The Neon Demon : un diamant dans un océan de verre

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Quoi de plus naturel pour le réalisateur danois, Nicolas Winding Refn, de s’attaquer à la thématique sulfureuse de la beauté dans le monde de la mode à l’ère contemporaine. Celui qui, par son univers visuel marginal, a prouvé plus d’une fois (Drive, Only God Forgives) que le cinéma est avant tout une question d’image et d’esthétique. 

Jesse (Elle Fanning) est une jeune fille d’à peine 16 ans qui débarque à Los Angeles avec l’ambition de devenir mannequin, de toucher la gloire du bout des doigts. Jesse ne sait pas chanter, ni danser et encore moins écrire, mais elle dispose d’une chose dont elle est pleinement consciente : sa beauté. Dès son arrivée, elle est repérée par un jeune photographe qui prend quelques clichés atypiques. Pour finir par signer un contrat dans une grande agence de mannequinat malgré son très jeune âge, peu importe. Elle devra mentir et affirmer qu’elle a déjà 19 ans. Une fois le décor posé, une lumière correctement ajustée, un maquillage parfait, le shooting peut enfin commencer.

Un corps sinon rien

Dans la pure tradition des films de Nicolas Winding Refn, The Neon Demon exacerbe l’esthétique et fait la part belle à une colorimétrie riche qui s’accorde avec une bande originale électronique, pour ne pas dire robotique. C’est un long métrage d’intérieur. Tout comme les jeunes mannequins, on est enfermé le plus souvent dans les studios baignant dans la lumière artificielle, la blancheur se déclinant, se transformant selon les émotions de ces belles poupées de porcelaine. On passe par toutes les teintes, avec néanmoins une plus forte présence du rouge et du mauve qui éclairent bien souvent le visage de Jesse.

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On devine ici très rapidement le parti pris du réalisateur qui concède à livrer aux spectateurs une galaxie du paraître, de la lumière jusqu’à la chair. C’est à la fois la grande qualité et le grand défaut du film. Qualité puisque l’artifice, l’hypocrisie, « l’au-dessus » de la peau est totalement maîtrisé par la caméra. Défaut ensuite, car il est regrettable de dresser un portrait aussi sombre, qui tend vers le cliché, des égéries de nos créateurs de mode. Jesse est le personnage central, mais aussi l’allégorie de la beauté. Tous ceux qui gravitent autour d’elle tombent dans une étrange et malsaine fascination. Alors, une question formulée depuis l’antiquité s’impose immédiatement à l’esprit : qu’est-ce-que le beau ? Notion presque impossible à définir car relevant en général de l’entière subjectivité du sujet. Ici, le personnage de Jesse est la représentation visuelle d’une beauté universelle, un plaisir esthétique partagé par tous ceux qui croisent sa route. On peut ici se référer à Emmanuel Kant et sa définition de la beauté.

« Le beau est ce qui plaît universellement et sans concept ».

Le terme est employé dans le film dans un sens restreint. Ce qui est beau c’est le corps, ce qu’on donne à voir. Cette surface corporelle est l’unique enjeu de la concurrence nauséabonde entre les mannequins, aucune de ces femmes ne veut devenir une « viande avariée ». L’arrivée de Jesse sur le marché suscite des craintes inavouées, des regards à mi-chemin entre l’envie et le dégoût. Le réalisateur présente un monde vide, où on ne demande rien d’autre à ces femmes que de poser et d’être à disposition. En aucun cas, il ne leur est demandé de penser. Factices, elles appartiennent aux photographes et créateurs, amateurs de perfection plastique. Comme énoncé par l’un d’entre eux dans le film : « la beauté ne fait pas tout, elle est tout ».

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Une beauté dévorante

Difficile de chercher la nuance ailleurs que dans la couleur de The Neon Demon. Le propos est radical mais honnête. Nicolas Winding Refn filme des scènes épileptiques, les flashs des appareils se mêlent à ceux des néons en boîte de nuit. Le mouvement vient de la contingence de la photographie, les corps restent immobiles. En revanche, contrairement à ses films précédents, celui-ci donne un peu plus d’espace aux dialogues, souvent à des répliques cinglantes que s’infligent les mannequins entre elles.

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Le corps bionique, machinique est au coeur de l’oeuvre. Mis à part Jesse, les autres femmes se targuent ouvertement d’avoir subi de lourdes opérations de chirurgie, il ne s’agit pour elles que d’un simple entretien corporel. La dernière partie du film est le paroxysme du désir grandissant envers cette jeune fille, belle est innocente. Ce désir exponentiel prend l’allure de l’obsession pour se terminer dans l’absorption. Ce n’est pas sans rappeler la conclusion du Parfum de Patrick Suskind, moment où la tentation est si forte, le désir si prononcé, qu’il mute en cannibalisme. Je n’en dirais pas plus à ce sujet.

The Neon Demon est le digne héritier du réalisateur danois qui donne parfois l’impression de construire des histoires à partir de concepts. La rédemption, la vengeance et maintenant la beauté. Si les choix visuels prennent le pas sur la réalité, le film à le mérite d’interroger les modèles mis en place dans notre société. Le culte du corps et la silhouette millimétrée sont, bien sûr, des diktats culturels très présents. Heureusement, n’oublions pas que la mode, comme d’autres univers artistiques, n’est pas à l’abri de secousses et de changements.

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