Biolaysie: voyage au « pas d’ici des indécis »

par Olivier Terwagne, le 23/02/2016

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La « Biolaysie » un pays qui n’est « pas d’ici » et qui pourtant ne cesse d’interroger « son héritage« . Un pays qui puise à la « rivière du non retour » de la mélancolie française et d’un héritage de la chanson parfaitement incorporé. Un pays qui se laisse porter par les confluents rock, funk, hip hop, soul et les rives de l’imaginaire américain. Un pays qui s’abreuve aux fontaines de la langue italienne et aux chutes vertigineuses des sonorités argentines. Un pays où l’on n’a « pas sommeil » et on l’on vit de « nuits blanches ». Un pays où le soi se fragmente, voyage et se perd pour mieux se retrouver.

La tonalité du concert est donnée par l’introduction de la bande originale inaugurant ce film  rêvé par Biolay : une sorte de western urbain dans les quartiers de Palermo Hollywood. Nouveau venu sur la carte de la Biolaysie: l’Argentine, contrepoint solaire à sa mélancolie parisienne. L’Argentine et ses sonorités chaloupées de chacarera (Miss Miss) et de milonga (La débandade). L’Argentine, son bandonéon piazzolien qui colore de chaleur et de sensualité ce set très rock, très énergique, emmené par des musiciens hors pair. À l’Ancienne Belgique de Bruxelles, Biolay n’opère pas comme à la Salle Pleyel de Paris où il séparait le spectacle en deux parties, avec Palermo interprété du début à la fin et dans l’ordre du disque. Ici, il bouscule la narration, la fait tanguer, crée des ponts dans son pays fragmenté: entre ses titres, ses personnages, ses lieux et ses « mash up » (La superbe/A l’origine ; Mon amour ma chérie/Miss Miss; Douce comme l’eau/La plage). Il  entre en scène sur Palermo Hollywood au son de la basse Morriconienne de maître Nicolas Fiszman. Le bandonéon reprend le gimmick chanté ordinairement par la soprano latino américaine. Pablo Gignoli déploie la suavité de l’instrument dont on ne quittera plus la sonorité pendant plus de deux heures de spectacle, pour notre plus grand plaisir. Fin de l’été, sans transition, deuxième titre, deuxième round, krach boursier: 15 septembre (« on reste Dieu merci à la merci d’un jeudi Noir« ). Les titres s’enchaînent dans ce français dont il maîtrise parfaitement la rythmique. Le public l’acclame dans sa posture Trash Aznavour/Piaf avec Padam Padam. « Les chanteurs sont tous les mêmes« , lui soufflerait son compère Delerm le temps d’un duo empli d’autodérision. S’il donne sa « langue au chagrin » – comme dirait Renaud – à l’espagnol, à l’italien, à l’anglais (autant de langues qui scandent sa ligne du temps amoureuse) – c’est pour mieux s’ouvrir à l’autre perception du monde qui leur est substantielle. C’est pour mieux en expérimenter la sonorité charnelle et l’harmoniser avec ses arrangements et sa prosodie. Et c’est pour mieux retrouver celle de son héritage, la langue de Baudelaire.

Scansions urbaines solaires ou lunaires au rythme des rencontres amoureuses (Palermo queen, Mon amour m’a baisé, Roma Amor – nouveau single). Nostalgie galvanisante (Volver, nouveau titre poignant, Les cerfs volants, Négatif, Ton héritage), effluves sexuelles (nouveau titre 20 century fox, en avant, en arrière, à gauche, à droite, au centre: la politique et l’érotique vont de pair) et mysticisme (le + est un croix sur le post it de Brandt Rhaposdy mangé par l’euchariste de Miss Miss). Rimes surprenantes, ouverture de sens. Marx rime avec anthrax. De la lutte des classes à la guerre bactériologique, il n’y a qu’un vers. Il n’y a qu’un pas de clerc. Et « pas d’éclair sur ta poupée de cire ».Constat sociétal sur les licenciements abusifs du système néolibéral (Ressources humaines et la nov langue) ou sur le désenchantement des idéaux de jeunesse ou encore de l’insouciance vers le trop grand sérieux quand on a plus 17 ans (A l’origine:  « À Colombine, il va y avoir un carnage, en haut des cimes, il n’y avait que les nuages ». « À l’origine, on n’avait pas de pétard/(…) Mais les cheveux en pétard »… Mash up final vers la Superbe: « dès la prochaine vie jurer de se rester …fidèles »… Vous avez tout compris, lance-t-il goguenard, après que le public aie chanté avec lui ce dernier mot.

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Biolay incarne des personnages de sa mythologie (Rose Kennedy, Billy Bob, Miss Miss), trimbalés dans des villes (Buenos Aires, Paris, Los Angeles, Rome), marqués par des ruptures, des voyages et par l’histoire. Strophe surprenante : « Soviet suprême/Toi mon plus beau problème/Dans ton abdomen/Un tout nouveau spécimen/Dans la merco benz/C’est de l’espoir que je promène ». Toute la guerre froide se résume dans cette petite histoire de couple. Du Soviet à la Merco benz. Fin de la grande Histoire. Que faire? Attendre l’abribus ou l’Angélus, le verre de Campari  ou le bon vouloir de l’équipage… Et, dans l’aventure de tous ses détours, de toutes ses débandades et rhums en rasade, Biolay revient toujours comme une pierre de touche angulaire à Chiara. « 2000 ans que j’attendais ça« . Personnage métaphorique, elle incarne une figure particulière de la muse: celle qui ne tourmente pas, celle qui apaise. Elle est l’élément aquatique  qui passe dans le fleuve et ne cesse de se mouvoir dans la permanence. Chacun de leur duo (La ballade du mois de juin, Billy bob a raison, Douce comme l’eau, La plage) ouvre la clé à une sorte d’innocence perdue – là où le piège des sirènes a été déjoué (Négatif), une quiétude adolescente sans solex « quand tout n’était pas si complexe », une trêve apaisée au coeur de cette Biolaysie si sauvage: « Je t’attendrai sur la plage/En fumant la résine/En trichant sur mon âge »… Même si   « tout fout le camp »,  même si « nous avons pris chair », ce voyage vaut les chandelles qui illuminent les « nuits de France » sous lesquelles les amoureux dansent, dansent. Et quand je danse, je danse si l’on en croit ce vieux Montaigne. Même si « tu pars », même « s’il est trop tard », ce voyage au pays des anaphores filées et des métaphores filantes offre la possibilité d’une suspension musicale qui intensifie la perception de notre présent et de ses « mystères troublants ».

Claviers: Reyn Ouwehand

Guitare: Philippe Almosnino

Choeurs: Chiara Mastroianni

Bandonéon: Pablo Gignoli

Basse: Nicolas Fiszman

Batterie: Denis Bennarosh

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Crédits photographiques: Vanessa Stroobants

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