Missouri Breaks (Arthur Penn, 1976)

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Suite à la pendaison d’un des siens, un petit groupe de voleurs de bétail vole un train et s’établit dans un ranch au coeur du Montana. Malheureusement pour Tom Logan et ses copains, leur voisin David Braxton, soucieux de préserver une justice expéditive, engage un « régulateur », Lee Clayton, chargé de liquider tous les hors-la-loi…

Sorti six ans après Little Big Man, ce Missouri Breaks est un western vraiment curieux. Son ton évolue de la comédie (le début, si l’on excepte la pendaison, tire de nombreux rires et sourires – la scène du pillage de train en est un bon exemple) au drame ou au thriller, tout en conservant un sens du décalé (surtout dans le traitement du personnage de Lee Clayton). Comme pour bon nombre de westerns de l’époque (la guerre du Vietnam et Peckinpah sont passés par là), l’Ouest ne compte plus de figures héroïques. Le groupe de voleurs de chevaux se constitue d’hommes assez simples, voire idiots, et dont le chef, Tom Logan (Nicholson), bien que sympathique, n’a rien d’un héros, mais souhaite « se ranger » et mener une vie de simple fermier. Le personnage du régulateur Lee Clayton (Brando) n’a plus rien du justicier récurrent des westerns des années 1950. Dans les westerns d’autrefois, un collectif se cotisait pour faire appel à une sorte de vigilante qui ferait régner la loi et ramènerait l’ordre dans la ville en l’absence de tout shérif (Robert Mitchum dans L’homme au fusil ou Henry Fonda dans L’homme aux colts d’or), s’appuyant sur leur rapidité et habileté au tir. Ici, Clayton est payé par un particulier (et non plus une communauté) pour exercer un simulacre de justice personnelle. Bien qu’il demeure habile au tir, ce facteur n’entrera pas réellement en compte puisqu’il avoue lui-même dès le départ abattre ses adversaires de loin, à l’aide de son fusil de précision Sharps (pas si loin du sniper). De fait, soit il tuera de cette façon soit en prenant ses victimes par surprise et avec une perversité assez rare dans les films de ce genre.

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Le message du film m’est resté un peu obscur. Je vais me permettre de spoiler un peu celui-ci pour m’expliquer. Si vous voulez garder toute surprise, arrêtez-vous ici et regardez Missouri Breaks avant de continuer. Concernant le message du film : assez tôt dans le récit qui oppose Logan à Clayton, le premier arrive à menacer le régulateur alors que ce dernier prend son bain et se trouve a priori sans défense. Clayton répond qu’au lieu d’accepter le duel, il préfère rester dans son bain de mousse (toujours ce ton décalé) ; Logan l’épargne et quitte la maison. Or, tous ses acolytes voleurs de bétail vont se faire exécuter les uns après les autres. Ce qui impliquerait donc que la pitié et l’honneur ne paient pas mais qu’il convient peut-être d’appliquer ses propres lois à un assassin. Et comme pour confirmer cette perception, la résolution de Logan ira tout à fait en ce sens-là. Il n’y aura jamais de confrontation physique entre les deux ennemis, mais un évitement permanent et des « coups dans le dos ». Quel que soit le personnage, lorsqu’il frappe, c’est après s’être assuré d’être en sûreté et de pouvoir prendre l’autre en traître. Il ne descendra jamais véritablement dans l’arène. C’est un principe qui s’applique également à David Braxton à la toute fin du film. Les héros n’existent définitivement pas ou plus.

Malgré cet aspect « crépusculaire », l’ensemble du métrage, presque intégralement tourné en plein air, bénéficie de décors magnifiques. Ce n’est en fait pas si étonnant puisque le scénariste, Thomas McGuane, a travaillé dans des ranches, que ce soit dans le Wyoming ou dans le Montana. On retrouve d’ailleurs ses touches au long du récit, que ce soit lorsque l’on s’attarde, avec un certain bonheur, sur les conditions de la vie rurale de l’époque, ou lorsqu’un des personnages, joué par Harry Dean Stanton, parle de son enfance malheureuse avec son père violent (apparemment une figure récurrente dans les oeuvres du scénariste, dont le père était alcoolique). Arthur Penn met brillamment en scène cette confrontation, maîtrisant le rythme (les silences lors de discussions par exemple, bien marqués mais pas trop longs non plus, ainsi que des actions sèches et violentes comme lors des meurtres) et le style : le réalisateur retourne certaines scènes (exemple : Logan et la fille Braxton flirtent puis s’ébattent sur une petite musique lyrique, lorsque l’on s’aperçoit qu’ils sont observés par Clayton, mais aussi par le père Braxton, ce qui imprime un sens nouveau à ce qui est montré et assombrit ce qui s’annonçait comme un moment d’innocence et de légèreté) comme l’histoire elle-même (l’issue de « l’affrontement » entre Logan et Clayton).

Si j’ai éprouvé certaines réserves à cause du manque de duel entre Nicholson et Brando, je dois bien reconnaître que ce western m’a énormément plu (davantage à la réflexion et avec la décantation du sujet – si bien que je le reverrai sans doute avec plus de plaisir encore qu’à la première vision), grâce à ses qualités d’écriture, de mise en scène et d’interprétation, et puis grâce à son cadre d’une grande beauté. La musique de John Williams est elle aussi tout à fait plaisante. N’hésitez surtout pas à le voir, il en vaut très largement la peine. J’en profite aussi pour remercier Raphaël, qui me l’a fait découvrir.

Missouri Breaks, d’Arthur Penn, avec Jack Nicholson, Marlon Brando, Harry Dean Stanton, Kathleen Lloyd, Randy Quaid. 2h06. Distribué par United Artists, 1976.

Par Gérald Sanzo.

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