Inconnu au bataillon francophone il y a encore quelques mois, Colo trace son chemin par la grâce des Éditions du Long Bec (qui ont le nez fin, plus que jamais) et arrive par chez nous avec un roman graphique incroyable, intolérable tant il parle du monde noir qui nous entoure via des réflexes de science-fiction mais vivifiant par sa propension à remettre de la couleur, malgré tout, et à faire appel à nos sensations. Peut-être le coup de coeur ultime depuis le début de l’année. Aujourd’hui est un beau jour pour mourir, mais pas avant d’avoir lu cette tuerie qui reste en mémoire.

Résumé de l’éditeur : Dans un futur proche, le « Chuchoteur » est poursuivi par toutes les polices du pays. Son crime : il pirate les ondes de la principale chaîne de télévision pour diffuser des messages à destination d’une population selon lui trop docile à l’égard de ceux qui détiennent pouvoir et argent. Qui est cet homme qui éveille les consciences des uns et heurte les susceptibilités des autres ? Un des membres d’un groupe de rock qui cherche désespérément à enregistrer sa première maquette ? Un écrivain en panne d’inspiration ? Un assassin impitoyable au service d’un grand groupe pharmaceutique ? Un autre protagoniste de ce récit « chorale » ? Lorsqu’un mystérieux « virus de la dépression » se propage sur une bonne partie de la planète (les personnes infectées se mettent à pleurer des larmes de sang quelques instants avant leur mort), les autorités préfèrent faire une priorité de la capture du « Chuchoteur », le terroriste informatique…
D’une station polaire qui subit le remake de The Thing au centre-ville d’un Madrid bientôt décimé, sans compter tous les écrans qui sont autant de portes ouvertes sur le monde. Profondément espagnol mais aussi profondément universel, Aujourd’hui est un beau jour pour mourir est une succession de planches ouvertes sur le monde d’aujourd’hui et de demain. Catastrophique.

Prenant comme concept et prétexte, la trop souvent utilisée ces derniers temps (qui courent) épidémie bactériologique qui sert les uns et accable les autres, Colo se débarrasse bien vite des clichés du genre pour bâtir une histoire solide, profonde, psychologique et sans héros. Mais à plusieurs voix qui se débattent, se faisant entendre ou pas. Des hommes et des femmes qui se parlent entre eux ou simplement à eux-mêmes dans un milieu qui compte désormais plus de prédateurs et requins que d’alliés. À plusieurs niveaux, les histoires d’amour, la course au profit, la quête idéologique ou artistique, l’extinction des feux civilisationnels ou encore la survie, la seule qui compte quand on a tout perdu.

Et encore… Parce que l’épidémie qui court est due à un virus qui cristallise tous les symptômes de la dépression. La tristesse, l’impression de solitude, de ne servir à rien, qui mène à l’inévitable soustraction à la vie, de gré ou de force, quitte même à entraîner les autres avec soi dans les bras de la mort.


Dans Aujourd’hui est un beau jour pour mourir, comme dans un laboratoire à ciel ouvert et aux portes de l’antre du diable… humain, Colo tire le pire et le meilleur de ses (nombreux) personnages rassemblés au chevet d’eux-mêmes et d’un monde qui va mal : un aveugle qui aime la peinture surtout quand elle est à l’envers, un chômeur qui rêve de sortir son album avec son groupe engagé, un vieil écrivain qui lutte avec les idées qui ne le sauvent pas de la page blanche, un riche patron d’une usine à vaccins (ou à catastrophes ?), un serial-killer d’une froideur extrême, un chercheur qui était bien mieux en Amazonie que dans ce territoire urbain et bien plus bestial…

Un monde d’hommes dans lequel les femmes trouvent une place idéale qu’elles investissent de sensibilité, confidentes et actrices des plus beaux moments de ce roman graphique violent, frontal mais animé de bonnes intentions, d’un sursaut vénérable et obligatoire si l’on veut encore longtemps vivre sur la Terre.

Puis, parmi tous ces personnages qui coulent ou surnagent, il y a le Chuchoteur. Une sorte d’héritier de V qui étale sa culture en piratant les ondes et appelle à l’éveil des consciences, remuant ce qui fait mal pour mieux trouver la lumière malgré le pessimisme qu’on pourrait lui prêter. Après tout, c’est lui qui conclut toujours ses interventions par « Aujourd’hui est un beau jour pour mourir ». Sonnant l’heure des combats, aussi. Colo lui garantit l’anonymat, le traque, fait semblant d’en faire la quête ultime de son ouvrage mémorable avant de le dépasser, de bifurquer. Résolument, ce que l’auteur raconte et ce à quoi il participe (dans le final, impliquant un peu plus son ressenti, ses aspirations, ses doutes et ce en quoi il croit) dépasse tous ces personnages malmenés et qui ne seront que très peu à survivre.

Avec une patte proche de ce que peut faire un Christian De Metter, Colo se révèle autant dans le texte que dans le dessin, et dans cet ensemble qui prend toute sa puissance. Oeuvre à charge autant qu’à décharge (plus loin que celles des policiers ultra-violents qui, là encore, font échos aux dernières actualités), ce pavé de près de 400 pages fait appel à l’humanisme et remet la Culture et toutes ses transpositions au centre des débats et de la survie. Par un livre pas fini mais infini, par une chanson gravée à l’arrache, par une culture cinéphile folle, par la connaissance d’une Histoire qui se répète et dont les anecdotes peuvent être détournées (comme dans ce jeu du mensonge et de la vérité quotidien entre une des héroïnes et son barman borgne).


Touffu, feuillu, diffus, dans une jungle de verre éclaté en mille morceaux, Colo interroge ce qui nous fait vivre, ce à quoi on carbure, (re)définissant le bonheur, déboussolant pour ne pas perdre le nord, éclairant nos parts sombres. Semant, surtout, des rendez-vous au fil des pages, nourrissant l’attachement à ses personnages qui sont comme ils sont. C’est d’une richesse et d’une émotion inouïes avec un festival de pensées bien… pensées, qui portent et agitent l’imagination, les images. Plein de citations à récupérer (aperçu sur Babelio).

On ne remerciera jamais assez les Éditions du Long Bec pour leur engagement et leur volonté d’aller chercher des oeuvres différentes mais faisant sens, quitte à les traduire. Cet album-là, avec une couverture comme une alarme, est puissant et volontaire en est sans doute la plus belle réussite. La plus percutante. On a l’impression que Colo y a mis tout mais a encore des choses à dire. Et il en avait dites avant, Hoy es un buen dia para morir n’étant pas son premier album mais les autres sont restés inconnus en francophonie… jusqu’ici. On a hâte et on espère que cet album en français ne sera pas un one-shot.

PS : Plus qu’à retrouver le CD composé par Hielo Rojo (le nom du groupe présent dans le livre) pour accompagner l’album dans sa version espagnole.
Titre : Aujourd’hui est un beau jour pour mourir
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Colo
Traduction : Isabelle Krempp et Fabrice Linck
Genre : Anticipation, Drame choral, Roman Graphique, Thriller
Éditeur : Éditions du Long Bec
Éditeur VO : Dibbuks
Nbre de pages : 385
Prix : 24€
Date de sortie : le 20/03/2019
Extraits :
Titre : Aujourd’hui est un beau jour pour mourir
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Colo
Traduction : Isabelle Krempp et Fabrice Linck
Genre : Anticipation, Drame choral, Roman Graphique, Thriller
Éditeur : Éditions du Long Bec
Éditeur VO : Dibbuks
Nbre de pages : 385
Prix : 24€
Date de sortie : le 20/03/2019
Extraits :