Décidément, il ne se passe pas un mois sans vous parler d’une nouveauté signée Cauvin. Si récemment, nous avons pu nous rendre compte que les Femmes en Blanc, Cédric et autres Tuniques Bleues se portaient bien; voilà Pierre Tombal qui nous revient avec une 31ème visite de son cimetière et quelques surprises… mortelles. Alors « Peine de mort » ou peine de rire?
En effet, les temps sont rudes, et cimetières et caveaux sont devenus des terrains de marketing. Marie Tombal, la cousine sortie de nulle part de Pierre, est, du coup, bien décidée à profiter du marché juteux. Nous en avons profité pour poser quelques questions à Marc Hardy, créateur et dessinateur attitré de Pierre Tombal depuis plus de 32 ans. Une rencontrer sympa avec un auteur qui n’a pas fini de nous faire mourir de rire.
Bonjour Marc Hardy, les interviews, ça vous parle, vous aimez sortir de l’univers de Pierre Tombal et venir en parler ?
C’est-à-dire que j’ai eu des débuts très difficiles, il m’a fallu 17 ans avant d’avoir mon premier album. Je suis parfois resté un an sans travailler. Mais quel plaisir ça a été quand j’ai vu qu’on s’intéressait à ce que je faisais, que ça se vendait, suffisamment pour qu’on m’interviewe. La première dédicace que j’ai fait, c’était à la Foire du Livre. Il n’y avait pas de files d’attente. Dupuis fonctionnait par box avec différents auteurs et les gens prenaient un ticket et déposaient leur bouquin. Ils revenaient en fin de journée.
Moi, je dédicaçais à côté de Philippe Berthet, il avait une immense pile à faire, d’un seul album. Moi, je n’avais qu’un album à dédicacer. Depuis, j’ai toujours la hantise que personne ne soit là pour moi. Sinon, je peux faire des heures et des heures de dédicaces d’affilée. J’en suis ravi. Quand je vois le nombre de personnes qui ont commencé en même temps que moi qui ne sont plus là, quel privilège. Et ce n’est pas une question de talent, certains étaient beaucoup plus talentueux que moi.
Pierre Tombal, clap 31, le plaisir est toujours là ?
Toujours aussi fort, je m’amuse toujours autant. Cauvin aussi. Il se renouvelle toujours bien.
Avec l’introduction d’un nouveau personnage, 6 ans après la Vie, voilà la cousine. Qui, en plus vient faire concurrence.
Une concurrence d’autant plus incompréhensible pour lui qu’il est bosseur et qu’elle en fait le moins possible.
Surtout qu’en plus, elle a le charme.
Oui, ce qui lui permet de bénéficier d’une main d’œuvre gratuite. En fait, elle est venue du fait que dans les premiers albums, Pierre Tombal avait une épouse qu’on ne voyait qu’épisodiquement. Cauvin ne l’aimait pas, moi non plus, on l’avait liquidée. Un jour, une lectrice indignée, nous l’a signalé. J’en ai parlé à Cauvin, il fallait faire une histoire où on la faisait mourir.
Mais, moi qui aimais bien les femmes, je voulais en dessiner une nouvelle pour Pierre Tombal. Du coup, le temps de deux albums, il y a eu toute une série de gags dans lesquels Pierre essayait de trouver chaussure à son pied. Moi, je voulais que ça se conclue, Cauvin pas. Du coup, il a pondu la cousine qui vient réclamer sa part du marché.
Comment est-ce que vous l’avez créée, graphiquement ?
Au départ, je voulais une gothique, puis c’était tellement évident que c’en était illogique : elle risquait de se plaire dans ce domaine. Il fallait quelqu’un qui vienne se faire du pognon facile. Je l’ai faite dans une tenue plus jeune, plus pétée grâce à des revues de mode pour jeunes filles.
Pierre Tombal dure depuis trois décennies, j’imagine que la manière d’aborder la mort a évolué, non ?
Dans le Journal de Spirou, c’était plus difficile au début. Par contre, Pierre Tombal m’a permis d’exorciser mon rapport avec la mort du fait de la disparition de mes 4 frères, pendant mon enfance, puis de mon épouse.
Le contact avec la mort a changé, on nous montre au quotidien dans les infos, des corps déchiquetés. Par contre, la mort de tous les jours, de tout le monde, normale, naturelle, est toujours autant occultée. Moi, ayant vécu mon Pierre Tombal, je trouve nécessaire de l’apprivoiser. Un jour ou l’autre, pour soi-même ou un proche, on y sera confronté. Si on a toujours fait comme si elle n’existait pas, ce sera un drame le jour où elle arrivera. Le deuil, on le prépare avant, on s’y habitue, on l’intègre dans son quotidien. Le deuil se prépare toute sa vie. Et le fait d’en rire, de le prendre sous toutes les facettes, de le tricoter et le détricoter, ça aide. Quoiqu’il puisse m’arriver, j’y suis préparé. Ça fait partie des choses de la vie. C’est ça qui fait la force de la série, sa façon d’aider les gens.
Vous aviez même été plus loin en proposant une bande dessinée sur le deuil.
Oui, une société d’assurance m’avait commandé un album. Un 44-pages, mais pour ça j’avais dit non, mais le projet était à l’étude. J’aimai bien l’idée de faire un livre destiné aux parents comme aux enfants, qui permettent aux adultes d’en parler.
J’y voyais une opportunité d’accomplir quelque chose avec mon fils qui était latent depuis très longtemps. À la mort de ma première femme, il était le troisième de mes fils. Il était si petit qu’il ne l’a pas connue quasiment. Elle était très souffrante et était peu présente. Je m’occupais de tout, en amont et en aval. Je pense l’avoir fait plus ou moins bien. Mais, durant la période du deuil, j’ai été d’une inefficacité totale. Mon troisième fils, c’est avec lui que j’avais le moins bien géré. J’y voyais une façon de régler ce qu’on avait vécu et, en même temps, que lui parle de ce qu’il en connaissait, du deuil.
Cauvin ne voulait pas travailler sur ça, il pensait qu’il aurait les psychologues sur le dos, être cadré etc. J’ai négocié que la société prenne notre bande dessinée comme nous l’avions imaginé, sans pression. Nous avons finalement eu de très bons échos. C’est un livre qui ouvre plein de petites pistes, mais décoince surtout à coup d’humour et de tendresse.
Pour revenir à ce 31ème tome, Peine de mort, ce qui est m’impressionne toujours, c’est la manière dont Cauvin peut coller à la réalité. Des selfies et l’évolution des technologies fossoyeuses qui risque de mettre Pierre au chômage ( !). Mais aussi une certaine idée du marketing autour de la mort à une époque où on entend librement des spots pour des assurances mort à la radio.
C’est vrai, le public âgé est de plus en plus important. Ce sont des choses qui d’une façon ou d’une autre interviennent. C’est vrai que Cauvin a des antennes partout, un regard extérieur fabuleux. Et c’est d’autant plus vrai que dans les derniers albums, il y a plus de philosophie, d’histoire sur le sens de la mort… Plus forcément des gags mais des réflexions, j’aime ça, ça donne une nouvelle tournure. On voit que doucement Cauvin est dans l’âge durant lequel on pense à ces choses.
Comment se passe votre collaboration avec Cauvin depuis tout ce temps ?
Je n’’interviens pas dans le scénario. Mais je suis un grand angoissé, je suis toujours en train d’imaginer une petite façon différente de dessiner, d’évoluer. Je ne veux pas qu’il y ait du déjà-vu par rapport à un album d’il y a quinze ans. Je fais passer ce stress à ma coloriste qui pleure parfois avec moi. (Rire)
Je suis très exigeant sur l’évolution. Il faut une gradation, aller vers quelque chose. Je fais passer le stress à Cauvin aussi. Ne faudrait-il pas ça ? ou ça ? Je n’ai pas envie que ça stagne, il faut que ça bouge ! Le personnage de la Vie, c’est moi qui en suis à l’origine.
Vous vous voyez encore beaucoup ou est-ce plutôt affaire de téléphone?
On se voyait plus il y a quelques années. Ici, on se connait depuis plus de 30 ans, donc on se voit lors de fêtes de Dupuis, lors de festivals. On se téléphone sinon, mais on peut rester un mois sans se parler. J’ai d’autres projets aussi. Quand on travailler sur la même chose, j’ai beaucoup de contact avec mon scénariste, et quand je travaille sur autre chose, mes contacts s’amenuisent.
Je sais travailler sur plusieurs projets en même temps. Et pour le moment, je travaille depuis 6 ans sur un one-shot de Spirou. J’avance enfin, j’ai enfin trouvé comment m’y prendre.
On en entend parler depuis longtemps. Que pouvez-vous nous en dire?
Je peux expliquer pourquoi j’ai eu tant de difficultés. Avant ce Spirou, j’ai travaillé sur une série qui s’appelait Feux avec Philippe Tome, chez Dargaud. 90 pages payées ne sont pas parues et Tome se démène pour leur publication. Mais pour moi, il y a peu de chances que le public les voie un jour.
Du coup, j’étais en grande frustration et je suis retombé sur ce projet que Dupuis m’avait déjà proposé auparavant. Je n’avais pas le temps à l’époque. Cette fois, j’ai accepté, et j’avais envie de continuer un peu Feux dans ce Spirou. J’ai contacté pas mal de scénaristes mais je me suis rendu compte que chacun voulait faire passer sa vision, et ce n’était pas forcément perméable à ce que je demandais. Et, un jour, j’avais été mis en relation avec Zidrou par Le Lombard pour un album Signé. On s’est vu, on a commencé à parler du Spirou, on n’a plus fait que parler du Spirou. Et, lui a vraiment embrayé sur ce que je voulais, quelque chose avec de la sensibilité, de la sueur et du sang. Il m’a vraiment pris au premier degré et m’a écrit une histoire très sombre d’où l’humour sera quasiment absent.
Et, au départ, je suis parti sur un dessin presque totalement réaliste. Puis, au fur et à mesure, pour que ma manière de le faire soit crédible, j’ai aligné tous les éléments de ce Spirou. Puis, j’ai bloqué, ce n’était pas possible, si je voulais faire un Spirou, il fallait voir que c’en était un. J’y travaillais les premières semaines du mois, et à un moment, j’avais tellement travaillé que ça ne me plaisait plus. Donc j’essayais de récupérer un peu ce que j’avais déjà fait. Un jour, j’ai tout pris, et j’ai fait un feu de joie dans le jardin. Après quoi, je suis resté quasiment un an sans y toucher. Donc, ce sera une histoire dure, pas très drôle (il s’esclaffe) et que j’ai enfin trouvé la façon de le faire. Je suis à une dizaine de pages, maintenant… en 6 ans.
Spirou parlons-en, est-ce que la parution hebdomadaire de vos gags a parfois conditionné ces gags ?
Non, le but c’est l’album. Et très sincèrement, on a toujours agi en toute liberté, sans directive. Pour l’anecdote, une fois, un rédacteur était venu me trouver par rapport à une scène de cirque que je devais dessiner. Il m’avait dit : « C’est malgré tout un magazine pour enfant et ta trapéziste, elle sent la sueur ! » Ce n’était pas un compliment mais, mine de rien, c’est le plus beau qu’on m’ait fait. Il avait renoncé à me faire changer.
Vous lisez beaucoup ?
En moyenne deux heures par jour. Une heure dans le bain, et une heure avant de m’endormir. Je m’intéresse à tout, roman ou bd, littérature moyenâgeuse, américaine, japonaise, russe, africaine. Sinon, j’aime aussi essentiellement la musique classique. Il n’y a vraiment que le XXIème siècle que je n’ai pas abordé. Surtout parce qu’il y a de moins en moins de disques.
Comment dessinez-vous ? Toujours à la palette graphique ?
Non, j’ai abandonné depuis un bout de temps. J’aime trop rater et essayer de récupérer. Parce que quand on rate, on trouve des choses en essayant de réparer. Oh tiens, en mettant telle couleur, ça donne tel effet. Si je mets ça, ça donne ça. L’acrylique pour cacher donne ce genre d’effet.
Avec la palette graphique, c’était trop facile. Hop, on a raté, on revient en arrière. Après, peut-être que je ne m’en sers pas suffisamment bien, mais j’ai l’impression de moins découvrir. Parce qu’un dessin peut être parfait mais sur du papier peint, ce n’est pas possible : tu as tellement gratté, découpé etc.
Pendant 2-3 ans, j’ai vraiment beaucoup travaillé sur palette. Il y a une dizaine de pages sur lesquelles ça se voit. Mais ça se voit si je le dis. Mais maintenant, ce qui m’amuserais plus, ce serait de reprendre la palette, mais pour une nouvelle série. Qui serait vraiment pensée et conçue pour.
Quels sont les projets ? À part finir ce satané Spirou ?
J’ai été contacté par Bar2, le créateur de Joe Bar Team qui aimerait bien faire un truc avec moi. Mais, je ne sais pas ça peut aller.
Aussi, il y a peut-être une possibilité de continuer la Patrouille des Libellules, mais des contrats doivent être négociés.
Ce qui vous plairait, non ?
Ah oui, ça m’amuserait puis ça ferait plaisir à beaucoup de personnes.
Propos recueillis par Alexis Seny
Marc Hardy sera en dédicaces ce jeudi 14 mai au Festival du Rire de Rochefort!
N’hésitez pas non plus à jeter un oeil sur www.hardymarc.com régulièrement mis à jour!
Série: Pierre Tombal
Tome: 31 – Peine de mort
Scénariste: Raoul Cauvin
Dessinateur: Marc Hardy
Coloriste: Cerise
Genre: Humour, Gag
Editeur: Dupuis
Nbre de pages: 48
Prix: 10,60€
Sortie: le 24/04/2015
Extraits: