Le faux prix spécial du jury du dernier festival BD d’Angoulême 2016, à savoir « les intrus » méritait-il vraiment son sort ou même carrément son faux prix? Est-ce trop d’honneur pour un auteur, Adrian Tomine, bien mal connu en France?
Penchons-nous donc sur le cas Tomine et son style si caractéristique, à la fois épuré et minimaliste, qui nous narre des histoires courtes, mélancoliques et tristes. Temps qui passe, banlieue urbaine périphérique, anonymat des personnes, relations superficielles ou fausses…voilà une des composantes des BD de Tomine.
Cet américain d’origine japonaise, né en Californie en 1974, publie de la BD depuis plus de 20 ans, tout d’abord dans le fanzine « optic nerve », puis en étant édité depuis 1994. Son plus gros succès « Blonde platine »(éd. Delcourt, 2003) se veut dans la lignée des histoires courtes de Daniel Clowes, petites histoires, très réalistes, nous narrant des scénettes de la vie quotidienne américaine, des vies banales mais souvent dures et cruelles. A l’image de Riad Sattouf et « la vie secrète des jeunes », ses histoires se passent dans des banlieues ou résidences anonymes. Histoires définies par des événements intimistes, pourtant marquants pour ceux qui les vivent et les subissent.
Histoire sans relief, solitude indicible, incommunicabilité… dans « blonde platine », les personnages subissent leur vie et les événements, sans avoir beaucoup de prises sur ceux-ci. Nous avons par exemple un jeune homme amoureux d’une fille blonde qui entame une relation amoureuse avec son voisin de quartier, bellâtre musicien machiste et misogyne ; il ne peut constater son impuissance devant cette impossible relation et la souffrance de la jeune fille (rejetée sans ménagement par le voisin) ; considéré comme asocial et bizarre, ce personnage s’enferme dans sa solitude, surtout auprès des filles.
En outre, souvent dans les histoires courtes de Tomine, il est fait référence aux citoyens d’origine asiatique et leur intégration dans la société américaine, cela passe par des conflits de génération parents-enfants, les flirts impossibles entre américains et asiatiques ou les représentations fantasmées des américains de souche sur ces asiatiques ; clichés sexuels notamment, elles auraient la peau si douce par exemple…
Misère sexuelle, solitude affective, tentative de séduction tronquée…le graphisme de Tomine utilise beaucoup les ellipses, les plans fixes sur les visages, la monotonie des rues ou des coffee shop pour composer ses histoires en BD, prenant en cela le relais d’auteurs comme Daniel Clowes ou Charles Burns. De plus, Tomine dessine souvent des cases sans dialogue avec ces personnages, accentuant le caractère anonyme mais prégnant des paysages ou bâtiments dessinés, allant dans le sens des immeubles décomposés de Chris Ware. Alors un auteur « houellebecquien » ou « carverien », un peu des deux avec ces personnages de la classe moyenne se débattant dans des histoires d’amour impossibles, des relations sociales tronquées ou dans un monde salarial anonyme et cruel.
Les immeubles décomposés de Chris Ware:
L’humour sarcastique est souvent présent chez Tomine, à l’image de l’histoire de la jeune fille timide (cinquième histoire dans « les intrus ») qui s’essaie au stand-up comique devant ses parents fort inquiets, on ne voit pas le public rire ou si peu. Le malaise de cette histoire venant des relations ambigus entre les membres de cette famille, la difficulté à communiquer de cette jeune fille (bégaiement chronique), alors vouloir faire rire un public… Ainsi, ce qui caractérise les personnages de Tomine, c’est leur profonde insatisfaction devant leurs vies familiales et sociales ; tous rêvent d’un ailleurs possible mais qui se brise devant le réel, engendrant des traumas ou névroses profondes.
A l’image de la première histoire de Tomine dans « les intrus », « Hortisculpture » où Harold, un paysagiste crée dans son jardin des sculptures de plantes aux formes bizarroïdes, cherchant ainsi à se définir comme artiste à part entière mais n’entraînant, de la part de ses voisins, que réactions courroucées et indignation.
Personnages qui sont effectivement des intrus, des inadaptés à la vie sociale américaine ou dans leurs propres familles. Intrus dépeints sans complaisance, mais avec justesse et beaucoup de réalisme, nous renvoyant à notre propre mode vie occidental et à ses contradictions.
Billet signé Dominique Vergnes
« Les intrus »(éd Cornélius, Paris, 2015)
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