Deux ans après What Richard Did, l’Irlandais Lenny Abrahamson revient avec un projet auteuriste, Frank, qui met en scène une ribambelle d’acteurs talentueux, avec en tête d’affiche Michael Fassbender en interprète du défunt musicien anglais Chris Sievey, alias Frank Sidebottom. Un film qui marque et surtout se démarque de tout ce qu’on peut voir sur nos écrans.
Écrit avec l’appui de Jon Ronson, camarade musical de Frank Sidebottom, Frank raconte l’histoire de Jon, un jeune musicien en panne d’inspiration dont la route va croiser celle d’un groupe saugrenu de pop avant-gardiste, en plein essor créatif. À la recherche d’un nouveau clavier, le groupe va engager le jeune homme pour l’enregistrement de leur album. Très vite, ce dernier va faire la connaissance d’un personnage fantasque, Frank. Leader du groupe et génie musical, Frank vit en permanence dissimulé sous une énorme tête en papier mâché. S’en suit alors une incroyable aventure humaine aux frontières de la folie qui mènera les Sonorfbps d’un petit chalet perdu au fin fond de l’Irlande jusqu’au Texas. Un voyage dans les recoins les plus sombre de leur être par lequel les cinq membres vont s’égarer dans leurs névroses mais également se retrouver à travers les autres.
Avant tout Frank, c’est un fabuleux hommage aux groupes marginaux des années septante, à ces artistes perfectionnistes qui passent leur temps à bidouiller leur morceau, à la recherche du son, parfois loufoque, qui donnera à la musique l’originalité tant recherchée. Des groupes qui sont malheureusement tombés dans les travers de l’oubli.
Ce qui frappe au premier abord chez ce Frank, c’est cette ambiance si singulière qui sent si bon l’Angleterre. L’esprit du film, l’humour, les personnages, la musique, tout respire la langue Shakespearienne. Une ambiance à la fois douce et décalée qui n’est pas sans rappeler Mister Lonely, d’Harmony Korine.
À cela vient s’ajouter une réflexion inspirée et surtout inspirante, fil conducteur du film. Une réflexion particulière puisqu’elle pousse et les personnages et les spectateurs dans leurs derniers retranchements. Frank est donc une oeuvre d’une rare intelligence où l’humour tient une place de marque au milieu de thèmes inattendus tels que l’acceptation de soi, la recherche identitaire ou encore la maladie mentale. Ces sujets très profonds, Lenny Abrahamson a pu les traiter de manière particulièrement sensible et touchante et ce sans tomber dans le mélodrame larmoyant à souhait, que du contraire… Et pour cet exploit; chapeau l’artiste!
Justement, saluons ces autres artistes, se cachant derrière ce pitch alléchant. Des acteurs irréprochables pour un casting cinq étoiles: Domhnall Gleeson qui interprète le jeune Jon, Maggie Gyllenhaal surprenant en pianiste hystérique et irascible, mais également le jeune français, François Civil vu notamment dans Bus Palladium.
Mais il y en a un qui porte véritablement le film sur ses épaules: un véritable magicien du septième art, au talent qui semble sans limite: Michael Fassbender qui abandonne sans complexe son joli minois pour se cacher derrière un masque grotesque. L’acteur ne prête que sa voix et son corps à ce personnage tellement hors du commun et le résultat est incroyable. Sa performance – car oui, dans un tel contexte le mot prestation est trop faible – est brillantissime, un véritable tour de force. Son corps devient le seul et véritable vecteur de l’âme de ce personnage. Avec ses postures et mouvements particulièrement étudiés, Fassbender réussit le « presque impossible » : insuffler de la vie et des sentiments à une tête en papier mâché. Au tel point que cet homme masqué et complètement névrosé devient familier, charismatique et surtout terriblement touchant. De plus, Fassbender se mouille jusqu’au bout pour son personnage en poussant la chansonnette! En effet, l’acteur n’a pas hésité une seule seconde à chanter lui-même les chansons de Frank Sidebottom. A l’instar de cette scène magistrale, où le masque tombé, l’acteur entonne I love you all pour un moment d’une intensité presque palpable.
Frank fait donc partie de ces films transcendants qui, une fois le générique terminé, vous laisse pantois dans votre fauteuil, chamboulé, sans mots. Parfait sous tous les angles, il allie avec une intelligence rare un scénario et des dialogues en béton, un casting saisissant, une esthétique remarquable, mais également une bande-son irréprochable avec des chansons fortes en émotions. Bref, ce film a tout des grands, il ne reste plus qu’à continuer de le faire vivre…
5/5
Par Alizée Seny
