Il est communément admis que les traces laissées dans la neige s’effacent souvent très vite. Qui se souviendra de votre passage par un col enneigé une fois la tempête terminé ? Vos pas auront disparus, recouverts par d’autres couches, vous permettant d’être insaisissable. Au Wyoming se trouve la réserve indienne de Wind River, plantée dans un environnement froid, pour ne pas dire polaire. « Là où la neige est présente même au mois d’août » dira Cory Lambert (Jeremy Renner), un pisteur qui connaît toute la topographie du coin et qui sait traquer n’importe quel prédateur de ce paysage hostile. Le chasseur est appelé par le père de son ex femme pour traquer une lionne des montagnes s’attaquant au bétail. Lors de ses recherches, celui-ci fait la découverte du cadavre d’une jeune amérindienne.
La part sombre de la culture américaine
Taylor Sheridan, le réalisateur et scénariste, construit sa narration au sein d’une réserve indienne américaine. Elles sont le fruit de la destruction progressive de la population native de l’Amérique par les colons et constituent la trace tangible du passé sanglant des États-Unis. On estime, en 2010, qu’il existe un peu plus de 5 millions d’amérindiens sur le sol américain, une grande majorité vit dans des réserves concentrés dans l’ouest. Certains groupes vivent en dehors de ces endroits. Les réserves bénéficient de leur propre souveraineté « tribale » avec l’existence de conseils tribaux. Aujourd’hui, les amérindiens ont un peu plus de libertés, ils peuvent aller et venir où bon leur semble, mais de graves injustices subsistent dans les réserves.
Dans le film, une jeune recrue du FBI (Elizabeth Olsen) est envoyée pour reconnaître qu’il s’agit bien d’un homicide et mener l’enquête. En effet, les tribunaux indiens n’ont aucun droit concernant les homicides, c’est au niveau fédéral que l’affaire doit se résoudre. Le médecin légiste arrive à la conclusion que la victime est décédée à cause du gel de ses poumons, étouffée par le sang produit. Mais elle a également été violée. L’agent Jane Banner décide alors de tout faire pour retrouver le ou les auteurs de l’agression et demande l’aide de Cory. Le pisteur n’est pas amérindien mais habite depuis toujours dans la région et a pu créer un lien particulier avec les locaux, ajouté à sa connaissance pointue du territoire, cela en fait le partenaire idéal.
L’élément central de la narration est la question du viol chez les jeunes femmes amérindiennes. Il y a quelques années, Lisa Brunner avait témoignée des violences sexuelles subies par les femmes de sa communauté. Elle écope du plus haut taux aux États-Unis et on recense 10 fois plus de victimes d’homicide chez les femmes amérindiennes que chez les autres femmes. Il faut souligner, enfin, que 86% de ces attaques sont perpétrés par des blancs et que seuls 13% des agresseurs sont arrêtés.
La glace et le sang
Revenons maintenant sur le long-métrage après avoir précisé le contexte d’actualité de celui-ci. Wind River est un thriller policier, il s’inscrit dans la même lignée que l’excellent Sicario dont le scénario a aussi été écrit par Taylor Sheridan. On a parfois l’habitude de croire qu’un bon thriller est complexe, les personnages sont nombreux et instables, l’enquête ou l’énigme doit se dérouler sur une ligne du temps longue. Rien de mieux pour perdre le spectateur hélas. Wind River est rapide, se déroule sur quelques jours seulement et le dénouement vient très naturellement. Sans chute mémorable, sans twist rocambolesque. Une réalité brute et vive, comme un vent d’hiver. Nous sommes à l’image de Cory sur le dos de sa motoneige. Nous cherchons les traces. Nous voyageons à travers cette réserve et, malgré nous, nous connaissons sa situation. Pas besoin de surplus esthétique mélodramatique, le film est épuré et les personnages sont réels. Le quotidien des amérindiens est dépendant du climat mortel, de la pauvreté et de la présence de drogue et d’alcool. Jamais la caméra ne s’attarde sur ces éléments, ils sont soulignés et c’est au spectateur de comprendre la réalité.
La nature englobe les Hommes. Elle est domination. La réserve semble coupée du monde, ce qui peut expliquer l’absence de couleurs vives. Le choix est porté sur une dichotomie entre le clair et l’obscur. Le blanc est la symbolique du renouvellement constant du paysage, d’une culture et de coutumes invisibles. C’est un blanc signifiant l’absence d’une identité niée et arrachée au monde. Le noir, le sombre, ce sont les uniformes des Hommes qui traversent un lieu aussi cruel que beau. C’est aussi l’ombre des branches captives d’immenses forêts ténébreuses. L’univers visuel de Wind River n’a rien d’un arc-en-ciel mais vous transporte assurément vers des horizons polaires.
Wind River est un « bout du monde » de l’Amérique, une superbe fresque de la violence permise, de l’abominable qui se tait. Pourtant, rien dans le film n’ordonne au spectateur de verser une larme, il vous demande seulement d’être attentif aux contradictions, aux signes de l’injustice. Tout s’efface dans la répétition perpétuelle de la neige qui tombe, les corps, le sang, les rires et les cris.
Tout s’efface, hormis la douleur des Hommes.