision va être partielle. C’est comme apprendre à conduire en regardant Fast and Furious. Ici, on fait croire avec ces productions pornographiques que la sexualité, c’est ça. Et que ça doit être ça.

Du coup, qu’avez-vous imaginé ?

Un mouvement sur le principe de l’OuLiPo, l’Ouvroir de littérature potentielle. Le Cercle de Circé est ainsi basé sur les jeux, des pratiques à toujours réinventer. C’est très joyeux mais aussi compliqué d’inventer un jeu.

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Je ne suis pas coutumier de ce genre de cercle et, à vrai dire, je craignais de créer des jeux idiots ou de réinventer l’eau chaude. Du coup, je suis allé à la rencontre d’un de ces cercles au festival Erosphère. On a sympathisé, je voulais leur faire relire mon scénario, ils ont été plus loin : ils ont testé la faisabilité des jeux créés pour l’album. Eux, puis d’autres personnes. Ils ont testé le Sphynx, les marionnettes, le jeux des fantômes… Ceux qui n’ont pas marché n’ont pas été retenus.

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Je suis intéressé de rencontrer les lecteurs, cet album ne s’adresse pas au grand public, c’est de l’ordre de la niche. Alors est-ce un public de jeu de rôle attiré par le côté ludique ? Ou alors les polysexuels ? Ça m’intéresse de poursuivre la discussion, en tout cas.

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Une discussion, il y a dû en avoir une avec Gwen de Bonneval.

Gwen sortait du Professeur Cyclope et cherchait une collaboration commune. Il avait en tête une histoire d’amour compliquée sur fond de libertinage. Un homme amoureux, son ex et son libertinage. Cette façon de se sentir par rapport à lui-même.

Avec le Cercle de Circé, nous adoptions ce sujet mais aussi des gens qui inventent des lieux, des pratiques, libertaires mais aussi un peu décadents. Pour cela, Gwen devait se coltiner le réalisme. Alors que d’habitude, je laisse l’imaginaire au pouvoir. Nous étions tenus d’entrer dans la subjectivité des personnages, par les couleurs, l’aspect graphique. Il nous fallait parler d’érotisme subjectif, avec chacun son expérience.

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Et vous entraînez tout ça dans une dynamique de polar, avec une enquête.

J’avais l’impression que pour que le débat soit meilleur, il fallait aussi dire que la sexualité peut parfois être violente, avec un risque qui est pris une fois qu’on met le doigt sur l’engrenage.

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Je vous rassure, Erosphère que nous avons consulté, prône une sexualité positive. Ça aurait été tarte à la crème de montrer une sexualité une fois de plus morbide. Nous devions en parler mais ne pas nous y limiter. Nous devions parler de la sexualité dans son ensemble. Solaire mais aussi morbide.

En trois points, finalement :

  1. La subjectivité.
  2. Le côté sombre ou solaire.
  3. Le consentement. C’est sorti avec Me Too mais ça pose la question de ce qu’est la vie ? De la difficulté à avoir le consentement et à savoir ce qu’il est. À quel moment on le donne ou pas.
© Vehlmann/De Bonneval

Parlons de vos projets. Une suite de Green Manor, c’est encore possible ?

Il y a toujours une suite mais Denis Bodart a sa temporalité à lui, il ne faut pas le forcer. C’est un génie de la BD. Ensemble, on alterne des récits de super-héros, trois en quinze ans dans Spirou, et des histoires de Green Manor, de temps en temps, avec un timing de deux ans par histoire. Avec Denis, tout doit être maturé, il refuse de laisser filer ce qui n’est pas terminé. Il a une exigence telle qu’il est son premier frein. Mais je ne me plains pas, j’ai un record mondial, j’ai sorti trois albums avec Denis Bodart ! Et des récits courts, à petites doses.

Cela dit, il n’est pas complètement reclus. Je regrette que des dessinateurs aient disparu : pas assez payé, des conditions invivables. C’est tellement difficile de vivre de nos albums. Denis lui continue.

Un deuxième film de Seuls, ce serait envisageable ?

Le premier n’a pas assez marché aux yeux des producteurs. Tout est question de droits, la porte n’est pas fermée. En tout cas, la série BD continue, elle. Le tome 12 est sorti à Noël. Le tome 13 arrive. Avec Bruno, on a essayé de changer notre méthode de travail. Il n’est jamais trop tard, même dans un vieux couple. Du coup, j’essaie d’être plus présent, plus souvent en Belgique, dans une démarche de co-écriture pour lui permettre de débroussailler la série là où elle est tellement complexe. Sinon, on prenait le risque que Bruno s’épuise. Nous nous amusons donc plus. Le tome 13 fut le déclencheur.

© Vehlmann/Gazzotti/Usagi chez Dupuis

Et Le dernier Atlas ?

Le tome 2 est pour mars 2020. Nous planchons sur le tome 3. Il aura une tonalité différente des deux premiers, avec une sorte de renouveau, les questions fondamentales qui arrivent.

Puis, comment ne pas parler de Supergroom.

Nous avons eu envie, avec Yoann, de trouver un public plus jeune. Nous voulions nous amuser. Nous avions peur du syndrome Tome et Janry qui, avec Machine qui rêve, ne pouvaient plus faire marche-arrière. Du coup, quitte à retourner à la série classique par après, nous voulions une récréation, quelque chose de joyeux. Dans la forme aussi avec un format plus épais, plus dense, avec de l’action. J’aimerais que le gamin qui ne lise plus du tout les albums et le magazine s’y raccroche. Mais, soyons fous, aussi les enfants qui ne lisent plus beaucoup. Cela dit, nous avons du respect pour les lecteurs de plus de quarante ou cinquante ans mais la base ne se renouvelle pas. Nous voulions tenter le coup.

Merci beaucoup Fabien pour ce long et passionnant échange ! Vivement la suite de tout ça.

Série : Le dernier Atlas

Tome : 1

Scénario : Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval

Dessin : Hervé Tanquerelle

Couleurs : Laurence Croix

Design : Fred Blanchard

Genre: Science-fiction, Thriller

Éditeur: Dupuis

Nbre de pages: 205

Prix: 24,95€

Date de sortie: le 15/03/2019

Extraits :

Série : Polaris ou la nuit de Circé

Récit complet

Scénario : Fabien Vehlmann

Dessin et couleurs : Gwen de Bonneval

Genre: Érotisme, Polar

Éditeur: Delcourt

Collection : Mirages

Nbre de pages: 152

Prix: 19,99€

Date de sortie: le 03/10/2018

Extraits :

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