Adapté d’un fait divers très médiatisé à l’époque, en Tunisie après la révolution contre le dictature en 2012, La belle et la meute a vu sa réalisatrice prendre beaucoup de libertés, tout en conservant une part de réalité concernant les circonstances réelles des événements. Présenté sous forme de neuf plans-séquences, le film a été tourné quatre fois, ce qui a nécessité un énorme travail de préparation et de répétition.
Note : 14/20 (Vu au cinéma Caméo des Grignoux)
Résumé: Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité, alors qu’elle vient d’être violée par des policiers. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ?
« La Belle et la Meute » est de ces films qui ne laissent pas le spectateur dans l’indifférence. Au contraire de certaines forces de l’ordre tunisiennes corrompues, dans une société patriarcale où la femme souffre d’injustices au quotidien, méprisée dans ses moindres faits et gestes, qu’ils soient de travers ou non au regard de la loi. Ici, Mariam a été la victime d’un viol, par des… policiers.
Plutôt que de rendre à ce fait divers révoltant toute la dimension véridique de ses événements, Kaouther Ben Hania a préféré mettre en avant le courage de cette femme face à l’injustice à laquelle elle a dû faire face, ainsi que pour avoir gardé la tête haute contre la manipulation et la falsification d’une société qui a tenté de la faire taire, banalisant ainsi le mal. D’ailleurs, cette dernière portera plainte contre ses bourreaux, tandis qu’elle obtiendra raison après deux ans de procès, avec quinze ans de prison pour chacun d’eux (cet épisode ne soit pas représenté dans le film).
Kaouther Ben Hania filme donc une nuit d’horreur durant laquelle cette jeune femme ne pourra alors compter que sur elle-même (malgré l’aide d’une connaissance masculine) pour faire respecter sa dignité d’être humain, et être reconnue comme tel, avec ses droits. Ce n’est donc pas tant ici l’image de l’homme que la réalisatrice a cherché à viser, mais plutôt les dysfonctionnements inhérents et parasitants d’une société qui peine à évoluer, baignée dans des principes et horreurs qui ne devraient plus être de ce monde. Et, malheureusement, les femmes du monde entier sont encore victime d’actes de violence, ce qui est inacceptable. D’où la nécessité, à travers ce film, de mettre en avant le combat de femmes, mises sous silence.
Pour mettre en images cette histoire qui se vit à l’instant, la réalisatrice a choisi de tourner son film sous forme de neuf plans-séquences durant lesquels on accompagne la victime dans son calvaire, et sa quête de justice, ce qui permet au spectateur d’être en temps réel, par fragments, au plus près de ses émotions. Et, donc, en immersion totale. Dès lors, on subit autant qu’elle ce à quoi elle a dû faire face, dans le sens où cette manière de filmer rend une authenticité folle aux propos, aux dialogues. Et dans ce sens, force est de constater que la tentative de manipulation des forces de l’ordre, accusée, est effroyable, et pourtant vraie. Cependant, ce défi technique a ses faiblesses, dont un côté théâtral inévitable, qui appelle indirectement au documentaire. Malgré l’aspect immersif de l’œuvre et les horreurs qu’il présente, le film sent un peu trop la mise en scène millimétrée, où la faute sur le plateau n’était sans doute pas permise…
« La Belle et la Meute » est un film dur, qui se suit sur le vif, et qui détonne par sa triste réalité. Aussi, c’est un film féministe, qui appelle au courage de la femme, dans un monde où son image est encore bien trop ternie, sujette à bien trop d’injustices et de violences. Un film qui résonne d’autant plus après les agressions d’accusations sexuelles de femmes (et d’hommes) qui secouent actuellement le tout Hollywood, ou encore suite à la différence de rémunération entre les sexes pour un même travail. Enfin, ce film, qui n’aurait pas pu exister avant la révolution tunisienne, est aussi une note d’espoir pour toute une génération de femmes dans une Tunisie post-révolution (que l’on pourrait étendre au niveau mondial), au regard du gain de cause judiciaire de cette histoire.
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Pays : Tunisie, France, Suède, Norvège, Liban, Qatar, Suisse
Réalisateur : Kaouther Ben Hania
Acteurs : Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Noomane Hamda, Mohamed Akkari, Chedly Arfaoui, Anissa Daoud, Mourad Gharsalli
Genre : Policier, Drame
Durée : 110 min
Date de sortie : le 10/01/2018