Interview avec Sylvain Ricard: « Je ne suis pas historien, ni partisan, relater la réalité d’Action Directe n’aurait pas été très intéressant »

Bienvenue dans la violence d’UCT, l’unité combattante trudaine. Et si, la couverture de Rica évoque de loin un monde de zombies, le dessinateur signe pourtant avec Sylvain Ricard une plongée dans la violence urbaine de la France des années 84. Action Directe fait sa loi. Les bombes explosent et les attentats font mouche. De quoi donner des idées à une jeunesse désillusionnée. Et la police d’envoyer une jeune recrue dans ce monde inquiétant et prêt à tous les sacrifices. Nous avons posé quelques questions à Sylvain Ricard, en plein bouclage du prochain numéro de La Revue Dessinée.

Bonjour Sylvain, Unité combattante trudaine, kézaco ?

C’est le titre de mon dernier livre, paru en septembre 2015 aux éditions Glénat, en collaboration avec le dessinateur Rica. C’est aussi un groupuscule d’activiste révolutionnaire fictif du début des années 80.

Trudaine, le mot n’a pas été choisi au hasard, c’est une rue de Paris dans laquelle deux policiers sont mort en pleine fusillade. Des faits tragiques qui vous ont marqué ?

Il m’a fallu nommer ce groupuscule, dans l’idée d’autre « unité combattantes » ayant réellement existé. Dans la mesure où il s’agit de « tueurs de flics », j’ai bien entendu trouvé justifié de donner le nom de Trudaine à cette unité.

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - meurtre

Vous avez grandi dans ce climat de peur instauré par Action Directe. Cela vous a-t-il marqué au point d’en faire des ouvrages ? Ou cette envie est-elle venue par après ?

Non, je n’ai pas grandi dans la terreur d’Action Directe, dans le sens où je ne vois pas en quoi Action Directe aurait pu me menacer d’une quelconque façon. Action Directe avait des cibles précises, politiques, militaires, diplomatiques ou industrielles. Je ne considère d’ailleurs pas Action Directe comme des terroristes, dans la mesure où chaque ciblé était choisie, et non pas des attentats aveugles qui ont, eux, pour but de terroriser la population. Mon envie de parler d’Action Directe est purement politique, comme d’avoir parlé par le passé des Black Panthers ou du Ku Klux Klan.

Dans cette bande dessinée, il y a le spectre d’Action directe que vous envisagez par le biais de la fiction et d’un groupuscule imaginé, pourquoi avoir choisi la fiction ?

Parce que je suis pas historien ni partisan, et que relater la réalité (très mal connue au demeurant) n’aurait obligatoirement pas été très intéressant, noyant le propos dans une foule de détails. Avec la fiction, j’ai pu aller à l’essentiel de ce que je voulais raconter.

Avec en exergue, le thème du policier infiltré qui tombe amoureux d’une membre du gang. Comment vous y êtes-vous pris pour « renouveler le genre » ?

Je n’ai pas de stratégie de renouvellement. J’écris comme je le sens, je ne calcule pas.

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - doutes

Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec le dessinateur Rica ?

C’est un ami, nous voulions travailler ensemble, je lui ai proposé ce scénario. Il a dit oui.

Outre l’introduction, UCT est une bande dessinée peu bavarde laissant une grande amplitude au dessin, un défi ou une frustration pour le scénariste ?

Le défi, réalisé par jeu en fait, était de changer de narration à chaque scène. Certaines ne nécessitaient pas de dialogues, je n’en ai pas mis. Aucune frustration.

Bien que l’histoire se passe dans les années 80, elle fait pas mal écho à notre société actuelle, non ? Des jeunes désemparés et désillusionnés qui choisissent la voie de la violence et donne prise à l’extrême etc.

Oui bien sûr, à la différence près que dans les années 80, les jeunes étaient beaucoup plus politisés et axés sur la lutte des classes qu’aujourd’hui ou l’on vit plus de repli communautaire et de chacun pour soi. Mais la logique est la même.

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - Isolement

Une grande partie de votre œuvre s’inspire de la réalité, souvent celle qui est dure et violente, avec des guerres, des climats sociaux tendus. Comment vous y êtes-vous intéressés ?

Je vis cette réalité, mes enfants aussi, et j’ai le sentiment que ni les débats ne regardent les choses en face, la réalité des faits, ni les solutions apportées ou proposées sont les bonnes. N’étant pas élu, ne souhaitant pas l’être, j’apporte ma vision des choses au travers de mes livres. Ça ne sert à sans doute à rien, mais ça me fait du bien en même temps que ça me permet de vivre !

Et à quel moment vous êtes-vous dit que votre oeuvre donnerait un meilleur rendu en bandes dessinées ?

C’est un moyen d’expression qui me convient, à la fois collaboratif et singulier, proposant un très grand choix de narration, sans grande difficultés techniques (selon moi) du point de vue de l’écriture.

Vous étiez un fana de bandes dessinées depuis l’enfance ou est-ce venu par après ?

J’ai toujours bien aimé, petit comme maintenant, sans être un fan absolu.

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - réunion

Comment un chercheur est-il devenu scénariste de BD ? Ça aide ?

Non ça n’aide pas. Le chercheur n’est pas devenu chercheur, je fais les choses qui me plaisent dans la vie, de la menuiserie, de l’électricité, la cuisine, je jardin, j’aime les sciences, la littérature, le théâtre, l’écriture, la musique… Mon métier de chercheur m’a lassé, j’ai arrêté tout simplement.

J’ai l’impression que, ces dernières années, la bande dessinée (mais peut-être aussi le cinéma avec l’explosion des biopics) s’est réappropriée le réel. Dans tous les styles, des bd-reportages aux professions (les pompiers, les informaticiens) en passant par les Fondus de Bamboo où les personnalités s’invitant en BD. La BD a-t-elle eu trop longtemps peur de parler de la réalité ? Quel a été le déclic ?

C’est une évolution logique, le marché se développe, mûrit peu à peu, apporte une autre façon de regarder l’information. Ça s’est fait peu à peu, et ça va continuer à s’accentuer.

La BD est-elle devenue un média qui va de soi, auquel on pense plus vite désormais pour raconter de l’histoire, des enquêtes ou autres chemins de vie ?

Non, il fait partie du paysage des possibles, mais pas plus je pense.

Que permet-elle par rapport à d’autres médias ?

Houlà, il faut se référer à des études réalisées par des gens qui aiment analyser tout ça. C’est loin de mon métier…

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - Cigarette

Votre bande dessinée tombe à pic en même temps que Cher pays de notre enfance de Colombat et Davodeau. Un peu avant, il y a eu Le Juge. Puis au cinéma, la French, Les Lyonnais et j’en passe. On y retourne ? Une nostalgie d’une époque pas rose ?

Une époque pas rose, certes, mais ô combien politisée. Les années de plomb c’était pas rien. On peut y voir de la nostalgie, je crois plutôt que ces années expliquent en partie là où on en est aujourd’hui, offrent un éclairage nouveau, à froid, sur notre époque.

L’autre aventure, c’est aussi ce job de rédacteur en chef adjoint pour la Revue Dessinée. Elle vient de fêter ses deux ans, un bilan ?

Le bilan est positif, ça fonctionne, ça progresse, on se développe doucement. La qualité est présente je crois, et du point de vue journalistique, et du point de vue artistique.

C’est une autre manière d’envisager la BD ? Et la réalité ?

Non, c’est une évolution du genre, c’est une nouvelle proposition éditoriale, c’est ce qu’on aime : la bande dessinée et le journalisme.

Merci pour ces réponses, Sylvain, et bonne continuation!

UCT - Unité combattante trudaine - Ricard - Rica - Couverture

Titre: UCT – Unité combattante trudaine

One Shot

Scénariste: Sylvain Ricard

Dessin: Rica

Noir & Blanc

Genre: Policier, Thriller

Éditions: Glénat

Nbre de pages: 64

Prix: 19,5€

Date de sortie: 16/09/2015

Extraits:

 

 

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