Pas de baraka pour la haraga (critique des Mains Invisibles)

« Je voudrais travailler encore, travailler encore, forger l’acier rouge avec mes mains d’or ». C’était Lavilliers qui chantait ça il y a un petit bout de temps, déjà. Travailler pour gagner sa vie, travailler pour survivre, au sens premier comme dans le regard des autres. Des autres qui ont vite fait de te considérer comme un moins que rien. Encore plus au Maroc, où le travail manque. Et quand on a sa famille à nourrir, rien n’est évident et la désespérance pousse à passer les frontières, les mers, les barricades. Cette histoire, c’est celle de Rachid, c’est celle de tant d’autres aussi.

… L’Europe…

En tendant la main, on pourrait presque ramasser une poignée d’or…

Car oui, deux rives (celle de l’Afrique et celle de l’Europe) pour un rêve, ça fait peut-être une chance sur deux. Pourtant, Rachid n’es pas prêt à la jouer cette chance. Lui qui de la petite plage où il pèche un aussi petit poisson, misérable, il en voit partir, des rêves plein la tête. Rachid en voit revenir aussi, gonflés comme des ballons, par la force des marrées, les rêves noyés. Seulement, Rachid est vu comme un lâche, qui par sa volonté de sécurité condamne l’avenir de ses proches. Et quand, las, Rachid se voit proposer un deal avec un trafiquant de drogue, il accepte finalement, embarque et se retrouve piéger en haute-mer, entre les écueils et les gardes-côtes espagnols. Et peut-être vaut-il mieux mourir dans l’écume, finalement, que de subir les affronts d’une réalité qui se masque à la vue des migrants. Entre les coups durs, les coups bas et le peu de coups de mains, Rachid va devoir affronter la vérité implacable: le rêve européen est peut-être encore plus inaccessible que le rêve américain. Et tel un pion dans les mains d’un Dieu bien moqueur, Rachid va se résoudre à l’errance et à la folie.

Les mains invisibles Ville Tietäväinen 4

Les mains invisibles, c’est d’abord une succession de 74 mots choisi dans le vocabulaire utilisé par les médias pour parler de l’immigration (d’accoster à vague, en passant par endiguer, pénétrer, réprimer et autres contrôler), sans un mot qui ait une évocation positive. Non pas qu’il n’y ait pas de mots positifs pour parler de l’immigration (que du contraire, on se souviendra par exemple que la Belgique voyait plutôt d’un bon oeil l’arrivée de ces étrangers qui venaient tout droit se jeter dans l’antre des tréfonds de la terre, dans les mines), il n’y a plutôt pas de mot pour décrire une situation aussi complexe qu’inhumaine.

Tout le monde a perdu un proche qui s’est noyé mais comment faire peur à un homme dont la faim tord aussi le ventre de ses enfants?

Alors peut-être des dessins peuvent-ils tenter d’appréhender la situation? Oui, sans hésitation et l’auteur nordiste, le finlandais Ville Tietäväinen, arrive à saisir et à décrire avec précision (par le prisme de la fiction) les problèmes qui se posent au sud. Un graphisme constamment plongé dans l’ombre (celle des non-dits, des choses occultées dans nos informations occidentales? En tout cas, elle fait son oeuvre), des personnages aux émotions intenses et un réalisme aussi intact qu’effroyable font de ces Mains Invisibles un témoignage vivace et nécessaire d’une époque, la nôtre, et d’une Europe où décidément tout le monde n’a pas sa place. Et si l’on parle beaucoup de la main de Dieu dans ce roman graphique, ils parlent aussi surtout de celles, bien humaines, qui ne se tendent pas. Des Mains Invisibles?

Les mains invisibles Ville Tietäväinen Couverture Scénario et dessin: Ville Tietäväinen

 One shot

 Nbre de pages: 224p.

 Genre: Drame, fiction réaliste

 Éditeur: Casterman

 Couleur

 Prix:  27€

 

 

Extraits:

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