Sortilèges et méchanteries et La mémoire des pierres : il était une fois René Hausman, infiniment et à jamais

Il s’appelait Hausman, sans coquetterie, un seul « s », un seul « n », et pourtant René était un architecte qui a visé bien plus loin que n’importe quel monument tant l’oeuvre qu’il nous laisse comptera à jamais. Le géant, l’ogre bienveillant nous a quittés, le printemps dernier, sans prévenir, laissant la nature (réelle mais aussi fantasmée, celle qui fourmille d’être fantaisiste) muette d’émotion. Un an après, on pense toujours et indéniablement à ce magicien du dessin. Dupuis lui consacre une intégrale mais aussi la parution de son dernier livre, inachevé et laissé majoritairement à l’état de story-board. De quoi prolonger l’enchantement.

© Philippe Graton
© Philippe Graton

Sortilèges et méchanteries : il était… deux fois

Avec Sortilèges et méchanteries, c’est un petit bon dans la mare du temps que la collection Aire libre nous fait faire. À cheval sur la fin des années 90 et le début des années 2000, René Hausman associe son talent à celui d’un autre raconteur, Yann. Tous d’eux ouvrent leur veine noire et aborde les quatre petits mots que sont « il était une fois » pour en exploité l’ombre. Car loin de l’image galvaudée par les Disney et les reprises enfantines des contes d’Andersen, des Grimm et des autres, rien n’est jamais rose. Et Yann et René nous le rappelaient, avec l’art et la manière.

© Yann/Hausman chez Dupuis
© Yann/Hausman chez Dupuis

Ainsi, Sortilèges et méchanteries regroupe, dans le format si luxueux de la collection Aire Libre, les deux histoires commises par les deux amis : Les trois cheveux blancs et Le prince des écureuils. Deux contes noirs issus de leur imagination, mêlant forêts sauvages et incursions humaines, dans une atmosphère féodale. À chaque pas, rien n’est moins sûr et la magie peut surgir à tous moments. Comme l’agile et tornade rousse Vaïva (quelque part entre Laïyna et Pélisse) qui, au milieu des renards et sous la coupe de Mamyté, ne sera pas insensible aux lumières du château tout proche. Pourtant, la vie de château a un prix, celui d’une effroyable et sanguinaire malédiction.

© Yann/Hausman chez Dupuis
© Yann/Hausman chez Dupuis

Comme, aussi, Roufol, le petit écureuil sans beaucoup de défense qui, par un ingénieux charme et les hasards magiques du destin, va se métamorphoser en un jeune garçon riche et plein de ressources. Et comme il pouvait désormais dire « Je suis le seigneur du château« , ses dents étaient devenues longues et criaient vengeance par-dessus tout.

© Yann/Hausman chez Dupuis
© Yann/Hausman chez Dupuis

De ces deux histoires trempées dans l’encre des contes qu’on n’oublie pas de sitôt, Yann offrait à René Hausman un territoire parfait pour exprimer son génie animalier et lui faire rencontrer un sens magistral de la composition (cette scène de banquet, par exemple, ou ce champ de bataille abandonné). Dans ces deux histoires où résiste le fil tendu entre l’humainement acceptable et le monstrueusement inacceptable, René Hausman fait sens et spectacle, dans sa violence, son insouciance et, au-delà, dans la force qu’il met à faire vivre tout ça toujours plus fort.

© Yann/Hausman chez Dupuis
© Yann/Hausman chez Dupuis

sortileges-et-mechanteries-rene-hausman-yann-integrale-les-trois-cheveux-blancs-le-prince-des-ecureuils-couvertureTitre : Sortilèges et méchanteries

Intégrale

Scénario : Yann

Dessin et couleurs : René Hausman

Genre : Fantastique, Conte

Éditeur : Dupuis

Collection : Aire Libre

Nbre de pages : 112

Prix : 24€

Date de sortie : le 20/01/2017

Extraits : 

La mémoire des pierres, pas un au revoir, pas même un adieu

Puis, le temps a passé et, quinze ans plus tard, malgré son âge avancé, René Hausman continue à faire notre bonheur inestimable, toujours bien présent dans l’imaginaire populaire dépassant allègrement sa région si appréciée. Cette fois, c’est auprès de Nathalie Troquette et Robert Reuchamps qu’il goupille sa prochaine oeuvre, une histoire faite de vie, de mort, les unissant pour mieux en dépasser les frontières. La dernière histoire, mais personne ne le sait encore. Un ouvrage fait en famille : Nathalie, c’est sa femme, et Robert, un vieil ami. Et comme d’habitude, il est question d’animaux, de campagne, de saisons et d’humanisme si vibrant qu’il traverse les époques. Comme René.

http://www.televesdre.eu/site/embded_televesdre.php?id=90680

La mémoire des pierres, c’est une histoire qui dépasse les âges, une histoire qui débute à la fin des années 30. Marcellin Legrand est un gamin comme les autres. Entre la campagne, le filet d’eau du Crapîre et la chaumière des parents, le jeune garçon mène une vie au grand air qui ne lui épargne pas quelques frictions avec le clan adverse : la bande à Émile Lehane. De quoi donner à ce petit coin de verdure des allures de guerre des boutons, dans une moindre mesure mais avec le lance-pierre de rigueur. D’autant plus quand ces sales gamins s’en prennent aux grenouilles, ces animaux chétifs mais fétiches de Marcellin. Il faut le voir se prélasser près du gué, au soleil et recouvert de dizaines de ces batraciens. Une osmose totale entre l’homme et l’animal, perpétuée par les histoires contées par sa grand-mère.

© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis
© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis

Ce que Marcellin ignore, c’est que la fiction va dépasser la réalité lorsque, carrier devenu, un éboulement va le recouvrir, l’ensevelir et l' »ensommeiller » pour des lustres. Comme la croyance populaire qui veut que « les grenouilles et les crapauds naissent parfois d’une pierre. C’est que, ensevelie par accident dans un agglomérat de vase et de cailloux, une grenouille peut survivre pendant de longues années, dans une espèce de coma, de léthargie en arrêtant toutes ses fonctions vitales. » Et de revenir comme si de rien n’était. Mais quand ce phénomène incroyable arrive à un homme, difficile pour lui de revenir comme une fleur tant la société environnante change…

Vous l’aurez compris, cet ultime album qui accaparait René Hausman avant que la faucheuse l’emmène n’est pas anodin. Comme cela est parfois arrivé (on pense notamment au regretté Hugues Mounier, à Hergé et à d’autres personnalités issues du monde des arts), La mémoire des pierres est loin d’être fini. Tout juste, René a-t-il pu finir les six premières planches de cet album prévu pour 56 planches. Une magnifique entrée en matière pour un chant du cygne qui se permet de coasser et où passe un héron apeuré. Dans ces six planches, René n’a rien perdu de sa maestria naturelle mais cela suffit-il à tenir en haleine les lecteurs. Un temps, sans doute, mais très vite, on aurait eu l’eau à la bouche et l’envie de découvrir la suite et la fin. L’histoire aurait, en effet, pu s’arrêter là et ces six premières planches rester secrètes où resurgir pour l’une ou l’autre exposition, sans trace bibliographique.

© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis
© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis

Sauf que, dans un dernier tour de magie et de malice, René avait dessiné tout le story-board. « Pour que Nathalie et Robert soient bien d’accord avec ma mise en scène et mon découpage (…) Oh, et puis j’ai ajouté quelques taches de couleur à l’aquarelle, pour que ce soit plus agréable à regarder. Pour mieux reconnaître les personnages aussi… » Des ébauches qui jouent aujourd’hui les prolongations des six premières planches prêtes pour la presse. Et quel bonheur c’est.

© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis
© Troquette/Reuchamps/Hausman chez Dupuis

Avant toute chose, comme un signe que « les diamants sont éternels » (selon l’expression consacrée par José-Louis Bocquet en préface-hommage à Hausman), le géant de Verviers a opéré un changement qui marque sur la première planche, au moment d’évoquer la fin de vie proche de sa narratrice. Ainsi, ce qui, dans le scénario était prévu comme « Arrivé à l’automne de ma vie » a été métamorphosé en « Arrivé à l’été de ma vie ». Comme si René se doutait de quelque chose du funeste sort qui lui était réservé et qu’il avait voulu prolonger le plaisir, le faire durer, le faire briller comme un soleil. Et c’est exactement ce qui arrive dans les 136 pages de cet acte posthume…

« Posthume ». À vrai dire, on ne croit pas si bien dire, car René semble vivre plus fort, imbattable. Et on ouvre La mémoire des pierres, comme si on entrait, témoin privilégié, dans son atelier. Çà et là, on reconnaît pendus, de part et d’autre de cette fascinante table à dessin, l’amour de l’art, la passion des animaux… Alors, oui, sans doute faut-il s’habituer, accéder à la lisibilité qui n’était faite que pour le trio-créateur. Les dialogues sont de la main de René et les formes sont plus ou moins poussées, plus ou moins distinctes. Et, pourtant, le charme opère, porté par une belle histoire, une dernière pour la route.

© Philippe Graton
© Philippe Graton

La mémoire des pierres, c’est un magnifique testament qui nous est livré, un récit à la fois pas fini et infini. Le terrain parfait pour s’inventer, dans sa tête, ce qu’aurait pu être cet ultime album, au-delà des superbes bases jetées par René Hausman. Maintenant et dans les prochaines années, à chaque fois qu’on ouvrira ce livre, la version sera toujours différente. Et, au-delà de l’immense oeuvre que l’ogre Verviétois (oui, un ogre, mais de bonheur et de magie blanche, celui-là) nous laisse, ce dernier pavé dans la mare sera éternel. Et comme la collection Aire Libre fait rarement les choses à moitié, quelques superbes portraits de René Hausman capté par Philippe Graton et quelques témoignages forts viennent compléter ce livre. Le plus beau cadeau et réjouissant pot d’adieu que pouvait nous faire ce gentil monstre néanmoins sacré.

la-memoire-des-pierres-rene-hausman-nathalie-troquette-robert-reuchamps-livre-posthume-couvertureTitre : La mémoire des pierres

Récit (in)complet

Scénario : Nathalie Troquette et Robert Reuchamps

Dessin et couleurs : René Hausman

Genre : Fantastique, Drame

Éditeur : Dupuis

Collection : Aire Libre

Nbre de pages : 136

Prix : 32€

Date de sortie : le 20/01/2017

Extraits : 

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