Joséphine Baker ébouriffe la BD: « Aller bien au-delà des quelques minutes qui ont fait sa légende »

De la misère au glamour, du Missouri à Paris puis au monde entier, de l’insouciance à ce sentiment fort et inébranlable de la diversité et de la liberté. Bien plus que quelques bananes en guise de ceinture et quelques clichés qui font office de morceau visible de l’iceberg, Joséphine Baker a eu mille vies, tour à tour danseuse, chanteuse, actrice, mère par dessus-tout et citoyenne d’un monde encore aujourd’hui en changement (encore ce matin, on nous parlait de violences raciales à Charlotte), mais que Joséphine Baker a fait vaciller sous les coups pacifistes des messages universels.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Des yeux qui louchent aux mille visages de cette figure hors-norme du XXème siècle, José-Louis Bocquet et Catel (dont nous vous parlions, il y a quelques mois, d’Adieu Kharkov) livre un pavé de 460 pages ébouriffantes, frénétiques, historiques et au plus près de ce que fut l’insaisissable Freda Josephine McDonald, surnommée Tumpie. Nous avons rencontré les deux auteurs, accompagnés de Jean-Claude Bouillon Baker, membre de la tribu arc-en-ciel si chérie par Joséphine.

Bonjour à vous trois. Catel, vous commencez à avoir l’habitude de ces vies de femmes, non?

Catel: Est-ce qu’on s’y habitue un jour? Je ne crois pas, on découvre toujours des merveilles, mais c’est vrai que je suis dans le métier.

Vous nous revenez avec un ouvrage qui part dans tous les sens, frénétique. Joséphine Baker n’a jamais arrêté de courir dans tous les sens, en fait. Mais quelle fut la porte d’entrée sur son univers?

José-Louis Bocquet: Avec Catel, dès la fin de Kiki, on a commencé à réfléchir à Joséphine. Avec ce souci que d’un tel personnage, on connaît toute la filmographie, tous les spectacles, mais rien des coulisses. À tel point qu’on a laissé ce projet de côté pour faire, entre-temps Olympe de Gouges. Ça aurait pu en rester là sauf que Catel a, un jour, reçu un coup de téléphone.

Catel: Au bout du fil, un certain Jean-Claude Bouillon. Il me demande de dessiner sa maman parce qu’il a lu nos précédents ouvrages et qu’il verrait bien sa maman sous nos plumes. Je n’ai pas été attentive tout de suite, les gens me demandant de dessiner l’un ou l’autre membre de leur famille, il m’en arrive relativement fréquemment. Jusqu’à ce que ce monsieur me parle de Paul Collin. Ça a fait tilt, je me souvenais d’un dessin de cet artiste de Joséphine Baker. Je lui ai demandé qui était sa maman. Il s’est exclamé: « Mais, Joséphine Baker! » Lui-même s’appelait Jean-Claude Bouillon-Baker et était l’un des douze enfants adoptés par Joséphine.

Dès le lendemain, on s’est rencontré et on a décidé de mener ce projet sur le long terme et de front.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

José-Louis: Ce qui est incroyable dans cette rencontre avec Jean-Claude, c’est que tout d’un coup, sans que nous nous y attendions, il nous apportait les clés des coulisses. De la vie familiale, de la vie privée à laquelle on n’avait pas accès. Avec Catel, nous travaillions sur un autre projet mais nous avons décidé de nous consacrer exclusivement à Joséphine durant trois ou quatre ans.

Catel: Joséphine, c’est quand même la première femme noire internationalement connue. Cette femme issue d’un milieu pauvre qui va acquérir une gloire sans précédent, c’était très interpellant. Et, en même temps, je ne me sentais pas tout à fait légitime pour parler de cette femme de couleur qui devient française et charme la France et le monde entier.

Et cette porte que je pensais infranchissable, c’est Jean-Claude qui me l’a ouverte. J’avais accès à son intimité et ça me donnait cette légitimité. Moi, petite blanche européenne et bourgeoise, je pouvais entrer dans la vie de cette femme, de ses enfants. Origines, couleurs… tout ça était gommé et je pouvais me l’approprier pour en faire mon héroïne.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Oui, vous nous habituez à du long cours. Le lecteur a souvent droit à des biographies condensées répondant à une quarantaine ou une cinquantaine de planches, ici, c’est un gros pavé!

José-Louis: D’une certaine manière, tout s’est fait de manière empirique. Avec Kiki de Montparnasse, nous ne voulions pas être bloqués sur le format « 48 pages » habituel. Ça nous semblait trop réducteur et puis, ce qu’on aime dans une biographie, c’est de rentrer dans les détails et de passer un moment avec le personnage. Ça n’existait pas vraiment en bande dessinée, c’était souvent très court. Et le roman graphique nous permettait de le faire. Après, sur Kiki, on ne s’est pas dit non plus qu’on allait faire 300 planches. Mais quand on l’a terminé, on s’est aperçus que c’était le format idéal.

Après, ce n’est pas de la biographie scientifique, on se rapproche plus du cinéma, on met en scène. Tout est vrai mais Catel reconstitue les scènes. Notre approche est plus proche du romanesque.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Jean-Claude Bouillon-Baker: La BD biographique, ce n’est pas mon univers. Mais je cherchais un médium pour élargir l’accès à Joséphine. Cette forme qui est relativement nouvelle, le roman graphique qui existe depuis 20-30 ans environ, m’a séduit. On peut prendre le temps, dérouler une vie comme dans un film. On n’est jamais exhaustif mais ça se lit, ça se regarde, ça se vit. On suit la trajectoire des personnages et on traverse tout le vingtième siècle en fanfare avec Joséphine, issue de la misère, devenue star et qui, peu à peu, va se conscientiser.

N’importe qui, de n’importe quelle origine sociale, peut s’attacher à ce personnage hors-du-commun dont finalement on ne connaît très souvent que des grandes lignes. Ça éclaire Joséphine Baker sous de nouvelles lumières.

José-Louis, vous qui êtes habitué à toucher à tous les formats, qu’est-ce qui fait la force de la BD dans le genre biographique?

José-Louis: Ce qui me semble formidable, c’est le pouvoir de reconstitution, des décors, des costumes. Cette possibilité de faire vivre les gens. Les personnages sont vivants, on y croit, ils jouent devant nous. Et ça fait plonger le lecteur en empathie avec le personnage.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Dans le dessin, concrètement, il y a ce mouvement qui habite Joséphine, cette tornade qui ravage tout sur son passage. J’imagine qu’il a fallu l’adapter.

Catel: La musique, le spectacle. C’est le défi, comment représenter ce qui n’est pas dessinable? Il fallait trouver des moyens graphiques pour exprimer tout ça. Il y avait des défis. Un, représenter la femme noire en noir et blanc. Deux, la représenter de sa naissance à sa mort, en la faisant évoluer d’année en année tout en gardant sa grande beauté.

Puis, le mouvement, cette souplesse, ce mouvement qui a inspiré des peintres comme Paul Collin. Ce n’était pas évident. Mais, embarquée par cette femme, par ses enfants, je me la suis appropriée tout en respectant le style graphique et en inspirant des mouvements graphiques et picturales de l’époque.

On parle beaucoup des yeux de Bette Davis, mais ceux de Joséphine Baker ne sont pas mal non plus. C’est quelque chose dans votre dessin!

Catel: Ah, oui, ses expressions. D’autant qu’elle en joue beaucoup. Elle louche, elle amuse la galerie. C’est le point d’exclamation en bout de ligne. Elle faisait le clown mais maîtrisait mieux la danse que n’importe qui pour arriver à la transcender et à en faire un mouvement humoristique. Comme Chaplin maîtrisait la chorégraphie. Baker était vivante, audacieuse, elle mettait de l’humour dans son mouvement tout en y alliant la grâce, c’est la clé de son charme.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Puis il y a cette multitude de détails que vous pouvez distiller et dont le cinéma serait incapable. Parce qu’en BD, le temps du lecteur n’est pas compté.

José-Louis: C’est toute la magie de la bande dessinée, depuis toujours. Tous les scénaristes vous le diront: c’est facile d’écrire sur une case « Bataille de Waterloo ». Au dessinateur de se débrouiller pour la faire exister. Et ce avec des moyens réduits… enfin, au dessinateur, ça va lui coûter sa santé, sa main, des heures de travail et de sueur, mais ça coûte moins cher que de louer les champs de Waterloo et d’y mettre 3000 figurants habillés en costumes d’époque. Enfin, sur les terrains historiques, je pense que la BD sera toujours plus riche qu’un film: tout dépend du talent du dessinateur, et non de l’argent du producteur.

Ici, pas de Waterloo, mais ce château des Milandes qui n’est guère plus facile à représenter mais dans lequel votre bio passe pas mal de temps. Et vous arrivez à nous y perdre un peu. Le plan de ce château arrive assez tard. C’est labyrinthique!

(c) Catel - Repérages
(c) Catel – Repérages

Catel: Nous-mêmes, on s’y est perdus en arrivant. Joséphine l’a loué dans un premier temps avant de l’acheter. Et on comprend petit à petit qu’elle n’a pas seulement acheté le château mais aussi le domaine tout autour. Et même, les domaines! Une espèce de centre culturo-artistique, un Club Med culturel avant l’heure, avec ferme modèle, cabaret, piste de danse… Et elle a élevé ses enfants dans cet univers où se produisaient des artistes du monde entier. Puis, elle a carrément inventer le tourisme dans le Périgord! C’était une entreprise florissante.

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Nous, on n’a pas compris tout ça tout de suite. C’est en y allant avec Jean-Claude qu’on a vu tout ça. Bon, aujourd’hui, toutes les parcelles ont été rachetées par des propriétaires différents. Mais c’était précieux de redécouvrir tous ces endroits. Dans les années flamboyantes, c’était immense. Et pour tenter de mieux comprendre, j’ai tenté de recomposer un dessin, une vue aérienne des Milandes. Pour cerner tout cet espace et la folie de ce projet. Ça pouvait sembler utopiste à l’époque, mais c’était un vrai projet humanitaire et fraternel. Elle l’appelait d’ailleurs la capitale de la fraternité. Elle y élevait ses enfants mais pas que. Pas plus tard qu’hier, on a appris que d’autres enfants adoptés débarquaient de temps en temps, pour un an ou deux.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Et c’est vrai que sur les photos dont je me suis servie, je voyais parfois une tête inconnue apparaître en plus des douze enfants. Ainsi, Joséphine prenait les enfants du voisin et ceux qu’on lui confiait. Tout le monde se mélangeait. Ça paraissait fou mais ça a réussi. Et aujourd’hui, on constate que cette tribu arc-en-ciel forme une vraie fratrie qui se retrouve, s’aime. Son projet n’était pas une utopie et s’est réalisé. Elle a créé des liens. Ces enfants toujours unis, c’est une grande leçon d’humanisme. Liberté, égalité, fraternité, ces valeurs qu’elle a épousées en 1937, elle les a concrétisées.

Au niveau des détails, il y a toute une série de personnages. À l’époque, ils ne sont pas encore très connus alors qu’ils sont désormais passés à la postérité depuis longtemps, et Josephine va les croiser. Il y a Georges Simenon, Jean-Claude Brialy et tant d’autres, mais aussi Grace Kelly, avec une histoire incroyable!

José-Louis: C’est une histoire que Grace Kelly va raconter elle-même, des décennies plus tard, à Jean Bouillon, le mari de Joséphine et papa de la « tribu arc-en-ciel ». Grace a ainsi assisté à cette fameuse scène au Stork Club, the place to be, où Joséphine Baker est victime d’un racisme abominable: les serveurs refusent de la servir. Une scène qui va marquer la jeune actrice suffisamment, nous pensons, que pour qu’elle soit au premier rang, quinze ans plus tard, pour dépêtrer Joséphine et ses enfants. Grace est alors devenue… Princesse de Monaco. C’est une très belle histoire, terriblement romanesque.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Il y a aussi Brigitte Bardot qui, sans avoir rencontré Joséphine, va également, plus tard, lancer un appel à l’aide médiatique pour sauver le Domaine des Milandes.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

José-Louis: Ça aussi, c’est magnifique. Cet hommage d’une génération à une autre, Brigitte qui va à la télévision française pour faire cet appel en faveur de Joséphine. Puis, ce qui est assez drôle, c’est cette scène très inspirée des actualités télévisées. Catel est en contact avec Brigitte Bardot, qui aime beaucoup son travail.

Ainsi Catel lui a envoyé ses planches pour qu’elle les valide tout en y joignant un portrait de Brigitte. Un cadeau. Sauf que Brigitte lui a renvoyé le portrait recorrigé… au niveau du maquillage. L’actrice avait rajouté sur le dessin des indications sur son maquillage de l’époque. Sur trois ans de travail, ce genre d’anecdote est bienvenu.

Un hommage à Brigitte Bardot pour ses 80 ans (c) Catel
Un hommage à Brigitte Bardot pour ses 80 ans (c) Catel

Et Fidel Castro!

Jean-Claude: C’est vrai qu’elle vaut son pesant de pittoresque, si je puis dire. Cette rencontre ne se passe bien sûr pas dans le Cuba que tout le monde connaît et dont on entend parler régulièrement. Non, c’est le Cuba post-révolutionnaire, où tout le monde veut se rendre. Et pour Joséphine, ce fut une grande histoire d’amour que Cuba. Elle y a chanté pour le peuple, était persona non grata dans les hôtels tenus par la mafia américaine… Encore aujourd’hui, on parle d’elle à l’hôtel national de Cuba, une fresque la représente et dans les années 2000, nous avions été invités par Fidel Castro lui-même pour honorer sa mémoire. Notre maman est considérée dans le panthéon cubain comme une bienfaitrice du peuple. Et je me demande d’ailleurs si ce n’est pas là-bas, au contact de ce peuple de trois couleurs où l’égalité est presque parfaite, qu’a germé son idée de multiconfessionnalité.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Alors cette rencontre avec Castro a lieu en 1965, après la révolution et Cuba est alors une terre promise pour beaucoup d’intellectuels de l’époque: Sartre… On croit au miracle cubain qui se départit complètement des blocs est et ouest. Même si ça n’a duré qu’un temps. Fidel Castro, parmi mes frères et soeurs, tout le monde s’en souvient. Ce personnage, à l’époque, on n’avait pas idée de son action historique  et révolutionnaire. Mais on se souvient très bien des hélicoptères qui tournoyaient, de l’agitation de maman qui nous dit de faire attention à bien l’appeler Tito Fidel (Tonton Fidel)… Et quand il est arrivé, on a passé l’après-midi à jouer au baseball avec les Cubains – ils étaient très forts, c’était la seule chose dont ils avaient gardé le souvenir des USA – et à taper des balles avec Castro et sa garde rapprochée, autour de la piscine et entre les gardes armés. C’était surréaliste.

Dans votre ouvrage, il y a tellement de personnages, connus ou anonymes. Vous ne vous y êtes pas perdus?

Catel: Mais Joséphine rencontre le monde entier, les célébrités. Elle passe sa vie dans les palaces, est reçue chez les présidents, chez les rois. Sans compter les stars. La musique, Duke Ellington, Sidney Bechett. La danse. La littérature, Georges Simenon, Colette. La peinture, Paul Collin, Fernand Léger. Le cinéma, Jean Gabin. Elle était dans tous les milieux artistiques.

Recherches (c) Catel
Recherches (c) Catel

Et ce qui était très interpellant et qui a nourri ses combats par la suite, c’est qu’en ayant fréquenté tous ces gens, elle restait une étrangère dans son propre pays d’origine. Alors qu’elle était une vedette internationale, elle était obligée de passer par la porte de service de l’hôtel plutôt que par la grande porte. Parce qu’elle était noire. Ce qui est insultant et indigne. Et, petit à petit, en prenant conscience de ces injustices flagrantes, elle est devenue militante.

Les villes jouent un rôle important dans votre histoire. Entre Paris et New York, qui sera toujours un rendez-vous manqué pour Joséphine. Mais il y a ce contraste entre l’accueil dans ces deux villes. New York et les USA qui restent de marbre et hostile et Paris qui l’accueille à bras ouverts.

José-Louis: Ce sont de vraies différences de culture. Si on sait que la France a été une nation colonialiste et esclavagiste, bizarrement, depuis le XVIIIème siècle, il n’y a jamais eu d’esclave noir en France. Un esclave noir qui mettait les pieds sur le sol français était immédiatement affranchi. De quoi changer tout le regard des français sur le Noir. Ça n’a bien sûr pas empêché le racisme, le colonialisme, le paternalisme et le reste.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Mais aux États-Unis, à une génération près, les parents de certains artistes légendaires étaient des esclaves. Et à cette époque, une Joséphine Baker reste une fille ou une petite-fille d’esclaves. Et ça va être sa grande découverte lorsqu’elle va arriver en Europe: cette liberté. Elle se sentira toujours incroyablement française, elle va prendre la nationalité en se mariant, devenir gaulliste. Un grande Française (il sourit).

Il y a une insulte qui revient aussi, c’est le « sale communiste ». Mais si elle était communiste, c’était selon ses propres valeurs, pas « pour ce que les hommes en ont fait ».

Catel: Comme toujours, comme pour les religions. Elle cherche l’égalité entre les êtres et a surpassé les politiques.

On parlait de film, tout à l’heure, on peut aussi parler de cette télé qui trône dans le salon des Milandes et cette colère fracassante de Joséphine qui ne veut pas que ses enfants regarde ses toutes premières prestations. « Éteignez-moi ça tout de suite, je suis votre mère, pas cette chose ».

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Jean-Claude: Il y a eu quatre étapes dans la vie de Joséphine, les transformations naturelles d’une femme.

Il y a eu la Joséphine de l’enfance, la misère, la voie sans issue. Avec, toutefois, cette chance et ce courage de traverser l’Atlantique pour échapper à ce sort qui était commun à tous les noires. La plus représentative de ceux-ci est sans doute Billie Holiday.

Ensuite, Joséphine devient celle qui invente le glamour, même à son corps défendant, dans les années folles, les 20’s et 30’s.

Après quoi, vers 34 ans, elle devient une vraie femme accomplie, la guerre va la transformer, la conscientiser. Mais aussi la ségrégation qu’elle retrouve à son point culminant dans les États-Unis du maccarthysme.

La dernière étape, c’est la mère « universelle » comme elle aimait à se présenter. Pour nous qui étions tout petits, nous n’avions pas conscience de qui était Joséphine Baker, de ce qu’elle représentait, la diva de la scène, l’artiste de la vie. On n’avait conscience que de sa dimension de prophète de la tolérance et de l’égalité. Alors, lorsqu’elle jaillissait à la télé dans des images d’archivés, et qu’elle portait cette ceinture de bananes, ça ne lui plaisait pas vraiment que nous la voyions, elle, notre mère, comme ça.

Recherches (c) Catel
Recherches (c) Catel

Parmi toutes les facettes de Joséphine, quelle est celle qui vous a le plus marqué?

José-Louis: Ce qui est extrêmement touchant, c’est que cette artiste internationale, après l’impact de la Grande Guerre, va prendre conscience de son devoir de s’engager dans une lutte pour les libertés qui va se transformer, dans l’après-guerre, en un questionnement sur la puissance, le pouvoir que lui conférait son statut de grande star. Et elle va mettre ça au service de ses idées qui, au fil des décennies, vont prendre forme: le combat contre la ségrégation raciale qu’elle va concrétiser en inventant cette tribu arc-en-ciel.

Et là, pour le coup, ce n’est pas du virtuel, c’est avoir douze enfants qu’il faut élever, c’est être une mère fois douze, un exemple. C’est très touchant cette puissance artistique mise au service d’un idéal. Et cet idéal, ça va aussi être nourrir ces enfants. Un retour à la source-même de la vie, de sa vie.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Alors qu’elle n’a jamais été mère de sang, si je puis dire. Est-ce quelque chose qu’elle a sacrifié à sa carrière?

José-Louis: C’est surtout en raison de problème de santé. C’est difficile de dire à quel moment elle a perdu la possibilité de donner la vie, mais elle a subi plusieurs opérations pendant la guerre. À un moment, elle ne peut plus. Et sa tribu, c’est aussi une manière de transformer le handicap, le désespoir en un espoir, un amour. C’est remarquable.

Jean-Claude Bouillon-Baker: Elle est restée pendant 19 mois entre Marrakech et Casablanca, d’opérations en opérations mais ça ne l’a pas empêchée d’entrer dans la guerre du renseignement et de suivre les alliés jusqu’en Allemagne en 1945. Mais ce fut un grand désespoir pour elle de ne pas avoir d’enfants.Du coup, quand elle s’est marié avec mon père en 1947, on ne sait pas ce qui a fait déclic. Si elle avait eu le temps, elle l’aurait sans doute dit dans ses mémoires, il y a sûrement eu un événement qui a mené à son désir de fonder une famille, à ce choix de l’adoption.

(c) Joséphine Baker - Bocquet/Catel - Casterman
(c) Joséphine Baker – Bocquet/Catel – Casterman

Joséphine, elle était orgueilleuse dans le bon sens du terme. Elle n’a pas été à l’école très longtemps mais elle avait la sagesse d’observer et d’écouter les gens, une forme d’intelligence pour capter les choses qui se passent dans le monde. Elle avait cette possibilité d’être une grande voix féminine du siècle. À travers quoi? Peut-être avec cette volonté incroyable et unique d’adoptions multi-confessionnelles.

Quand on pense à Joséphine, on pense immanquablement au cliché de la banane. Ici, vous l’évitez judicieusement en la reléguant au clin d’oeil.

José-Louis: Oui, ce ne fut finalement qu’un instant de la vie de Joséphine. Et bizarrement, dans l’imaginaire collectif, on confond la ceinture de bananes avec la revue nègre, comme si tout avait été ensemble. Alors que pas du tout, la revue se passe un an plus tard, conçue par quelqu’un d’autre.

En fin de compte, c’est à l’image de la couverture créée par Catel. La ceinture jaune de bananes est évoquée mais pas dessinée. Et c’est tout notre propos, à Catel et à moi, mais aussi à Jean-Claude: on connaît Joséphine avec sa ceinture, ses quelques minutes sur scène qui ont fait sa légende internationale, il fallait raconter qui elle était vraiment.

Merci à tous les trois! Et longue vie à Joséphine et ses belles idées!

josephine-baker-bocquet-catel-couvertureTitre: Joséphine Baker

Scénario: José-Louis Bocquet

Dessin: Catel

Noir et blanc

Genre: Biographique, Histoire

Éditeur: Casterman

Collection: Écritures

Nbre de pages: 460 (+108 pages de Chronologie et notices biographiques)

Prix: 26,95€

Date de sortie: le 07/09/2016

Extraits:

Et en bonus, quelques recherches et repérages comme il y en a moult sur le site et le blog de Catel:

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