Chacma, vers l’infini et l’au-delà, pour nous apprendre l’espace-temps divertissant: « Il n’y a pas d’âge pour pouvoir apprécier les mystères et les réponses que recèle la science »

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Dis donc, mais quel est ce mystère au-dessus de nos têtes, ce grand tout et rien à la fois qui nous dépasse tellement. L’actualité et la fiction nous amènent régulièrement à avoir la tête dans les étoiles et entre les planètes mais qu’en sait-on vraiment ? Des bribes, des contre-vérités divertissantes, parfois? Si l’espace et le temps sont fascinants, force est de constater qu’ils sont aussi compliqués. Par chance, les scénaristes Bertrand (des Béka) et Chacma ont jeté leur dévolu sur cette matière infinie pour l’expliquer le plus simplement possible avec une sacrée joyeuse bande. L’espace comme si vous y étiez, c’est un peu ça l’enjeu de ce premier tome de Science infuse, que Julien Mariolle met de manière stratosphérique en images, avec les couleurs de Laurence Croix. Interview avec Chacma.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Bonjour Chacma. Mais dites-moi, c’est un totem scout, ça non ? Que symbolise-t-il ? Vous en avez fait un canif multi-usage alors, puisqu’il est devenu votre nom de scénariste ?

Bonjour Alexis. En effet, « Chacma » est un totem scout. Cela peut sembler un peu étrange à nos amis français, mais le scoutisme est très implanté en Belgique et dispose d’une tout autre connotation. Pour ma part, j’y ai passé près de vingt-cinq superbes années, consacrées ) apprendre, faire vivre des projets et m’y faire beaucoup d’amis. J’ai eu entre autres l’occasion d’y réaliser certains défis et de pouvoir organiser de grands rassemblements jusqu’à plus de 10.000 jeunes. Dès lors, après avoir quitté cet univers enthousiasmant pour celui de la bande dessinée, il m’a semblé logique de reprendre mon totem scout. Surtout que mon épouse, mes enfants et la plupart de mes amis continuent de m’appeler « Chacma ».

Si vous signez là votre premier album de BD (si je ne m’abuse ?), on vous connaît déjà dans le monde du Neuvième Art, non ?

Ma première vocation a toujours été de pouvoir raconter des histoires lorsque j’ai intégré le petit monde de la bande dessinée. C’est toutefois plus facile à dire qu’à faire, et lorsque l’on m’a proposé des activités différentes de mon objectif originel, j’y ai vu une belle opportunité pour mieux connaître et comprendre ce médium que j’apprécie tant.

Storyboard © Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle

Vous avez déjà signé une littérature fournie sur la BD dans tous ses états (en prélude d’albums, dans des dossiers mais aussi des chroniques). Est-ce facile de passer de l’autre côté ? Se sent-on attendu au tournant ?

J’ai en effet déjà eu la chance d’écrire pour différents supports. Deux conséquentes introductions doivent encore paraître dans de prestigieux livres chez Dupuis dans quelques semaines, et je devrais encore publier deux livres au second semestre. Mon envie de raconter les histoires ne signifie donc pas que je vais laisser tomber mes autres activités. Mais je ressentais l’envie de distinctement séparer les deux, afin également de ne pas faire miroiter de faux espoirs aux lecteurs. Ils peuvent très bien apprécier ce que j’écris d’un côté, sans pour autant être intéressé par l’autre. Personnellement, je le fais avec autant d’envie que de sincérité, et comme toutes les critiques sont bonnes à prendre, je serais ravi de bénéficier des retours de la profession.

Aviez-vous déjà eu des projets BD auparavant ? Qui ne se sont pas réalisés ?

Excellente question, qui amènerait une très, trop longue réponse. Pour résumer, j’ai en effet écrit des histoires, à destination de l’un ou l’autre auteur, juste pour savoir si j’étais capable de pousser l’exercice jusqu’au bout. J’ai commencé à démarcher les éditeurs il y a plus de dix ans, en particulier Glénat qui était très intéressé par deux séries. Malheureusement, la filiale Glénat Benelux a été fermée au moment où nous allions concrétiser ! Ce retour à la case départ et le fait que mon activité de scénariste doit se cumuler à ma profession plus scientifique, mon rôle de chef de famille et mes autres activités au sein de la bande dessinée, tout cela explique qu’il a fallu du temps, de la patience et sans doute beaucoup d’obstination (rires) pour finalement concrétiser des projets. Nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler prochainement, car deux d’entre eux (dont l’un initié il y a près de 10 ans), seront finalement publiés dans quelques mois.

Au-delà de votre casquette de spécialiste BD, vous êtes aussi ingénieur en chimie. Qu’est-ce qui vous a donné le goût des sciences ?

C’est un domaine qui m’a toujours passionné. Comme beaucoup d’autres, j’imagine, j’ai eu l’occasion de réaliser des expériences de chimie amusante avec la boîte que l’on trouvait dans le commerce… non sans y avoir rajouté quelques produits de mon cru : des acides de batterie glanés chez mon père garagiste, ainsi que des produits achetés à la droguerie du coin.

© Mariolle

Au moment de devoir réaliser le choix de mes études supérieures, j’hésitais entre des romanes et des sciences. On m’a alors dit : « Si tu fais des romanes, tu ne pourras pas revenir aux sciences par la suite. Mais si tu choisis l’aspect scientifique, tu pourras toujours écrire plus tard. » Un raisonnement qui m’a paru assez logique sur le coup. Et si j’ai donc suivi mes études scientifiques, je n’avais jamais abandonné cette envie d’écrire.

Et celui de la BD ? Quels sont vos maîtres ? En scénario et en dessin ?

Vaste question, c’est comme demander à un amateur de cuisine ce qu’il préfère ! Cela dépend des différents types de cuisine, des ingrédients, des plats, etc. Si je devais faire très court, je pencherais certainement vers le dessin réaliste de Hermann et Vance, Sans oublier bien entendu Tardi et Pratt dont le style ne convient qu’à leur propre écriture. Et de manière plus générale, Jean « Moebius » Giraud reste à mettre à part pour sa créativité, son talent et ses innovations à tout point de vue.

Scénaristiquement parlant, Jean Dufaux reste certainement une référence pour moi, même si ce n’est pas du tout ce genre d’histoire que je me vois écrire. Je reste bien entendu admiratif des Charlier, Greg, Van Hamme ou Goscinny, des maîtres en la matière. Puis, comme je travaille beaucoup sur l’œuvre de Philippe Tome pour l’instant, je dois avouer que j’y retrouve certaines particularités qui font écho aux miennes. Quoi qu’il en soit, je suis à cent mille lieues de pouvoir me comparer à eux, bien entendu. Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Chaque album qui paraîtra sera déjà une réussite en soi (surtout dans le contexte actuel), et l’occasion de pouvoir apprendre d’autant plus.

Crayonné © Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle

Quelle est la genèse de Science infuse ?

Il y a trois ans, j’avais un rendez-vous professionnel avec les BeKa, qui présentaient au Festival d’Angoulême leur premier tome de « Champignac », leur spin off de « Spirou et Fantasio ». Les rendez-vous du dimanche matin à Angoulême sont rarement les meilleurs, les amateurs du festival me comprendront, mais notre entretien fut néanmoins passionnant. Alors que l’interview se terminait et qu’il nous restait à chacun encore deux minutes pour rejoindre notre rendez-vous, Bertrand des BeKa a rebondi sur le type de questions assez scientifique que je leur avais posées. Et il m’a expliqué qu’il cherchait un co-scénariste pour une série dont il m’a déroulé le pitch tel que vous pouvez le lire globalement dans les 10 premières pages de ce premier album. J’étais bien entendu ravi de cette proposition, car elle rassemblait mon goût pour la science, ma passion de la bande dessinée, et plus globalement tout ce que j’ai pu faire avec des jeunes, que cela soit en tant que scout ou professeur particulier pour payer mes études.

Pour qu’elle soit infuse, il faut avant tout qu’elle soit intrigante. Comment s’y prend-on ? Ce n’est pas si facile ? Ou pas si difficile, justement ?

La grande force de la science, c’est qu’elle est à la fois intrigante de nature, et en même temps des plus logiques. Pour moi, il faut surtout se mettre à la place du lecteur et des enfants, pour comprendre les questions qu’ils se posent. Un élément en entraînant un autre, on maintient ainsi la tension lors de la lecture. Est-ce difficile ? Je n’en ai pas l’impression… ce qui est surtout difficile, c’est de se restreindre sur des sujets qui mériteraient encore plus d’explications. Pour rester intrigant, il faut donc expliquer sans enseigner, évoquer sans trop détailler. Un équilibre plus compliqué qu’il n’y paraît, mais à deux, c’est plus facile !

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Vous officiez donc en compagnie de Bertrand des Béka, un des fameux scénaristes de ces dernières années… qui lui aussi est un scientifique. Au fond, la science favorise l’amour de raconter des histoires ?

Il faudrait demander à d’autres férus de science s’ils aiment également écrire ou scénariser. Cela se vérifie bien entendu pour Caroline des BeKa, une talentueuse raconteuse histoire, et qui est également docteur en chimie. En tout cas, la rencontre avec Bertrand et Caroline est certainement l’une des plus importantes pour ma part. Nous nous rejoignons sur tellement de valeurs et de façons de voir le monde (et pas seulement la bande dessinée) que notre collaboration est un plaisir constant pour moi. Cela efface le millier de kilomètres qui nous sépare physiquement.

On pourrait se dire que dans une histoire comme ça, il faut un spécialiste et quelqu’un qui n’y connaît rien pour rendre le propos le plus compréhensible possible. Ici, ce n’est pas votre cas. Alors, vous répartissez-vous le rôle du « con » (ceci dit avec le plus grand des respects, évidemment) ?

En lisant ce premier tome, on peut bien entendu se dire que l’un des deux scénaristes prend le rôle des enfants pour poser des questions, et l’autre celui des scientifiques pour y répondre. En fait, pas du tout, en ce qui nous concerne ! Bertrand et moi avançons au même niveau, faisant évoluer tous les personnages de concert. Certaines situations humoristiques qui s’ajoutent aux explications scientifiques sont tantôt écrites par l’un ou l’autre, tandis que le second va rajouter où retirer un élément dans cette séquence. Au point qu’il nous serait bien compliqué parfois de dire lequel de nous deux a imaginé telle chute. Sur les 2 premiers tome, Bertrand s’est un peu plus occupé du canevas global, et moi du détail des séquences, que lui découpe au final afin de donner les pages de scénarios à notre dessinateur Julien Mariolle. Bertrand s’occupe également de recenser pas mal de sources au sein de livres de référence, que je complète pour ma part avec différentes sources complémentaires, dont des recherches parfois plus récentes (et pointues) d’astrophysiciens.

Et y’a-t-il eu des jeunes lecteurs test ?

Je crains que mes enfants n’aient effectivement servi de cobayes ! Ils ont d’emblée accroché à l’univers, aux personnages et au récit. Ce qui était pour nous le plus important !

Dans Science Infuse, le lecteur rentre (pour aussitôt en sortir et prendre de la hauteur) dans la maison de Justin et Solène, et d’une famille passionnée de sciences. Comment sont nés ces personnages ? Il est urgent, avant tout, de penser à l’identification du lecteur aux personnages, avant tout ?

C’est Bertrand qui a imaginé le canevas de cette famille scientifique jusqu’au bout des ongles. Enfin, pas complètement, vu que Justin notre jeune héros n’est lui pas du tout fan de science alors que ses parents, frères et sœurs en sont complètement obnubilés. C’est aussi l’occasion pour nous de montrer qu’il n’y a pas d’âge pour s’intéresser à un sujet qui vous passionne. De manière générale, la série sur Science infuse a surtout pour but d’intéresser et de démystifier certaines parties de la science. Beaucoup ont tendance à croire que ces sujets sont complexes, difficiles à comprendre, et donc s’en désintéressent avant même de commencer. Notre objectif, comme nous le faisons avec notre jeune héros Justin, qui n’a a priori pas d’intérêt scientifique, c’est de démontrer qu’il n’y a pas d’âge pour pouvoir apprécier les mystères et les réponses que recèle la science.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Et au niveau du dessin de Julien Mariolle ? Comment a-t-il campé ces personnages, bientôt rejoints par un homme du futur et une extra-terrestre ?

Julien dispose d’un incroyable talent pour composer ses personnages. Il a lui-même trouvé les différents physiques sur base de nos descriptions. Bien sûr, nous avons été un peu plus précis concernant Ulwazi, notre professeur du futur un peu loufoque, qui devait porter un accoutrement assez étrange et comique, sans oublier son assistante virtuelle Freesia. Julien a surtout un très grand talent pour faire vivre les personnages et leur donner la juste expression, alliant la fluidité et la lisibilité, à des émotions que l’on comprend au premier coup d’œil, que l’on soit un lecteur occasionnel où régulier de bande dessinée.

© Mariolle

Il faut qu’ils existent et qu’ils soient forts, d’autant plus qu’ici les décors sont limités, le ciel infinitésimal et les différentes matières composant les sols des planètes explorées ?

Voilà en effet où réside tout le talent de Julien : non seulement, il parvient à trouver la juste place de nos personnages au cœur de cet espace infini et de décors parfois dépouillés. Mais surtout, il leur insuffle toute la force nécessaire pour qu’ils semblent à la fois plein d’énergie et vivant complètement les événements du récit. En regardant les planches, on pourrait croire que c’est simple à réaliser, mais c’est justement très compliqué. Du coup, vous imaginez le plaisir ressenti en tant que scénariste à chaque fois qu’une planche vous parvient !

Storyboard © Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle

Et vous les faites toutes, ces planètes ! Chacune avec ses spécificités. Résolument, l’être humain n’est pas le centre du monde, encore moins le centre de l’univers.

Je pense justement que la science et l’ouverture à ce qui nous entoure, nous permettent de prendre du recul par rapport à nous-mêmes. Nous ne sommes certainement pas au centre de l’univers, et au contraire c’est à nous à essayer de le comprendre le mieux possible pour pouvoir nous y adapter et tirer au mieux notre épingle du jeu.

Et parmi elles, laquelle pourrait-elle potentiellement accueillir l’Homme s’il pourrit jusqu’au bout la planète bleue ?

Malheureusement, aucune des planètes de notre système solaire ne peut abriter l’espèce humaine. Nous expliquons dans l’album ce qu’est la zone habitable, c’est à dire la section au sein de laquelle une planète pourrait disposer des conditions nécessaires pour nous accueillir. Mais tout cela reste très rare: on voit ainsi que les deux planètes autour de nous qui sont dans cette zone restent pourtant inhabitables. Vénus, la jumelle empoisonnée de la Terre, ne tolère une construction humaine quelques secondes avant que son implacable atmosphère ne l’écrase. Quant à Mars, l’objectif est bien entendu d’y installer une petite colonie, mais de là à y déplacer des milliers voire des millions d’êtres humains, cela reste de la science-fiction.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Il faudrait donc se tourner vers d’autres systèmes solaires, mais comme nous l’indiquons en filigrane de ce premier tome, il a fallu que des conditions très particulières subviennent, pour que la vie naisse sur la Terre. Cela signifie que cette probabilité est très faible au sein des autres systèmes solaires. Il y a très certainement des planètes qui peuvent nous abriter, mais elles sont à une telle distance, qu’il est difficile d’imaginer à l’heure actuelle que nous puissions les atteindre. Bien sûr, rien n’est impossible avec la science ! Mais il faudra très certainement encore bien des années avant qu’on puisse imaginer sortir de notre système solaire. Dès lors, le message à faire passer est que nous devons protéger au maximum notre Terre, dès aujourd’hui !

Science et science-fiction se rejoindraient?

Science et science-fiction sont étonnamment liées. Jules Verne n’imaginait-il pas des romans qui paraissaient fictionnels à son époque et qui ont été plus réalistes par la suite ? Faites marche arrière et allez rencontrer votre grand-aïeul pour lui expliquer ce que vous faites avec votre smartphone, que vous mettez 20h pour atteindre l’autre côté de la Terre en avion… Voire lui expliquer que nous avons mis le pied sur la Lune. Pour lui, ce sera de la science-fiction. La science nous aide donc à rêver, tout en nous donnant progressivement les moyens de concrétiser une partie de ses rêves. Raison de plus pour nous y adonner sans restriction.

Et n’est-ce pas frustrant de parler de quelque chose que nous et vous, commun des mortels qui ne sommes ni Jeff Bezos ni Elon Musk, n’atteindrons jamais ?

Enfant, je me suis passionné pour les anciennes civilisations, et des sites toujours présents comme le Machu Picchu. J’ai la possibilité de m’y rendre, mais à l’heure actuelle, rien ne me dit que j’y mettrai les pieds un jour ou l’autre. Cela peut être pareil pour la Lune, Mars ou ceux qui nous entourent : ce n’est pas parce que nous ne pourrons pas nous y rendre qu’on ne peut pas nous y intéresser. D’autant plus que ce qui se déroule autour de nous dans l’univers nous permet de mieux affronter les défis de demain sur Terre. Comprendre comment le Soleil fonctionne par exemple pourrait nous aider à créer des énergies plus propres. Comprendre les subtilités de la gravitation nous facilite également le quotidien : c’est pourquoi nous expliquons dans l’album que les équations sur l’espace-temps trouvent une application concrète avec nos GPS et nos smartphones. Chaque pas en avant nous permet d’en apprendre plus sur nous-mêmes et ce qui nous entoure.

Souvent, quand on aborde la science en BD, on embarque dans des gros pavés, des romans graphiques, ou, quand on vise un public jeunesse, des 48-pages regroupant des gags qui permettent rarement d’aller au bout du sujet, non ?

Lorsque Bertrand m’a expliqué en 2 minutes montre en main le pitch de « Science Infuse », il m’a dit : « Il faudrait réaliser la série qu’on aurait voulu lire enfant, et qui nous aurait donné envie de nous intéresser à la science. » C’est donc cet objectif-là qui nous a guidés tout au long du processus de création : un album qu’on pourrait mettre entre toutes les mains dès 10 ans, même si certains concepts ne seraient pas directement appréhendés, mais qui éveillerait la curiosité et l’intérêt des lecteurs. Nous avons bien entendu voulu glisser quelques touches humoristiques, histoire de rendre l’ensemble le plus agréable à lire, et pour que les lecteurs s’identifient au personnage. Nous espérons que ce cocktail, différent des autres, plaira au lecteur.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Quels albums tenez-vous pour des incontournables de la science en BD ?

«  Tu mourras moins bête » de Marion Montaigne reste certainement l’une des plus belles séries de vulgarisation scientifique, même si le format est très éloigné du nôtre. J’ai bien entendu d’autres coups de cœur, comme « Les Mystères du monde quantique » de Mathieu Burniat, et quelques autres romans graphiques que je considère plus pour les adultes. Peut-être me manque-t-il des références, mais j’ai le sentiment que ce qu’on réalise avec « Science Infuse » n’a pas encore été abordé sous cette forme et pour ces publics ; j’espère donc que nous relevons au mieux ce défi.

Vous avez donc opté pour une histoire longue et fluide, où les thèmes se succèdent naturellement. Comment élabore-t-on ce genre d’histoire ? D’un côté les synthèses scientifiques et de l’autre le schéma narratif fictionnel ?

Pour ce premier tome, il nous a paru logique de commencer à nous intéresser à ce qui était le plus proche de nous, à savoir notre système solaire. Et comme l’ambition était de nous en éloigner fortement pour le tome 2 à venir, le chemin narratif du premier opus se construisait logiquement en partant de notre soleil pour nous en éloigner progressivement. Nous avons aussi souhaité monter progressivement en régime pour aborder certaines explications scientifiques. Sur Mercure, concernant la rotation et la révolution; sur Vénus, on explique tout ce qui peut toucher à l’atmosphère d’une autre planète très différente de la Terre; sur la Lune, on aborde l’exploration spatiale, avant d’aller plus dans le concret avec l’espace-temps et la gravitation, etc. Chaque étape dans le système solaire permet d’aborder des schémas différents surtout pour expliquer comment notre planète a pu se construire telle que nous la connaissons.

Le tome 2 a été plus construit comme vous l’indiquez, avec une arche fictionnelle et une arche scientifique. Nous introduisons effectivement un nouveau personnage, qui n’est pas vraiment amical envers nos amis. Cela nous permet de pouvoir donner encore plus de rythme à l’album, celui-ci s’avère dense car il fera 56 planches.

Il faut aussi trouver le juste ton dans la manière de divertir, d’amuser la galerie, dans des gags visuels ou textuels ?

Le fait d’être 2 scénaristes nous aide sans doute dans cette optique. En disposant du recul nécessaire, chacun peut rebondir sur des parties écrites par l’autre pour imaginer des gags où placer des touches humoristiques.

On parle BD, mais on peut parler dessin tout court, et animé. On se souviendra notamment des séries Il était une fois… Le dessin, quand il dépasse les schémas parfois indigestes, est un bon argument pour comprendre une matière, qu’elle soit historique, scientifique, sociale… ?

Le dessin est une merveilleuse façon de pouvoir transmettre des idées et des émotions. Car il comporte cette immédiateté, cette faculté d’être compris instantanément par la personne à qui il est destiné ! On peut donc ainsi plus facilement expliquer des notions en imaginant un univers certes fictionnel, mais qui traduit au mieux tout ce qu’on ne pourrait même pas expliquer avec des dizaines de paragraphes. Le dessin et le dessin animé sont bien entendu complémentaires à tout autre ouvrage scientifique, mais le dessin dispose d’une merveilleuse facilité de vulgarisation car, en un clin d’œil, des personnes qui ne sont pas de grands lecteurs, s’y intéressent instinctivement. Prenez par exemple les explications de la rénovation de Notre-Dame de Paris qui sont affichées autour du chantier. Le choix de la bande dessinée rend les explications aussi abordables qu’universelles. Quelle merveilleuse leçon !

Le thème de ce premier tome, c’est l’espace-temps. Ce n’est pas le sujet le plus évident. Le mieux, c’est de commencer dans le dur ?

Ah zut, moi qui croyais qu’on avait été plutôt soft ! (rires) L’espace-temps n’est effectivement pas toujours des plus simples pour le commun des lecteurs, parce qu’il n’est tout simplement pas connu de la plupart des gens tout simplement. Un peu comme le fait que notre planète soit ronde ; beaucoup de scientifiques le savaient à une époque, mais comme cela n’était pas dispensé au plus grand nombre, la majorité de l’humanité pensait qu’elle était plate.

Raison de plus à nos yeux pour aborder l’espace-temps dans ce premier tour et essayer de le rendre le plus facilement compréhensible pour le lecteur, même si ce n’est pas une notion directement intuitive, car le temps et l’espace nous semblent apparemment immuables. Quoi qu’il en soit, cette explication était la base nécessaire pour pouvoir continuer notre exploration à travers l’univers et ses connaissances et aborder d’autres sujets dans le second et dernier tome consacré à l’astrophysique, entre autres pour les explications au sujet des trous noirs.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Quelles œuvres, films, BD ou autres imaginaires, respectent au mieux la réalité scientifique ?

Je pense qu’il y a eu de tout temps, des récits qui étaient plus fictionnels que d’autres, sans que cela leur retire du crédit. Bien entendu, une histoire est destinée avant tout à transporter le lecteur ou le spectateur. Il est donc nécessaire d’induire parfois quelques raccourcis scientifiques si le désir est de maintenir l’attention du public : on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Si je devais citer trois films (dont deux sont tirés de livres) ayant certainement contribué à faire rêver le grand public tout en respectant dans une certaine mesure les voyages spatiaux, je citerais : « 2001 l’odyssée de l’espace », « Apollo 13 » et « Mission to Mars ». Il y en a eu d’autres bien entendu, comme « Gravity », mais ces trois-là ont su toucher le grand public, et diffuser certaines réalités sur les voyages dans l’espace à des dizaines d’années d’intervalle.

Et les contre-exemples ? Star Wars et d’autres ?

La plupart des récits de science-fiction mélangent par définition science et fiction. Et on peut apprécier ce qu’il raconte sans pour autant s’arrêter aux interprétations loufoques qu’il dispense. Parfois le plus important est de faire rêver les spectateurs. Je suis certain que beaucoup d’astrophysiciens actuels ont connu une forme de révélation en voyant le premier Star Wars… même s’il est bourré d’invraisemblances ! (rires)

Au fond, l’espace-temps, comment peut-on résumer ce concept si f(l)ou ?

C’est simple à dire, mais il faut juste considérer l’espace et le temps comme étant 2 notions indissociablement liées. Une masse très importante ou une vitesse proche de la lumière vont modifier la manière dont l’espace-temps va se comporter autour de vous. Mais le plus simple pour expliquer ce type de notion reste de le démontrer via des exemples, comme nous avons essayé de le faire dans ce premier tome.

© Chacma/Bertrand des Béka/Mariolle/Croix chez Bamboo

Bon, le concept et les questions passionnantes qu’il dégage sont parfois corsés. Monsieur le professeur, ce n’est pas grave si on doit relire l’album une deuxième fois ?

Plutôt deux fois qu’une ! D’ailleurs, le jeune lecteur accepte beaucoup plus facilement de ne pas tout comprendre la première fois qu’il lit une histoire. Inconsciemment, c’est ce qu’il fait déjà en regardant une série ou en voyant le monde qui l’entoure. Toute une série de niveaux de lecture ou de notions vont lui échapper sans que cela ne le freine, mais il va s’intéresser à des choses qui sont à sa portée tout en étant éveillé par les points qu’il ne saisit pas directement. Et c’est en revenant plus tard sur des éléments qui auront pu éveiller sa curiosité, qu’il va pouvoir continuer à apprendre de nouvelles choses.

La suite, donc, c’est Uranus vers laquelle est en partance notre quatuor. Qu’y trouveront nos héros ? Et quels sujets développerez-vous ?

Nous allons très vite passer par Uranus et Neptune avant de retrouver Pluton où nos amis sont impatients de pique-niquer. Malheureusement ils vont découvrir que leur mamie a disparu ! Pourquoi et comment ?… Ils vont le découvrir en voyageant à ce moment-là bien au-delà de notre système solaire et de notre galaxie, pour comprendre comment s’est formé l’univers et de quoi il se compose, jusqu’aux plus étranges des astres, que sont les trous noirs.

Et le tome 3 est déjà envisagé ?

Tout à fait, après ces 2 premiers tomes consacrés à l’astrophysique, le troisième album débutera notre voyage au sein de la mécanique quantique. Encore de passionnantes choses à expliquer !

D’autres projets BD ?

En effet, je suis en train de travailler avec Brice Goepfert sur le premier tome d’une série plus historique et qui débute en le 7 mars 1936 avec l’invasion de la Rhénanie par le régime allemand. L’objectif est d’en apprendre plus sur cette période assez floue de l’Entre-deux guerres, en côtoyant les espions de l’époque. Et nous en profiterons pour nous intéresser aussi aux avions, histoire de rajouter de belles séquences aériennes au monde mystérieux des agents secrets. Cela paraîtra chez Kennes Editions.

Pour le Lombard, Je travaille également sur un autre one-shot ado-adulte, qui mêle une nouvelle fois action et réalité historique méconnue à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et chez Dupuis, les BeKa me font l’honneur de m’inviter au sein de leur série de « L’Ecole des Petits Monstres » dont le tome 1 sortira dans quelques semaines. Un univers pour les jeunes lecteurs, mais très éloigné de « Science Infuse ».

Maintenant que l’album est sorti depuis quelques semaines, quels retours avez-vous ? Des enfants autant que des parents ? Avec la possibilité d’entrer dans les écoles ?

Nous avons des retours, autant d’enfants que de parents, et qui sont pour la plupart assez positifs. Notre éditeur Bamboo a fait un super travail pour mettre la série en place, avec des articles dans diverses revues scientifiques destinées aux jeunes, et nous avons également réalisé un poster présentant le système solaire à destination des écoles et des bibliothèques. Il est disponible gratuitement ici pour ceux qui voudraient le télécharger : https://fr.calameo.com/read/0043985584bb27fd0314a

Poster © Bertrand des Béka/Chacma/Mariolle/Croix

Au final, nous espérons surtout que notre série pourra faire rêver les lecteurs, et leur distiller que la science n’est pas composée que d’étranges équations, mais bien de fabuleuses découvertes qui nous permettent de mieux comprendre le monde qui nous entoure !

Merci pour ce partage de connaissances très divertissant, en tout cas!


Série : Science infuse

Tome : 1 – L’espace-temps

Scénario : Bertrand des Béka et Chacma

Dessin : Julien Mariolle

Couleurs : Laurence Croix

Genre : Docu-fiction, Humour, Jeunesse

Éditeur : Bamboo

Nbre de pages : 64

Prix : 14,90€

Date de sortie : le 30/03/2022

Extraits : 

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