Aïe, un ouvrage réalisé « avec Amnesty International », encore de la propagande à foison pour en dénoncer une autre? Éh bien non, les craintes sont vite éludées, car c’était sans compter le talent et l’indépendance du journaliste et écrivain français Christophe Dabitch, toujours aussi riche dans sa vision du monde et de ses problématiques.
Ainsi, le globe trotter a parcouru quelques pays éparses du globe (Cambodge, Argentine, Côte d’Ivoire, Liban…) pour « partir à la rencontre de ceux qui se battent pour leurs droits et qui transforment un statut de victime en celui d’acteur, souvent avec l’aide d’organisations militantes à vocation professionnelle dont le rôle est d’amplifier leur voix afin de changer des situations concrètes« . Comme Amnesty donc, qui reste à l’état d’égide de ce livre, mais ne monopolise pas le temps de parole. Car c’est avant tout vers ces petites voix demandant à être amplifiée, à être là (comme le titre du livre qui porté bien son nom), que s’est tourné Christophe Dabitch, avant de convoquer quelques un des plus talentueux dessinateurs de leur génération (Jorge Gonzalez, Damien Roudeau ou Guillaume Trouillard) pour mettre ces reportages en dessin. Avec cette contrainte: à 3 exceptions près, tous ces dessinateurs n’ont pas fait le voyage avec Dabitch, dans une volonté d’appropriation du récit et des photos ramenés par l’écrivain. Pour imaginer et reconstituer avec leur subjectivité et leur humanisme.
Car Être là, est profondément humain, même s’il relate des faits qui ne correspondent absolument pas à l’époque dans laquelle nous croyons vivre: les condamnations arbitraires au Japon, les femmes violées d’Afrique ou la difficulté du souvenir en Argentine 30 ans après le Processus de réorganisation nationale qui a mené à de nombreux assassinats et disparitions. Sans nous épargner non plus, nous qui croyons être à l’abri de tout soupçon mais qui sommes rappelés à l’ordre par cette illustration de la pénible vie des Roms dans le Nord de la France.
Loin de faire la morale, Être là est le vibrant témoin de combats ordinaires dans un monde ne tournant pas rond. Hommage et appel à la solidarité avec des hommes et femmes qui n’ont rien demandé mais se retrouvent à rêver d’une vie meilleure pour continuer à survivre et à être là. Sans apitoiement mais avec un réel regard citoyen, ce recueil de 13 reportages réveille les douleurs de tout humain qui se respecte, qui se sent peut-être impuissant mais sera en tout cas témoin. Et tous ces lecteurs-témoins donneront une raison en plus à ces véritables super-héros de leur époque et leur pays de se taire encore moins.
Et si Être là demande un réel effort de lecture (il y a dans l’un ou l’autre récit, un manque maladroit de lisibilité), voilà un ouvrage essentiel et important, compilation de morceaux de bravoure. Avec de gros coups de cœur pour les 3 entretiens et la crise humanitaire grecque où se bousculent les immigrés illégaux, terriblement enrichissants et pertinents. Un ouvrage aussi flatteur pour tous les dessinateurs qui y ont pris part et partagent leur talent, sans non plus éclabousser le propos de ce livre à face humaine.
17/20
Christophe Dabitch & collectif, Être là, Futuropolis, 184 pages, 24€.