On vous a parlé du Gotham City façon Marini mais vous savez la ville dans laquelle oeuvre The Private Eye n’a rien à lui envier. Imaginez, une civilisation dont les millions de petites fourmis n’ont plus que des masques évolués (des nymes) pour protéger leur anonymat et se revêtir d’apparences trompeuses. Le Cloud a explosé et la marée noire du web, emplie de petits secrets que tout un chacun pensait bien cachés sous les pare-feux, s’est répandue, brisant la tranquillité des hommes et femmes qui, désormais, ne sont plus au-dessus de tous reproches. Et dans le théâtre de cette ville immense, le plus grand drame ne s’est pas encore joué.

Résumé de l’éditeur : Le Cloud a implosé, et avec lui tous les secrets les plus précieux de l’humanité, des trafics les plus illicites aux photos de voyage du citoyen lambda, se sont retrouvés à la portée de tous. Désormais, nous évoluons masqués, seul moyen de protéger ce qu’il reste de notre intimité. Bienvenue dans une société post-Internet.

Un format à l’italienne qui renforce le page-turning et dix chapitres pour affoler le lecteur. Car si Brian K. Vaughan, Marcos Martin et Muntsa Vicente jouent la carte du futurisme projeté sur des télés surdimensionnées, le monde qu’ils décrivent pourrait très bien survenir demain. Entre « n’avoir rien à cacher » et « avoir tout à cacher », la transition peut être violente.

Ne le souhaitons pas car le sort de ces humains masqués de manière animalière ou science-fictionnelle, n’est guère enviable. Même si les dix premières planches offrent un vrai prologue jamesbondien qui régale et nous fait nous rapprocher de cet univers d’ores et déjà foisonnant, on a vite fait de s’apercevoir de l’enfer qui nous contemple. Pourtant, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Dès le titre, on aurait pu croire que The Private Eye était un super-héros, on était loin du compte. Mi-paparazzi, mi-détective privé, au service des âmes en peine de cette société qui a repris sa tradition de faire comme si de rien était, on ne peut pas dire que « Patrick Immelmann » emporte directement notre adhésion à ses pratiques douteuses. Pourtant, des monstres, il y en a des bien plus terrifiants que lui. Et c’est sur un air des Flaming Lips que P.I. va franchir le pas et s’engouffrer dans une sordide histoire.

Taj McGill ne lui demande pourtant d’enquêter que sur elle-même. Certes, c’est peu banal mais la demoiselle n’est pas folle pour autant et comme elle veut postuler pour un job un peu particulier, elle entend bien connaître les moindres traces en-dehors du droit chemin qu’elle aurait pu laisser. Celles qu’un détective privé hors-pair pourrait déceler. « Connais-toi toi-même » disait l’autre. Sauf que Taj ne va pas en avoir le temps et que P.I va être pris au dépourvu : la « tigresse » va être assassinée sauvagement à son domicile.

Et quand les rôles s’inversent, c’est notre héros qui devient la proie. Et s’il se mettait en chasse des fantômes du passé de sa cliente, il doit désormais faire face au démon d’un futur très proche. Les caméras des médias tournent déjà, les moteurs ne seront pas coupés avant longtemps, le spectacle est assuré, quel que soit le prix du sang.

On n’apprend pas à des vieux singes à faire la grimace et les trois auteurs ont finement joué le coup : on se laisse agréablement aller à traverser les existences que porte cette ville qui se méfie désormais de tout sans savoir réellement où on va. Le résumé est mystérieux et c’est tant mieux mais l’effroi des scènes de violence (il y a des relents de Sin City par ici avec l’intelligence pourtant de tracer sa propre voie) viennent nous titiller : qu’est-ce qui peut bien justifier tant de sang versé ?

Au-delà des masques, nous ne sommes plus des animaux, il y a moyen de dialoguer sans se faire trucider. Mais malheureusement dans cette ville, il y a un serial killer qui n’est pas de cet avis et qui nourrit de grands projets, un recommencement par le chaos pour cette société qui a plus d’un vers dans sa pomme.

Sur les ordres d’un Brian K. Vaughan un peu plus immense, Marcos Martin fait son cinéma multipliant les cadrages et les points de vue, sans barrière, faisant totalement corps avec son sujet, sous les couleurs pop et irréelles de Muntsa Vicente. Aussi, les auteurs n’ont pas peur de chiffonner et balafrer leurs personnages aussi singuliers soient-ils. C’est propre et impérial, mais ça soutient une lame de fond affolante pour les petits internautes que nous sommes, en sursis finalement. Lancinant et déstabilisant.

Titre : The Private Eye
Récit Complet
Scénario : Brian K. Vaughan
Dessin : Marcos Martin
Couleurs : Muntsa Vicente
Traduction : Jérémy Manesse
Genre : Anticipation, Thriller
Éditeur VO : Panel Syndicate / Image Comics
Éditeur VF : Urban Comics
Collection : Urban Strips
Nbre de pages : 304
Prix : 28€
Date de sortie : le 06/10/2017
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