Vendredi 20 mai. Sio nous nous rendons au Botanique pour notre dernière soirée aux Nuits 2016, c’est pour un concert d’un genre différent. En effet, nous n’allons pas voir un jeune artiste indie ou un groupe de rock francophile, non, cette fois nous nous apprêtons à assister à l’incroyable spectacle né de la rencontre entre le génie belge Walter Hus et le virtuose de erhu, Guo Gan. Un voyage fascinant qui nous jettera sur les routes de la soie, entre Bamako et l’Himalaya.
19h30, après s’être hâté à cause d’un retard de train, nous voila enfin passant la sécurité défigurant à présent l’entrée du Botanique. Une fois ce contrôle obligatoire, sensé rassurer, passé; nous nous dirigeons enfin vers le Grand Salon, cette salle unique, sans doute la plus belle du Botanique. La foule n’est pas encore nombreuse, sans doute n’avons-nous pas été les seuls à être retardés en ce vendredi. Nous prenons donc place dans cette salle intimiste aménagée pour l’occasion de quelques dizaines de sièges dépareillés. Devant nous, la scène est déjà magnifiquement illuminée, un peu partout sont nichés ces instruments fous et magiques, déjà prêts à s’animer, une batterie, un accordéon, plusieurs claviers. Et derrière, le majestueux orgue Decap de Walter Hus s’élève, conférant à cette pièce une atmosphère déjà unique.
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Et, nous n’attendons pas très longtemps avant de voir les deux hommes entrer en scène, tout de blanc vêtus, tels des anges. Walter Hus s’avance vers son micro de sa démarche chaloupée, et le génie qu’il est prend la parole maladroitement (il faut le comprendre, sa langue c’est la musique) nous présentant ce nouveau projet qu’il semble chérir autant qu’un nouveau né, cette Silk Road Sonata. Il introduit son comparse, le chinois Guo Gan, prodige de Erhu, cette vièle ancestrale à deux cordes seulement. Il fait l’analogie entre cet instrument et son célèbre orgue, les comparant à des femmes, belles, tumultueuses et imprévisibles. Il en parle pas plus longtemps, préférant laisser la musique nous conter simplement son histoire. Et nous voila parti dans un voyage entre Orient et Occident, à arpenter cette fascinante route de la soie.
Et notre épopée commence paisiblement sur les versants de l’Himalaya, le son divin de la vièle empli la salle à présent bien remplie tandis que les vibrations de l’orgue font vibrer le sol, conférant à cette expérience musicale, une dimension supplémentaire, une dimension physique non négligeable. Le tableau est majestueux, d’un côté le compositeur belge passionné, derrière son piano, de l’autre, un autre virtuose, le visage poupin, qui semble ne faire qu’un avec son instrument. Il le maîtrise à la perfection et de sa timide personne se dégage un incroyable magnétisme, vibrant de simplicité.
Nous continuons alors notre route, direction Bamako cette fois, découvrant une capitale malienne énergique et endiablée, à des lieues du charme serein de notre précédente escale. L’intensité est au rendez-vous, les images prennent forme dans les esprits inspirées par l’impressionnant pouvoir de suggestion de cette sonate inattendue. Guo Gan prend enfin la parole, brisant le silence de cathédrale qui règne dans la salle entre les différents morceaux. C’est en français qu’il s’exprime, nous présentant cet instrument fascinant, vieux de plusieurs siècles, au son à la fois pur et sublime. Il nous explique qu’en Chine il n’existe en réalité que cinq notes; le do, le ré, le mi, le sol, le fa et le si. Pourquoi ? lance-t-il au public en faisant signe de lever la main. Parce que ce n’est pas fa-si-l !
Passé cet interlude humoristique, Guo Gan se lance dans un incroyable solo, magnifique et profond, qui laisse véritablement le public conquis, sans voix. Même Walter Hus, semble subjugué par son comparse et c’est un tonnerre d’applaudissements qui résonne et ravi le violoniste qui porte humblement sa vièle en berne, comme si elle seule était responsable de cette magie qui nous enveloppe ce soir.
Le voyage peut reprendre avec le fantasque Night Oh Night. Nous ne sommes décidément pas déçus d’avoir céder à la curiosité en venant assister à cette sonate. Le résultat de cette rencontre entre deux cultures musicales est prodigieux. Une chose est certaine, la passion lie ce duo d’hommes fascinants et imprègne leur musique intemporelle si intense qu’elle rappelle, sur certains morceaux, l’acmé atteint par les magnifiques ragas indiens de Ravi Shankar ou même Ali Akbar Khan. L’expérience artistique est forte, si bien que l’on voudrait qu’elle ne s’arrête jamais. Mais la performance prend fin, sous une ovation exaltée de ce public conquis. Et il en redemande. Les deux musiciens reviennent alors, eux aussi visiblement heureux de ce concert. Il vont cette vois nous emporter en douceur dans leur interprétation du célèbre Dok Champa, cette ode à la femme. La magie opère, le morceau est somptueux, porté par cet orgue qui se mêle avec subtilité à la douceur de cette vièle réellement féerique.
C’est finalement trois rappels que ce duo, à la croisée des mondes, effectuera pour notre plus grand plaisir, avant de nous quitter définitivement. Maintenant, c’est fini, hein ! ajoute Walter Hus, clôturant cette sonate que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
Par Alizée Seny