Chroniques du léopard: La Réunion si près du paradis et si loin de l’enfer, en attendant la guerre, l’adolescence à pleins poumons

Chroniques du Léopard, ça pourrait être le titre d’un Bob Morane, aventurier contre tout guerrier. Sauf que de guerriers, aux premières heures de cet album foisonnant et passionnant, il n’y en a pas. Si la guerre gronde au loin, les volcans endormis de La Réunion le font un peu plus fort, masquant le bruit et la rumeur qui pourtant marquent les esprits. Et Charles et Julien, les deux héros de cette histoire d’Appollo et Téhem auxquels il est difficile de ne pas s’identifier, de se rêver résistants dans un monde qui bascule indirectement sous le poids de l’avancée des forces nazies en Europe.

Résumé de l’éditeur : Charles et Julien se rencontrent au lycée Leconte de Lisle. Leur monde, c’est La Réunion des années 1940. Parmi les élèves qui fréquentent l’établissement, on compte notamment Raymond Barre, les frères Jacques et Paul Vergès… Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1942, nos deux héros, Charles et Julien, assistent par hasard à l’arrivée du contre-torpilleur Léopard qui vient libérer l’île au nom de la France Libre. C’est le moment tant attendu par les jeunes gens du lycée Leconte de Lisle, où l’action, l’affrontement s’offrent enfin à eux.

Après les enfants de la résistance, voilà les ados de la résistance (et de l’impatience) dans un pays qui voit la guerre de loin et dans lequel les chances sont minces de voir un avion nazi ou anglais le survoler. Chroniques du Léopard, bien avant l’arrivée du cuirassier qui lui donnerait son titre énigmatique au premier abord, raconte une histoire de jeunesse qui se découvre et cherche à faire ses preuves. Il y a 70 ans, c’est pourtant si loin et pourtant si actuel, si pertinent à l’heure où beaucoup de jeunes veulent être vieux avant l’âge. Charles et Julien, s’ils veulent zapper l’école, c’est pour la buissonnière, dans un cadre merveilleux propice à toutes les aventures. S’ils veulent être des hommes, prendre les armes, c’est avec cette espèce de conviction que c’est un jeu d’enfant. Et grand bien leur face, ils ne combattront pas tout de suite de là où on ne pensait pas que la guerre s’immiscerait dans les esprits (remarquez, à Pearl Harbor, non plus).

Alors que quelques grandes figures qui ont compté et comptent en France, notamment dans le monde politique, fréquentent leurs écoles, Charles et Julien sont restés anonymes. Forcément, pour des personnages de fiction, me direz-vous ? Oui mais qui entretiennent tellement ce goût du réel, qui catalysent tellement les espoirs et les rêves de leur époque, ce qu’est être ado sur un îlot perdu à deux pas du paradis et si loin de l’enfer.

Annoncée comme une fresque lycéenne romantique, ce roman graphique réussit à être plus que ça en y alliant l’échiquier guerrier et mondial sur lequel nos deux héros n’ont pas de prises mais entendent bien en avoir et sont en tout cas influencés. Car tout n’est pas tout rose. Appollo et Tehem, anciens camarades de classe à La Réunion, retrouvent, dans des couleurs unies donnant le ton de chaque chapitre, l’ambiance et l’atmosphère de cette Réunion des années 40 qui n’est pas encore rattachée à la France, ce qui laisse le loisir d’apporter son soutien aux Anglais, aux Américains, aux Russes mais aussi aux Allemands. Et les idées d’Hitler ont traversé les vagues. Propageant la famine, notamment. Dans cet album, les auteurs ne se focalisent pas sur un thème mais sur un tout, partageant le terrain d’expression entre littérature, cinéma (Tarzan!!!), BD (Tintin!!!), amour, engagement, conviction… Le seul bémol en est aussi la force: les expressions créoles dont la plupart (pas toutes) sont traduites en fin d’album là où ces explications auraient trouvé une bonne et due forme dans la marge du bas, sans perturber notre lecture immersive.