Le Festival de la chanson de Tadoussac, non loin des baleines et aux portes d’une culture québécoise tellement riche et envoutante

Le moment était (tant) attendu. À vrai dire, depuis qu’un coup de fil en début d’année avait condamné nos recherches de destination vacancière pour l’été. En effet, suite à un concours, le Festival Francofaune de Bruxelles, en partenariat avec le Festival de la Chanson de Tadoussac, le Festival En Chansons de Petite-Vallée et Musicaction, nous offrait nos billets aller et retour pour le Québec et ses horizons musicaux francophones, ses paysages naturels, son enthousiasme spontané et tout le reste de ses richesses soupçonnées mais aussi, jusque-là, insoupçonnables vers lesquelles nous emmenait notre voiture (automatique!) de location et les centaines de bornes à avaler.

C’est ainsi que nous sommes arrivés à notre première étape : Tadoussac. Un festival plus que trentenaire logé à la bonne franquette dans un village de… 800 habitants nourris immanquablement, le temps de quatre jours, par des milliers de festivaliers. Un festival qui s’implante en harmonie avec son cadre, non loin des baleines à découvrir en kayak de mer, dans une église, une salle d’hôtel, sur les dunes, une balade découverte et sauvage… sans jamais perdre de vue les élans et la fraîcheur maritimes conférés par le Saint-Laurent tout proche.

Les Cowboys fringants, du pain béni pour ouvrir le festival

C’est une ambiance de folie qui a embrasé les pieds des premiers festivaliers juste en dessous d’un petit Jésus prouvant qu’il peut être rockeur à ses heures. Dans les fumées de cette église Sainte-Croix, se demandant ce que pouvait bien être le Québec moderne, je jurerais même qu’il s’est barré de sa croix pour aller faire des pogos dans le public. Jamais, je n’ai vu une église, même celles désacralisées qu’on voit en Belgique, être ébouillantée de cette manière. Il faut dire que ces lointains cousins de Louise Attaque (mais ce qui se passe à Tadoussac n’a rien à envier aux soirées parisiennes, que du contraire) sont les rois de la fête, se mêlant au public dès la troisième chanson. Jusqu’ici, de mon bout belge de la lorgnette, j’avais suivi de loin le bout de chemin de ces cowboys au coeur sur la main et… le marin (dans leurs élans écologistes et engagés, ils ont notamment adopté un béluga, baleine quasi-sacrée du fleuve Saint-Laurent, comme pour s’excuser des failles sismiques qu’ils créent à chaque concert). Phénoménaux, les Cowboys ? Sans doute beaucoup plus.

Les Cowboys Fringants au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Au cœur de la profondeur magnétique et mystérieuse des voix

Après un premier jour placé sous le signe de la folie fringante, le Festival de la chanson de Tadoussac est définitivement bien ancré. Et tant qu’à suivre les étoiles (filantes ou pas), nos pas nous mènent de découvertes en découvertes. Du côté de la scène Hydro-Québec, d’abord, qui aime à mettre en valeur les pépites qui risquent vite d’exploser au grand jour. À l’œuvre, en début d’après-midi, c’est Laurence-Anne qui, sans fioriture et avec une claviériste acquise au mystère de ce concert, emmène les spectateurs dans l’intimité de ses petites histoires dont on ne parvient à dénuer la lumière de l’ombre. Spectacle introspectif, expérimental, tiré par des vocalises et un mariage de voix impressionnant ; cette performance d’une trentaine de minutes allait, sans s’en rendre compte, donné le ton à cette journée à la conquête d’artistes qu’on ne soupçonnait pas depuis notre petite Belgique.

Laurence-Anne au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

En redescendant vers la digue, laissant de côté la chaleureuse petite chapelle, c’est un autre bout de femme qui attire par son atypisme. Seule sur scène et pourtant omniprésente dans cet espace intime, Mary Beth Carty s’émeut devant la centaine de personne. Jamais, elle dit, n’avoir eu autant de monde devant elle. Venue de Nouvelle-Écosse, cette femme orchestre met très vite le public dans sa poche. Que ce soit en tapant du pied et en jouant des claquettes avec des petits bouts de bois ou avec ce surprenant accordéon qui nous entraîne dans des registres bien différents, de celui des violoneux à la musique brésilienne sans oublier une version fascinante de la chanson « oubliée » de Bob Dylan, Love is just a four-letter word.

Mary Beth Carty au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

« Alors on court, alors on court… », car mieux vaut être à l’heure sous le chapiteau Desjardins pour voir Karim Ouellet. Sacré showman, la réputation de ce jeune homme de 32 ans (qui en fait 23) n’est, semble-t-il, plus à faire dans ce Québec éclectique. Avec son band rock-jazzy (un trompettiste et un saxophoniste portant sur leur t-shirt le numéro 30 des Hornets), le jeune homme charismatique se livre à un répertoire métissé et énergique, somme toute charmant et fédérateur. Joliment ébréché par des vocalises d’extraterrestre qui ne font que rendre ce chapiteau comble un peu plus fou. Sans se soucier de la satanée pluie qui tombe par gouttes de plus en plus rapprochées.

Karim Ouellet au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Du côté de la grande scène du Québécor (ndlr. l’église méconnaissable prise d’assaut par les Cowboys Fringants), c’est en amoureux transi que se présente Vincent Vallières. Un artiste de premier plan au Québec et pourtant absolument méconnu dans notre vieille Europe. Peut-être parce que la musique de cet artiste qui brille par sa sincérité évoque nos Cabrel, De Palmas et autres Stephan Eicher ? Toujours est-il que l’artiste est accueilli et applaudi en héros par un public qui n’attend que lui… et son groupe, déjanté au point de reprendre du Samantha Fox, du Ace Of Base ou le Life is life d’Opus. Aménagé entre les souvenirs de Vincent et Le temps des vivants (son septième album), le concert se propose de varier autour du thème de l’amour. Des jolies chansons pop et rock, dont le point d’orgue sera donné par « Loin dans le bleu », un texte court mais puissant pour lequel Vallières laissera tomber la guitare. Le moment est beau et bon. D’autant plus qu’au-delà de la teneur sérieuse du répertoire, l’auteur-compositeur-interprète est capable de légèreté et d’humour, d’un décalage et d’une spontanéité. Ce genre de petite chose sans prétention qui grave les spectacles dans les mémoires. Et les artistes québécois semblent l’avoir bien compris, sans doute plus que nos artistes de France et de Belgique qui semblent parfois trop mesurer l’impact d’une prestation à son degré de maîtrise et d’étude d’un texte tout préparé.

Vincent Vallières au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Enfin, nous avions prévu d’aller voir Patrice Michaux, entendu et réentendu dans l’autoradio qui nous emmenait de Montréal à Tadoussac, ce fut très bien paraît-il, mais c’est finalement le branle-bas de combat du côté du chapiteau des pros qui aiguise notre curiosité. La pluie se tape l’incruste et la scène Hydro-Québec est bien obligée de déménager. Guillaume Arsenault, aussi. Encore un inconnu au belge bataillon. Un tort. Se muant dans les circonstances et dans l’improvisation, ce pur Gaspésien va offrir un moment inestimable. Car la pluie, c’est aussi une occasion, quand elle est bien gérée, de faire entrer un concert dans la légende d’un spectateur. Et cet ami de la nature, des montagnes qui empêchent le ciel de tomber, des grandes étendues et des racines qui se perpétuent, se révèle être un poète hors-pair. Un artisan qui tire sa force tranquille de l’écoute de son univers. Intimiste au possible dans cette salle de concert improvisée, Guillaume Arsenault est accompagné, aux cuivres et aux sifflements, par Charles Imbeau. Les deux font la paire et le voyage est intense, nous faisant passer par tous les états (mais restant bien ancré dans ce si cher Québec). Servant ses mots comme « le souffle de l’âme, le visage de l’esprit », ce poète au naturel, un brin sauvage, tout en simplicité, brille d’intelligence et de sagesse. As de la récup’ et prouvant qu’une vieille machine à écrire peut se révéler en instrument de musique fameux, Arsenault ne lâche pas la bride de ce convoi à la conquête de paysages insoupçonnés, d’un pic à l’autre, d’une rivière à un océan, d’un canyon à un désert cher à Morricone. Sans forcer, ce troubadour souriant, perce le secret des cœurs des visiteurs et l’invite à réagir sans modération, bien à l’abri des poncifs scéniques. C’est fort, c’est élégant, c’est universel. Un régal et un immense coup de cœur.

Guillaume Arsenault au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Il y a une vie après Cash City

C’est samedi, déjà, et le week-end démarre au calme sous le gros chapiteau Desjardins. Le moment est important, c’est la rencontre de part et d’autre de la scène avec un artiste que j’avais glissé dans ma short-list : un chanteur qu’on avait connu dans les méandres de Cash City et puis, plus rien… ou presque sur les ondes franco-européenne. Pourtant, au Québec, Luc de Larochellière est peut-être bien un monstre sacré. Résident pas bien longtemps de Cash City (perçant ses lumières pour mieux en voir les côtés crasse), Luc a « sauvé son âme » et continue de faire évoluer son oeuvre, l’emmenant toujours plus du côté de l’humanité. Encore plus dans son dernier né, « Autre monde ». Un album concept visitant les innombrables mondes qui nous entourent, dans chaque rencontre, chaque douleur, chaque étincelle de vie. Luc de Larochellière s’impose en observateur bienveillant et néanmoins aiguisé de son milieu fait de relations humaines et en prise directe avec l’actualité (le suicide américain qui confère des armes à des gamins, notamment). N’oubliant pas ses vieux succès, c’est avec pas mal de nouveaux trésors à la belle âme que Luc De Larochellière a conquis son public, l’a emmené en voyage inestimable. « Dis, tu t’en souviendras ? » Oui, intemporellement. Comme un dessin à la craie que le vent ne pourra jamais souffler.

Luc De Larochellière au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

 Changement total d’ambiance au coeur de l’église qui joue les prolongations des chaleureux bistrots de quartier. Ce soir, c’est Cayouche, un nom qui résonne comme celui d’une icône. Et on comprend pourquoi. Avec sa stature de vieux démon barbu et blanchi tout droit sorti d’un saloon, Cayouche, ce bientôt septuagénaire qui se définit en vieux hippie, c’est une sorte de pilier de comptoir aux doigts virtuoses dès qu’il touche une guitare. Une sorte de Ch’ti du Québec, aussi. D’ailleurs, dans ce mélange de patois et d’expressions typiques, les Belges que nous sommes avons bien du mal à retrouver nos petits. Au fil des blagues et des chansons country-caustiques, le rire est fédérateur et l’ambiance explosive.

Cayouche au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Tout aussi explosif et encore plus barré, Dimoné repasse du côté de la scène Hydro-Québec relocalisée sous le chapiteau plus seulement réservé aux pros. Dimoné, physiquement, c’est Louis Chedid sous speed et ne tenant pas en place pour matérialiser ce qui pourrait être la rencontre au sommet entre Feu! Chatterton et les voix d’Axel Bauer et Alain Bashung. La grosse guitare balance du lourd et l’artiste français nous emmène dans son délire vertigineux, profond, marquant, totalement personnalisé à forte dose de personnalité.

Dimoné au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Un peu plus loin dans le délire, nous répondons à l’invitation de Dick Annegarn qui, non content de sonder les artistes du festival pour collecter leurs chansons emblématiques du Québec, s’offre une carte blanche en solo dans le décor du magnifique hôtel de Tadoussac. Et c’est un voyage méconnu au coeur du folk que propose le Hollandais (non pas volant mais…) voyageant et iconoclaste. Car ce bonhomme que, pour une fois sur le festival, nous connaissons bien mieux que les Québécois (« on a vu Dick Adegarch »), n’en fait qu’à sa tête. Parfois sans queue ni tête, même ! Ce qui génèrera dans les allées des va-et-vient incessants. Mais pas de quoi décontenancer l’artiste qui sait se montrer piquant envers les pique-assiettes (et -chaises) de quelques instants. À la grâce de son jeu de guitare monumental, c’est dans un (d)étonnant spectacle pour enfants… mais pour les grands, que ce génie héroïque de la poésie à double-sens s’assume. Du Père Ubu au décryptage de V’là l’bon vent, v’là l’joli vent. Sans oublier Sacré Géranium rendu hilarant. Et le seul-en-scène de donner des ailes à la folie de ce faux-grincheux vraiment généreux. À voir en formule « Twist » et band, plus près de chez nous, aux Solidarités de Namur.

Dick Annegarn au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Après le grand Dick, c’est à la délicatesse féroce de Sarah Toussaint-Léveillé que cette grande salle de l’Hôtel fait place. Un univers tout personnel, entre fragilité et force tranquille, porté par de solides et classieux arrangements et une voix qui vient égayer ou meurtrir tout ça (le dernier album de la folk-woman s’intitule quand même La mort est un jardin sauvage). Dommage pourtant que des amis de la chanteuse aient rallié la salle, prouvant qu’ils peuvent très vite devenir des ennemis du concert, encombrants, bruyants et bien lourds. Dommage.

Sarah Toussaint-Léveillé au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Bélanger en apothéose

Le dimanche, nous nous la coulons un peu plus douce et picorant parmi les scènes. C’est ainsi que nous tombons nez à nez (et nous ne sommes pas seuls) sur Saratoga, binôme amoureux et mélomane qui sait attiser la fraîcheur pour nous attirer dans leur monde. Ça sent le vécu, et les anecdotes à rallonge de ces deux bavards le confirment. Nous, allongés dans l’herbe pour la sieste, on profite de ce miel pour les oreilles.

Saratoga au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Même endroit, un peu plus tard, heureux qui comme Wallace a fait un beau voyage pour trouver un public québécois. Trio sétois emmenés par un ancien des Hurlements d’Léo, Erwan Naour, en compagnie de Bertille Fraisse (au violon et au synthé) et de Nicolas Grosso (fameux guitariste aux multiples influences qui s’est employé à quelques solos qui valent leur pesant d’or), Wallace ne pensait pas, en écrivant « Le sang des baleines », venir le leur chanter à l’oreille, sur ce promontoire face au Saint-Laurent. Il y a du coeur et de l’énergie, une complicité qui saute aux yeux aussi, pour ce groupe qui a multiplié les prestations à Tadoussac et semble conquis et convaincant. En rock, en rocaille, en bidouillage sonore et danses manouches.

Wallace au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Dernier ténor de la scène québécoise à se présenter sur la scène « paroissiale » du Québecor, nul autre que Daniel Bélanger. Un autre qui a du mal à traverser l’Atlantique. Et c’est bien dommage tant celui que certains comparent à un Manset (qui ne fait pas de live, lui) a bien des richesses à partager. Tant pis, ça en fait plus pour nous.  En 25 ans de carrière, l’homme souriant et énergique a su tracer sa voie et sa voix très particulière dans une oeuvre patrimoniale, envoûtante, pertinente, humain et zarbi aussi parfois. Daniel Bélanger, c’est une patte, un amour de la musique et de tous les horizons auxquels elle donne droit. Dommage que noyées dans l’électricité de sa musique énergique, on ait eu du mal à en saisir les paroles. Et comme, à l’inverse de 99% de ce public, nous ne connaissions pas par cœur les chansons, on s’offrira une séance de rattrapage : on a acheté quelques albums de ce sublime artiste qui gagne à être connu par chez nous.

Daniel Bélanger au Festival de la Chanson de Tadoussac 2017 © Branchés Culture

Tadoussac ferme ses quartiers festivaliers et nous ne retiendrons que du bon de sa simplicité, de son air vivifiant, de ses lieux de concert hétéroclites, de son indéniable amour de la musique en français et sous tous ses aspects. Et à l’heure où Sony fête les 150 ans du Canada en ignorant complètement les chansons en français sur près de 6 CD d’une compilation, on se dit qu’un festival comme Tadoussac fait plus que résister, il leur fait la nique aux francophobes et il vit, il porte, il affirme une culture éclectique et toujours plus créative contre vents et marées.

PS : On vous avait concocté quelques playlists pour vous faire vivre un peu en direct nos péripéties sur Facebook. Retrouvez-les ici (et pour plus de découverte, n’hésitez pas à aller voir du côté de l’émission Tabarnak) :

 

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