Laurent Lafitte à L’heure de la sortie : « Même les climato-sceptiques ne peuvent pas douter des continents de plastique qui se baladent sur les mers du globe »

Parmi les claques du FIFF, il y a sans conteste L’heure de la sortie de Sébastien Marnier qui s’est librement inspiré d’un roman de Christophe Dufossé. Un film tellement d’actualité dans lequel Laurent Lafitte incarne un professeur suppléant qui, après une tentative de suicide de son prédécesseur, est confronté à des élèves « intellectuellement précoces », faisant bande à part et préparant quelque chose d’inquiétant. Parce qu’ils ont conscience d’un monde qui cours à sa perte à tous les niveaux. Un film marquant, tétanisant, glaçant. Nous avons rencontré Laurent Lafitte.

© Fabian Rigaux

Bonjour Laurent. On vous retrouve au FIFF de Namur, étiez-vous déjà venu ?

Non, c’est la première fois. Je suis arrivé hier soir. Mais je n’ai pas vraiment eu le temps de visiter. C’est agréable.

Certaines fois, l’actualité nous rattrape. Charles Aznavour, chanteur mais également acteur, nous a quittés aujourd’hui. Il a compté pour vous ?

Ah oui. Disons que son oeuvre a accompagné ma vie, au fil des périodes. Après, je n’arrive pas à être triste. À 94 ans, au sommet d’une carrière monumentale et tout en ayant chanté jusqu’au bout, c’est formidable.

© Fabian Rigaux

Vous venez nous présenter L’heure de la sortie, un film qui sortira dans quelques mois. Un film magnétique et effrayant.

On l’a tourné il y a un an. Sébastien Marnier m’a contacté et proposé ce film. J’avais vu Irréprochable que j’avais beaucoup aimé. On sent qu’il des références de films de genre. Qu’il couple à l’efficacité d’un sujet brûlant.

À vrai dire, durant le tournage, je n’ai pas vraiment ressenti l’angoisse qui allait se diffuser tout au long du film.

Vous vous retrouvez ainsi suppléant dans une classe dans laquelle un drame vient de survenir : un jour de soleil, le professeur a sauté par la fenêtre. Face à vous des enfants EIP, intellectuellement précoce. Ils sont hostiles, directifs… flippants ! Ça doit toujours être particulier de jouer avec des enfants, non ?

Certains avaient déjà l’expérience des tournages. Comme tous les enfants, ils se sont regroupés, entre eux, sans chercher forcément le contact avec moi ou les autres adultes. Comme des jeunes ados qui se créent leur monde. C’était bien ainsi, je n’ai pas cherché à créer plus de lien, ça servait l’opposition du film.

Ces enfants sont hyper-sensibles à l’état dégradé de la planète: la pollution des mers, l’atrocité des abattoirs de toutes sortes, le réchauffement climatique et ses catastrophes. Les images sont diffusées succinctement mais sont trash. On parle souvent de l’état dans lequel on va laisser le monde à nos enfants. Ici, ça s’inverse, les enfants se rendent compte de l’état dans lequel on leur a laissé la planète.

Leur regard reflète leur position de victime, ils ne sont pas responsables et ont décidé de ne pas le subir. C’est un regard dur mais ils ne sont plus dans le jugement, je crois. Il ne faut pas voir leur comportement comme une agression mais plus comme une aide à l’éveil.

Ce film, il réunit plein de menace, tel un écueil. Il arrive à point nommé à une période-clé

C’est le genre de tournage, de thème qui peut influer sur le comportement d’un acteur dans la vraie vie ?

C’est clair que c’est un sujet qui touche et fait réfléchir, pousse à de nouveaux comportements. Personnellement, ça n’a pas changé depuis le film, j’en avais déjà pris conscience… même si j’ai été lent à la détente. J’avais déjà essayé de faire ce que je pouvais. C’est ce que chacun doit se dire : il y a toujours moyen de faire quelque chose.

Même les climato-sceptiques ne peuvent pas douter des continents de plastique qui se baladent sur les mers du globe.

© Laurent Champoussin

Immuable dans les temps qui changent, il y a cette école élitiste dans et autour de laquelle les événements se passent. Un peu à la Poudlard, imposante.

C’est l’institution qui représente l’enseignement qui, en effet, peut paraître immuable. L’idée était de voir ce qu’il se passerait en frottant ce monde scolaire aux problèmes contemporains. D’amener le contraste qui participerait à l’angoisse. En effet, je parlais des références de Sébastien, tout à l’heure, elles sont aussi visuelles.

© Ph. Lebruman

Visuel comme ces tatouages en miroir représentant un tigre que vous arborez sur vos deux épaules.

C’est un désir de Sébastien dont le meilleur ami est tatoueur. Autant le dire, ça ne me va pas très bien mais ça permet un peu plus de voir à quel point le personnage de Pierre se cherche.

Il y a ce tigre sur vos épaules, ce lion sur un t-shirt furtif, un des personnages féminins qui est comparé à une panthère aussi… tout ça va dans le sens que ce film est un peu une jungle dans laquelle la menace, tapie, guette.

Je ne sais pas, je n’avais pas remarqué. Il faudrait demander à Sébastien.

En tout cas, le spectateur assiste à ça en voyeur. À plusieurs moments, on voudrait tirer la sonnette d’alarme sauf qu’il n’y a rien au-dessus de nous. On est impuissant.

Oui, mais à la sortie de la projection, on est très puissant, on a les clés. La résolution du problème n’est qu’une question de volonté. Je ne pense pas que ce film soit fait pour rendre pessimiste ou même misanthrope. Par contre, il peut déclencher une prise de conscience. En fait, je ne comprends pas que ça ne soit pas prioritaire dans tous les pays du globe. Il en va du salut de notre civilisation, de l’humanité. Peut-être pas de la planète, qui sait comment elle peut évoluer.

© Fabian Rigaux

Mais la responsabilité est partagée. Il ne faut pas accabler la responsabilité individuelle mais plutôt celle industrielle. Celle qui n’est pas gérable pour le consommateur à qui on impose presque la malbouffe, des emballages plastiques, etc.

Le scénario est fort. Oui, les enfants en face de Pierre sont menaçants, captivants et ambigus mais pas antipathiques, de mon point de vue. L’idée est, après un moment, de se ranger de leur côté face à une menace qui les surplombe.

Il y a un acteur insidieux dans ce film : la musique de Zombie Zombie, électronique, minimaliste… J’imagine que vous n’aviez aucune idée de la forme que celle-ci prendrait ?

La musique, quand elle bien faite, bien dosée, elle devient une espèce de personnage qui participe à l’angoisse au suspense. Évidemment, ce n’est pas quelque chose qu’en tant qu’acteurs, nous allons prendre en charge. On se concentre sur le jeu et la musique reste un ingrédient dans les mains du réalisateur qui a la clé de ce que sera la version finale.

© Laurent Champoussin

La musique est aussi présente dans une scène de boîte de nuit. Vous dansez, vous vous éclatez… mais sans musique alors ?

Tout à fait ! D’une part parce que le tournage exige le plus grand silence autour des acteurs. Puis, si la musique était prise directement, il y aurait de grandes chances pour qu’elle ne soit pas raccord entre les prises. C’est vrai que ça peut surprendre, la première fois. Comme quand les personnages sont censés interagir dans un environnement très bruyant. S’ils ne parlent pas, pas de souci. Mais dès qu’il y a des dialogues.

J’ai l’impression que votre filmographie prend un tournant depuis quelques années, elle est plus brute, plus thriller, plus à vous prendre à la gorge tout en variant les tons avec des films comme Elle l’adore, Paul Sanchez est revenu… Une volonté de votre part ou ce qu’on vous propose a évolué ?

Chaque film déclenche des propositions. Après Elle de Verhoeven, des propositions plus thriller se sont en effet présentées. Avec à chaque fois, des rôles des spectacles. Ce sont plus les réalisateurs et ce qu’ils me proposent qui me permettent d’élargir mon spectre.

© Fabian Rigaux

« Laurent Lafitte de la Comédie Française », c’est ce qu’on lit au générique. Mais, vu le nombre de films que vous faites, on pourrait penser que vous l’êtes de moins en moins à la Comédie Française, non ?

Mais, j’y suis chaque soir pour L’Heureux Stratagème de Marivaux. La sortie rapprochée des films tient de hasards du calendrier qui font que certains tournés il y a un petit moment sortent en même temps que des films tournés plus récemment. En réalité, je m’efforce de n’accepter que deux films par an. Des périodes durant lesquelles je prends congé à la Comédie Française.

La suite, sur grand écran, c’est le film Les Fauves de Vincent Mariette. Encore un thriller.

Un film sur le mythe dans une société où le partage du quotidien personnel, des aventures individualisées sur les réseaux participent de moins en moins à l’imaginaire collectif.

Les Fauves avec Lily Rose Depp

Puis, le retour de la bande des Petits mouchoirs !

Dans un autre genre ! C’était marrant de se retrouver sept ans plus tard.

Merci Laurent et bon séjour à Namur.

Titre : L’heure de la sortie

Réalisateur : Sébastien Marnier

Acteurs : Laurent Lafitte, Luàna Bajrami, Victor Bonnel, Emmanuelle Bercot, Pascal Greggory, Grégory Montel, Gringe…

Genre: Drame, Thriller

Durée : 94 min

Date de sortie : le 09/01/2019

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