Il a un nom de ministre et pourtant il n’était pas le plus habilité à pénétrer ce temple fourmillant qu’est l’Elysée. Le dessinateur Mathieu Sapin y est arrivé au prix de beaucoup d’échanges de mails et c’est finalement un sms au Président qui lui ouvrit les portes du Palais présidentiel, du Château comme on le surnomme. Bien plus qu’un livre uniquement sur François Hollande, Le Château est vraiment un personnage part entière. Nous avons rencontré Mathieu Sapin, ce visiteur du soir à l’œil bien aguerri.
MISE À JOUR: Mathieu Sapin a récidivé ce 8 septembre, en proposant sa vision de la 6ème conférence de presse du Président Hollande, à lire sur le site du Parisien!
Bonjour Mathieu Sapin, vous nous revenez avec le château, un an dans les coulisses de l’Élysée, mais pourquoi Le Château ?
C’est le terme répandu et utilisé pour se moquer par les gens qui y travaillent et y ont des rendez-vous. Je pense que c’est une allusion au rapport compliqué qu’ont les Français avec le pouvoir, la royauté. On a guillotiné notre roi mais, paradoxalement, on aime quand même les représentations monarchiques du pouvoir.
Un château qui n’en est pas un et qui d’ailleurs est un peu décrépi, non ?
Il y a des salles dédiées à la représentation, pour impressionner la galerie lors de réceptions de chefs d’État par exemple. Mais, il y a aussi des endroits beaucoup moins clinquants, vieillots. Je n’ai pas visité des tonnes de lieu de pouvoir dans ma vie, mais j’imagine qu’il y a des palais présidentiels quand même plus modernes et plus en phase avec la vie moderne ou la rapidité de l’information. Ici, on sentait que ce n’était pas très pratique.
Ce lieu de pouvoir, quand est née l’idée de vous y immiscer ? À partir de la campagne que vous avez suivie ?
Sincèrement, je n’aurais jamais imaginé me retrouver là un jour. Forcément Quai d’Orsay, la bd de Blain et Lanzac a créé un précédent, auparavant on n’avait jamais vu la bd s’intéresser au lieu de pouvoir de cette manière. Et Christophe Blain est un de mes meilleurs amis, il travaille en face de moi à l’atelier. J’ai ainsi suivi de près la création de cette bande dessinée. Et, par ailleurs, j’avais consacré une autre Bd au journal Libération qui m’a ensuite suggéré de suivre la Campagne présidentielle. Puis, il se trouve que le candidat que je suivais, François Hollande, s’est retrouvé Président. Il y avait comme une évidence, une sorte de fatalité, il aurait été dommage de m’arrêter là.
J’avais déjà un pied à l’Élysée et, comme pour beaucoup de Français c’est un peu l’endroit interdit, on se demande ce qu’il s’y passe. Même s’il y a des photos, des vidéos, on se demande toujours à quoi cela peut ressembler en vrai. C’était l’occasion. J’avais les contacts nécessaires, notamment avec toute l’équipe qui l’avait suivi durant la campagne. Je me suis dit : « Je tente le coup, on verra bien ! »
« Un texto m’a ouvert les portes de l’Élysée : François Hollande m’a répondu dans le quart d’heure. »
Et il y a eu plusieurs coups et relances, même avec un pied dedans, ce n’était pas évident, non ?
Je pensais que ça se ferait facilement, mais le pouvoir complexifie un peu tout. Les gens à qui je m’adressais ne me disaient jamais non… mais ils ne me disaient pas oui, non plus ! C’est une manière de rester en suspens. Au bout d’un moment, j’ai suivi le conseil d’amis journalistes et, avec les moyens de communications d’aujourd’hui – c’est quand même beaucoup plus facile aujourd’hui qu’à l’époque de Mitterrand – , j’ai envoyé un sms au chef de l’État. Un texto m’a ouvert les portes de l’Élysée : il m’a répondu dans le quart d’heure.
Vous parliez de Quai d’Orsay, on ressent un peu la même ambiance dans cette concurrence entre les collaborateurs, à qui le Président ne dit jamais qu’ils font bien leur travail.
Je pense que c’est une technique managériale qui consiste effectivement à laisser les gens se débrouiller pour savoir lesquels y arrivent le mieux. Il y a un phénomène de cour qui va avec le château, la fonction, cette structure pyramidale du pouvoir qu’aiment les français. Je ne sais pas s’il fonctionnera encore longtemps vu qu’il est remis en cause ce système de la Vème République avec un Président tout puissant. Mais, pour l’instant, c’est celui qu’on a et qui favorise ces jeux de courtisanerie et les tentatives de certains de se placer. Il y a aussi le jeu politique qui fait que des gens qui sont au plus haut peuvent très vite se faire éjecter.
Je n’ai pas eu la place d’en parler, parce que c’est venu après. Thomas Thévenoud, par exemple, a été nommé, en septembre 2014, Secrétaire d’État au Commerce extérieur. Une semaine après, on se rendait compte qu’il ne payait pas ses impôts. Éjecté ! C’est un truc qui paraît aberrant, on dirait que ça sort d’un film. On se rend compte qu’arrivé à des postes aussi haut, il n’y a pas de cadeau et il y a des coups derrière dans le dos.
Puis, il y a ce jeu de circulation et de perpétuel mouvement. Des gens sont là, un jour, puis le jour d’après ils n’y sont plus, remplacés. Ce qui pose la question : comment peut s’établir un pouvoir sur des choses si rapides et des gens si vite oubliés ? Puis, surtout, comment vous y êtes-vous retrouvé ?
Au Moyen-Âge, c’était un coup de poignard dans le dos, aujourd’hui, c’est par la presse et des affaires balancées. Je pense que c’est inévitable. C’est pour ça qu’au début de mon livre, j’ai mis la liste des personnes les plus proches, de l’équipe rapprochée du Président. Et, si on la reprend, un an après, on s’aperçoit que les deux-tiers sont partis. Pour des raisons variées, hein, tous n’ont pas eu des problèmes tels que ceux de Morelle ou Trierweiler. Il y a un phénomène d’usure du pouvoir et puis, c’est un milieu qui ne donne pas droit à l’erreur. Ou alors il faut faire ses bêtises très discrètement.
Alors, en un an à l’Élysée, avez-vous fait le tour ?
Non, absolument pas. J’ai été contraint par ce livre déjà volumineux mais auquel il fallait mettre un terme. Il y a plein de choses auxquelles j’ai assistées mais que je n’ai pas eu la place de mettre. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai. Entre juillet 2014 et janvier 2015, j’ai continué à aller à l’Élysée, j’ai suivi un déplacement en Afrique, été dans la salle de cinéma, j’ai assisté à un remaniement. Plein de choses intéressantes que je n’avais pas la place de traiter. Le temps qui m’était imparti était aussi trop court.
À la fin, je parle des attentats de Charlie. À ce moment-là, je terminais mon livre. Dans un réflexe étrange, j’ai été à l’Élysée, je sentais que c’était là qu’était ma place, presque. Je ne pouvais pas rester chez moi et regarder la télé. Je n’avais pas prévu de le faire évidemment, mais j’ai rajouté ces pages à la fin. Pour qu’elles viennent déséquilibrer l’ensemble, apporter une pesanteur nouvelle, mais aussi montrer un moment où François Hollande a connu un avant et un après. C’est un point de vue, mais ces événements ont fait choc. Vu depuis le Château, ça me semblait intéressant.
« Charlie Hebdo, pour moi, c’est le moment où François Hollande a enfilé le costume. »
C’est le fameux moment où il a enfilé le costard dont vous parlez dans le livre ?
C’est mon interprétation, mais c’est subjectif. Quand on lit Emmanuel Todd, il dit que c’est une vaste blague, une arnaque. Mais pour moi, j’ai été frappé de voir que le Président a réagi tout de suite, il a été sur les lieux. Il y avait un sang froid et un calme pas évidents dans de tels moments. Même, au moment où il prend la parole en direct à 20h, il n’y a pas de fébrilité. Il n’est pas dépassé, il est très concentré. J’ai trouvé qu’il y avait vraiment une prise de conscience. D’ailleurs, il y a eu une réponse française – qui n’a certes pas duré – favorable suite à l’action du gouvernement.
Dans ce passage sur Charlie Hebdo, on voit que vous êtes sidéré par la présence de tous ces chefs d’état qui participent à la grande manifestation.
Il y a une contradiction totale entre ce qu’est Charlie Hebdo et ce qui animait ces dessinateurs morts aujourd’hui, et le déploiement de chefs d’état, policier et sécuritaire. Ça allait totalement à l’encontre de ce que Charlie revendiquait. Quelle ironie de se dire qu’ils ont été descendus pour des dessins et que cela a engendré une telle réappropriation. Ça avait un côté irréel de voir tous ces chefs d’état dont ils se sont moqués. Les voir en vrai, juste à côté. C’était vraiment les chefs d’état et moi.
Avec même des selfies de Netanyahou.
(Il rit) Oui, oui. Après, je ne me rendais pas compte. Le contexte était horrible et eux se marraient. Sur le moment, là encore, je n’avais pas de recul, j’étais ébahi.
Y’avait-il un droit de regard sur ce livre ?
Ce n’était pas un droit de regard, mais c’est moi qui ai fait la démarche de le montrer et de faire lire l’album, à la fin. Je l’avais déjà fait dans mes précédents albums du genre, un peu documentaires. Je trouve ça normal de donner à lire le livre, une fois qu’il est fini, mais avant qu’il soit imprimé. Parce que, quelque part, ils ont vraiment été très ouverts avec moi. C’était une forme aussi d’ouverture de ma part de le leur montrer.
Ça ne veut pas dire : « Prenez le stylo et modifiez ». Ça veut juste dire qu’ils avaient en main le livre. J’avais fait la même chose pour la campagne. Et cela dit, on m’a demandé une modification que j’ai acceptée : ne pas mettre les noms des garde-corps de François Hollande.
On m’avait demandé de modifier les noms. Mais je n’aime pas modifier, si je modifie, ça veut dire que je peux modifier tout et n’importe quoi et que tout mon travail peut être remis en question. Donc, j’ai préféré masqué les noms avec un carré noir. Comme ça, le lecteur sait qu’il y a une information qu’il n’a pas.
Comme cet homme que vous rencontrez, un peu plus loin, dans un café et qui est plutôt bien informé.
Oui, c’est ça, un ami à moi qui a beaucoup d’entrées et qui tenait un discours que je n’avais encore jamais entendu. Après, c’est aussi une blague, une parodie du Watergate avec ce Gorge profonde qui avait informé les journalistes. Mais je suis loin des révélations de Bernstein et Woodward.
Je trouve que vous montrez quand même des choses osées. Comme la mise en scène autour de la mort de la journaliste Camille Lepage en Centrafrique. Il fait son discours, les caméras tournent, il part… Les caméras s’arrêtent et le Président revient : « J’étais bien ? » C’est dingue.
C’est marrant, je ne m’en rendais pas compte avant la sortie du livre. Il y a des choses que j’ai faites vraiment sans recul. Ça me semblait intéressant donc j’en parlais. Mais cet événement-là a vraiment, par la suite, créé pas mal de problèmes. J’ai eu des remarques de personnes énervées me demandant pourquoi je montrais ça… mais pas forcément ceux de l’Élysée, surtout de la presse.
C’est marrant parce que quelques dizaines de pages avant cet épisode, un journaliste vous disait : « Tu vas voir, c’est du grand spectacle, du théâtre. »
C’est un peu l’angle que j’ai pris, en fait. L’Élysée comme lieu de pouvoir mais comme lieu de théâtre surtout. Un lieu de représentation où la parole politique est mise en scène et où les journalistes en sont le relais. Ce qui ne veut pas dire que c’est une supercherie mais que la vérité brute n’existe pas et qu’il y a toujours une interprétation. Mais oui, quand on voit une conférence de presse par exemple, c’est un spectacle, construit, mis en scène, avec un décor, des règles, des éclairages, une ambiance sonore. Et, comme les Français ne peuvent pas assister à cela, il y a aussi une retransmission. Tout ça est orchestré de manière plus ou moins consciente.
Je ne dis pas que les journalistes avalent ça sans en avoir conscience, mais que justement ils essayent de déjouer le récit proposé par l’équipe de communication. Il y a un jeu de dialogue entre journalistes – dont les points de vue varient aussi en fonction du type de journal auquel ils appartiennent – et équipe de communication, qui à la fin constitue un message. J’y accorde beaucoup de place parce que la politique, c’est beaucoup de ça.
« Le plat préféré du président est désormais un secret. Pour ne pas qu’on le lui serve partout où il se rend. »
Vous recherchiez aussi des secrets, vous en avez trouvés ?
Il y a secret et secret mais quand je parle de la présence d’un dojo à l’Élysée, ce n’est pas un truc à ne pas raconter, mais personne n’en avait parlé jusqu’ici. Après il y a des secrets comme les suites d’informations quand on retrouve des éléments d’agenda dans la presse, qu’il y a une fuite. Qui est-ce ? Moi, je ne sais pas.
Après, de manière plus décalée, il y a ce secret du plat préféré du Président. À l’époque de Jacques Chirac, un de ses proches avait révélé que son plat préféré était la tête de veau sauce gribiche. Du coup, partout où il allait on lui servait ça. Il n’en pouvait plus. Donc, du coup, maintenant, c’est secret.
Votre approche est plus de l’ordre de l’observation que du jugement. De quoi vous différencier des journalistes, non ?
Oui, je ne suis pas à l’aise dans le commentaire et l’analyse, je suis mieux dans l’observation, la description. Avec toute ma subjectivité, puisque forcément je vais m’intéresser à certains choses et moins à d’autres. Et après, je considère que c’est au lecteur, avec les clés que je lui donne, de se faire son avis, son jugement sur les personnes croisées dans la BD. J’accepte d’entendre que je ne suis pas agressif avec le pouvoir.
Mais, je ne pense pas non plus être complaisant puisque je donne la parole à d’autres interlocuteurs, dont certains ne sont pas tendres avec François Hollande. Mais, j’essaie de donner des points de vue variés.
Puis, il y a ce côté humble, vous n’hésitez pas à mettre en valeur vos méconnaissance sur tel ou tel sujet.
Comme je ne connais pas grand-chose, je ne peux pas vraiment capitaliser sur ça. Par contre, j’ai la chance d’avoir des commentateurs de luxe en la personne des journalistes. Par leur entremise, je donne des informations sur le sous-texte de tel ou tel épisode. J’aime bien faire commenter. Par exemple, pour le départ d’Aquilino Morelle, je fais échanger des paroles entre des journalistes et le service de communication, en off.
« Le Petit Journal, personne ne les aime. Mais en même temps, il faut y passer, ils ont un statut à part. »
En parlant des journalistes, vous abordez le Petit journal, l’espace de quelques cases. Et mine de rien, ça fait échos à ce qu’ils ont vécu il y a quelques semaines avec le FN.
Tous les politiciens se méfient extrêmement du Petit journal. Mais, c’est ambivalent, parce qu’en même temps, ils en ont besoin. Besoin de gagner en sympathie par le biais de ce genre d’émission qui les montre sous un autre jour, plus décalés, plus sympathique. C’est très particulier.
En fait, c’est surtout les journalistes qui n’aiment pas le Petit Journal parce qu’il leur complique la vie. Il brouille les rôles. Ils on un statut à part, les journalistes du Petit Journal.
Dans un autre genre de journalisme, on se rend compte qu’il y a eu un effet Closer avant Charlie Hebdo. Au moment de l’affaire Trierweiler-Gayet, les kiosques ont été dévalisés.
C’est impressionnant surtout de voir comment François Hollande a essayé de donner un côté exemplaire à sa présidence et s’est pris les deux pieds dans le tapis. L’inverse de ce qu’il voulait, lui qui était très discret sur sa vie privée. Puis, il y a la publication du livre de Valérie Trierweiler, c’est arrivé après, mais j’aurais pu en parler. Là c’est le fin du fin.
On m’a dit que je ne parlais pas beaucoup de Valérie Trierweiler. Je ne l’ai pas beaucoup vue, puis je n’étais pas non plus dans la chambre à coucher. Je ne peux pas témoigner de ce qu’il s’y passait. Mais, surtout, Merci pour ce moment a été tellement loin dans cette révélation de l’impudeur que je ne vois pas bien ce que j’aurais pu apporter de plus. Ce n’est pas mon propos. Je préfère le contre-point.
On a des auteurs qui pourraient dégager les détails pour aller à l’essentiel mais vous, vous faites tout l’inverse. Vous avez une vision préoccupée par les détails, quitte à en charger le dessin. Il y a des flèches partout, c’en est très enrichissant pour le lecteur, non ?
Je me suis vraiment mis à la place d’un lecteur quelconque, qui n’a jamais été à l’Élysée et peut-être n’y ira jamais. Mais qui en même temps est curieux de voir ce qu’il s’y passe, dans la vie quotidienne, dans les petits autant que les grands événements. Comme j’y suis resté pas mal de temps, j’avais la place pour mettre tous ces petits détails qui rendent crédible ce microcosme. Et moi, j’aimais bien l’idée de décrire un groupe. Ce n’est pas un livre sur Hollande, c’est un livre sur tous les gens qu’on croise. J’adore montrer les petits détails, les vieilles serrures alors qu’on se les imaginait hi-tech. Le « clan » aussi.
Et là, je suis très content, les gens sont curieux de ça et le livre a un vif succès.
Un détail qui frappe, notamment, c’est, alors que le Président est bardé de protection, on voit Christiane Taubira qui quitte le Palais en… vélo.
Elle est suivie par deux gardes du corps en vélo, mais c’est vrai que je ne les ai pas montrés, pas la place. Mais oui, il y a des contradictions, une sécurité à outrance tout en sachant que le « tout sécurisé » n’existe pas. À des moments, c’est plus relâchés. À certains moments, mon entrée à l’Élysée était très contrôlée avec plusieurs sas de contrôle et, à d’autres moments, je rentrais les mains dans les poches sans montrer de papier d’identité. Et deux jours plus tard, rebelote, contrôle. C’est très absurde, j’aime bien montrer ce côté-là.
Comme dans le cadre des attentats de Charlie, un personnage qui est dans l’antichambre du pouvoir et qui n’est pas au courant de ce qu’il s’est passé. Comment est-ce possible ? En fin d’après-midi et le monde entier qui ne parle que de ça ? Et lui, même jetlagué, ça veut dire qu’il est arrivé à l’aéroport, qu’il a pris un taxi qui n’écoutait pas la radio et ne parlait pas de ça, qu’il a traversé la cour de l’Élysée bardée de journalistes hystériques. Et dans chaque pièce traversée, où il y a plein de télés branchées sur BFMTV, il n’a rien remarqué. Il faut le faire et y mettre du sien, quand même !
Dans cette dernière scène, on y voit aussi Yves Jeuland, documentariste, qui lui parle par la force de la caméra. Mais quelle est la force du crayon ?
Justement, cette scène est intéressante parce que Jeuland terminait un document qui sera diffusé à la rentrée. J’en ai vu des extraits formidables. Jeuland arrive à capter des choses, des ambiances que, pour le coup, je suis incapable de retranscrire. On n’a vraiment pas les mêmes outils. C’est différent. Moi, je vais m’attarder sur des petits détails, me mettre en scène, faire preuve d’humour par mon personnage, de subjectivité aussi. Puis, je peux compléter des choses qui ne sont pas dans l’image mais que je peux raconter.
Mais, bien sûr, l’image filmée a une présence qui n’a rien à voir. C’est complémentaire, je ne peux pas faire de hiérarchisation. Ce sera intéressant, d’ailleurs on a pensé à le faire, de croiser les deux documents, nos expériences. On fera peut-être quelques pages numériques dans lesquelles on fera peut-être des relais pour passer de la vidéo au dessin.
Vous vous représentez, mais vous vous représentez tout petit ! Pourquoi ?
Comme je ne suis pas tendre avec les personnes que je croise, je fais en sorte de l’être encore moins avec moi-même : je me fais plus petit, plus dégarni, plus ridicule pour que la pilule passe plus facilement. Du coup, quand je brocarde certains, ils peuvent se vexer mais je leur dis « regardez comment moi je me représente, c’est encore pire ». Alors que si je me fais beaucoup plus beau que je le suis, élégant et très subtil, là ils pourraient vraiment dire que je suis malhonnête.
Il y a aussi cette scène surréaliste, vous vous retrouvez à côté d’une prétendue conseillère qui vous prend pour qui vous n’êtes pas et vous donne des infos plus ou moins confidentielles.
C’est une accompagnatrice, j’aime bien montrer la fabrication de l’information et donner toutes les clés. Typiquement, cette personne, je me demande encore pourquoi elle m’a balancé tout ça ! Les gens aiment bien parler quand même. Elle me disait des trucs étonnants, je n’ai pas pu résister à la tentation de les mettre.
Comme à la toute fin, en parlant avec le conseiller en communication du titre de ma bd – le château était plus poétique – lui était très ravi comme ça n’allait pas dans le sens de l’ouverture démocratique !
« Elle n’est pas très belle ma BD, des dessinateurs dessinent bien mieux que moi. Je préfère la justesse à la beauté. »
À la page 108, on voit un de vos croquis, assez différent du résultat final du livre.
J’ai des carnets en permanence et je fais des dessins, des prises de notes. Je note des dialogues, fais des petits dessins. C’est la même chose mais pas tout à fait pareil. Donc, oui, je dessine quand même en direct. Et, finalement, le dessin a plusieurs vertus. Il permet de garder une trace. Mais, aussi, les gens lui accordent une sorte de bienveillance. C’est très rare que les gens réagissent mal. Le dessin est très bien accueilli, beaucoup plus que si j’avais une caméra braquée ou un appareil photo.
Après, c’est dingue comme les gens ne se méfient pas du dessin. Ils s’arrêtent au dessin, justement. Alors que la bande dessinée, c’est du dessin ET du texte. Et les deux peuvent être ravageurs. Mais non, le dessin reste dans l’imaginaire comme beau… Combien de fois m’a-t-on dit : « Tu vas voir cette salle est magnifique, tu vas pouvoir faire des beaux dessins ! » Mais, moi, je ne fais pas des beaux dessins, je fais des dessins justes. D’ailleurs, elle n’est pas très belle ma BD, des dessinateurs dessinent bien mieux que moi. Le but n’est pas là.
Vous dites de Hollande ne pas savoir ce qu’il pense.
C’est vrai, je défie quiconque de le savoir. C’est quelqu’un de très secret et qui, sous un abord très sympathique et aimable, presque bonhomme, est très méthodique, extrêmement réfléchi et qui exprime très peu ses émotions. Comparé à Nicolas Sarkozy, c’est l’inverse. Et du coup, pour certains, c’en est presque plus inquiétant. Il y a une séquence que j’aime bien, c’est le serrage de fesses : la différence entre Sarkozy et Hollande, c’est qu’on serre les fesses mais pas de la même manière, c’est tout à fait ça !
Ça fait cinq ans que vous êtes dans ce registre de bande dessinée, depuis le film de Joan Sfar, en avez-vous appris sur votre art ?
Déjà, je ne savais pas que j’allais y prendre autant goût, à cette pratique de BD-documentaire. C’était une facette que je n’avais pas du tout explorée avant et que j’ai fait par goût ! D’autant plus que quand je fais un album comme ça, d’un point de vue matériel, je ne suis pas payé à la page mais à l’album. Il y a une certaine enveloppe pour faire l’album. Si l’album fait pages, je suis payé pareil. Idem si j’y passe 3 mois ou 15 mois. La passion est donc vraiment dans le sujet et ce que j’y trouve.
C’est vrai que j’y ai pris goût. Pour le moment, je n’ai pas encore vraiment enclenché de nouveau projet, mais c’est assez addictif. Bien sûr, je continue mes planches de Pinpin reporter pour Spirou, dans un ton plus décalé que réellement documentaire. Sinon, j’ai plusieurs envie, il y a plein d’ouvertures. Peut-être un livre sur mon voyage avec Depardieu, ou politique, aussi. Il y a le cinéma. Puis, le livre vient de sortir, donc il peut toujours y avoir des propositions qui vont arriver. Comme après la campagne présidentielle, quand on m’a proposé le tournage avec Depardieu, de relater la reconversion d’une usine automobile dans une grève terrible. J’avais prévu d’en faire un album mais ça a capoté. Pour l’instant, c’est tôt, mais j’ai beaucoup d’idées.
Merci beaucoup Mathieu!
Propos recueillis par Alexis Seny, le 8 mai, chez Dargaud
Titre: Le Château – Une année dans les coulisses de l’Élysée
Scénario et dessin: Mathieu Sapin
Couleurs: Clémence Sapin
Genre: Chronique, Documentaire, Politique
One Shot
Éditeur: Dargaud
Nbre de pages: 134
Prix: 19,99€
Date de sortie: le 07/05/2015
Extraits:
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