BD : Le diable au corps, le démon de l’aventure #4 – Geoffroy Monde et Mathieu Burniat associent leurs forces autour d’une Furieuse envie de trancher*

© Monde/Burniat chez Dargaud

Si l’aventure se vit bien au long cours sans arguments magiques, force est de constater que pas mal de récits fondateurs de ce genre sans peur et sans reproche sont dotés d’une aura fantastique, de créatures, de monstres capables de faire vaciller les héros et de créer l’inattendu et un supplément de divertissement. C’est le cas dans Conan, Indiana Jones, Les Goonies et tant d’autres. La BD n’y fait pas exception, forgeant des légendes de fantasy, de mille et une nuits et d’autres ans ce bon mélange qui s’ouvre sur des histoires héroïques et palpitantes. La preuve avec ce théma regroupant quelques parutions marquantes de ces dernières semaines. Après Alamander, Arjuna et Capitaine Vaudou, aventurons-nous, avec peu d’alliés cette fois, en terres légendaires, celle d’un Roi Arthur qui, rattrapé par la société de consommation et patriarcale, misogyne. Tout reste à créer et à combattre pour ses filles si elles veulent éviter d’être mariées à un vieux baron « qui peut le faire plusieurs fois par jour s’il est de bonne humeur ». Graal infernal.

* petite explication par rapport au titre: en Belgique, la radio Nostalgie a pour slogan « Une furieuse envie de chanter », le voilà ici adapté.

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Résumé de Dargaud pour Furieuse : Le roi Arthur, celui de la légende ? Un vieil ivrogne décrépit qui passe ses journées vautré sur son trône. Sa gloire désormais bien lointaine, il la doit à l’épée magique que Merlin lui a forgée pour terrasser les hordes de démons venues envahir le royaume de Pendragon. Devenue témoin de sa déchéance, l’arme enchantée s’ennuie ferme tandis que la princesse Ysabelle fulmine car son débris de père l’a promise en mariage à l’ignoble petit baron de Cumbre. Toutes deux bien décidées à se trouver un meilleur destin, Ysa et l’épée s’allient pour fuir le château et partir à la recherche de Merlin et de Maxine, la grande soeur disparue. Mais le vaste monde peut se montrer bien cruel pour une princesse qui n’a connu que la vie de palais. Et les intentions de l’épée sont peut-être moins nobles qu’il n’y paraît.

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Attention réunion au sommet avec deux auteurs qui comptent dans mon panthéon de la BD actuelle : Geoffroy Monde (Le privilège des dieux, Poussière, De rien…) et Mathieu Burniat (Sous terre, Trap, Le mystère du monde quantique, Internet…). Deux auteurs qui n’ont pas leur pareil pour parler de leur époque ou des temps anciens avec maestria et inventivité. Le premier signe donc le scénario de Furieuse, le second met cette histoire en scène, en dessin et en couleurs. Avec du feu et du souffle. Ceux que le roi Arthur a irrémédiablement perdus, dilués dans les alcools trop forts qu’il siphonne à longueur de journée. « Je veux que vous me remplissiez ma gourde. »

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Et s’il y en a bien un qui compte vider son gourdin, c’est bien le baron de Cumbre, dont l’extravagance cache bien le jeu. Il y a quelques années, Maxine lui a échappé, il est hors de question que Ysabelle (qui n’a pas les yeux bleus, premier cliché galvaudé) lui joue cinq lignes. C’était sans compter la pièce maîtresse: l’épée d’Arthur, façonnée par Merlin, et qui est affamée de sang et de violence. Elle brûle d’en découdre, peu importe celui qui la porte… même si Arthur reste le titulaire de tous ses pouvoirs magiques.

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Alors, une nuit, alors que le sort d’Ysabelle est bientôt scellé, celle-ci cède aux avances de l’épée (qui ne reste pas plantée là, elle est douée de parole et peut se déplacer, telle un fantôme), en route pour l’aventure et ses déconvenues, puisque si Arthur est une épave, ses administrés ont perdu la boule et vivotent de bric et de broc. Cruel passage de l’autre côté du miroir pour celle qui était en prison… mais dorée. L’idée qu’elle se faisait du monde est bien décalée de la réalité, comme le peu de nouvelles qu’elle en recevait, de celle qui est peut-être sa seule alliée à l’extérieur du château. En attendant, elle est sans défense mais elle a une épée, dont elle ne peut se servir à la régulière, par contre… en sorcière…

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It’s a man man’s world chantaient peut être les chevaliers de la table ronde après avoir goûté si le vin est bon. Et Ysaline va se rendre compte que si elle joue son va-tout pour déchaîner sa vie, son aventure dépasse sa petite personne. Parcourant un monde où les femmes ne peuvent évoluer que dans l’ombre des hommes et des monstres. Dans un univers de medieval-fantasy, si loin du nôtre, Monde et Burniat ouvrent les couloirs du temps pour tenir un propos qui défie les époques mais continue d’être bousculé par le patriarcat grossier.

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Mais s’il traite de féminisme, ce roman graphique sous forme de quête, de road- ou plutôt horse-trip, avec un casting et un bestiaire fantasques, donne voix à la colère et à la fureur, en évitant pourtant que la situation dégénère en violents combats, extrémistes, qui font qu’on ne peut plus s’entendre. S’il y a des dommages collatéraux, ils sont le fruit du hasard, au mauvais endroit au mauvais moment. Dans ce mélange pop et épique, complètement addictif, les deux auteurs ne veulent pas des gros mots, des phrases chocs (dans un océan, ici, de bons mots qui font mouche) qui versent dans l’excès inverse, quitte à demander que tous les hommes soient radiés de cette terre. L’égalité partout, pour tous, et sans délai, une approche plus humaniste, ça vaut le coup.

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En invitant à se méfier des leaders, aussi fines lames puissent-ils paraître, mais aussi des apparences (trompeuses pour un bien ou pour un mal, le plus vil des harceleurs n’est pas celui qu’on attend), les auteurs, complètement dans leur élément ludico-édifiant, prennent d’autres chemins que celui des hordes tapageuses, qui alimentent parfois les frustrations en en voulant au monde entier et en pensant que l’autre sexe est problématique dans sa totalité, dans ses moindres faits et gestes. Pour des points mal mis dans un écrit, parfois même. Ici, les personnages trouvent leur beauté (même quand ils sont hideux en apparence alors que d’autres sont pimpants mais cachent une vraie laideur) en y allant à tâtons, pas tout de bloc, en laissant la découverte et la connaissance du terrain prendre le dessus sur les phrases préconcues, pouvant être fédératrices mais surtout trompeuses.

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C’est un album qui marque, dans le spectacle qu’il réussit autour d’un des combats majeurs de nos sociétés. En espérant qu’il ne soit pas une damnation éternelle et que notre vingt-et-unième siècle trouve enfin le goût de mettre tout le monde d’accord, en harmonie et sans faire les différences qui isolent ou abaissent. Aussi invraisemblable cela puisse-t-il être, Furieuse porte la sagesse et évite le grand affrontement que tout le monde attendait. Dur comme fer, la guerre n’est pas une solution, elle est le problème. Hein, Vladimir?

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À lire chez Dargaud.

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