Adamo avait oublié que les roses sont roses; moi, j’avais oublié l’histoire d’Ys. Certes moins populaire que d’autres cités perdues comme Atlantide ou Eldorado, Ys a un rôle à jouer à l’heure où les féministes durcissent le ton et où la citadelle mâle vacille. À l’heure où la liberté entend bien se soustraire une bonne fois pour toutes des poseurs de jougs que sont la religion et le politiquement correctement. En donnant une millième vie (ou peut-être est-ce une mille-et-unième vie ?) à Ys, Annaïg et Loïc Sécheresse réussissent un roman graphique enlevé, déroutant et plein de courbes pour faire honneur aux femmes et malheur aux hommes, si faibles.
Résumé de l’éditeur : Parti combattre, le roi Gradlon s’éprend d’une reine guerrière qui meurt en accouchant de leur fille. Inconsolable, il se désintéresse de tout, jusqu’à sa rencontre avec un ermite chrétien qui le convainc d’embrasser sa foi. Hostile à cette religion patriarcale, sa fille Dahud s’exile à Ys, la cité que son père a bâti pour elle. Mais les ambitions de vie alternative que la jeune femme y développe rencontrent rapidement l’hostilité de l’homme d’église…
« Dans le monde qui commence, il n’y a pas de place pour les femmes comme Dahud. Et elle n’aurait sûrement pas supporté d’y vivre non plus. Peut-être qu’un jour, Ys renaîtra de sous les eaux… Et alors. » Ys, c’est l’histoire de mondes qui s’entrechoquent. Celui des Celtes et celui du Christianisme, autrement dit du polythéisme à visages féminins et du monothéisme qui relègue les femmes qu’a n’être la côte d’Adam. Le monde de Gradlon, en pleine mutation, et celui de Dahud qui veut garder sa fougue et sa hargne, son impétuosité et sa force de femme pour ne pas succomber à ce qu’on voudrait lui imposer. Ys, c’est l’arrivée d’une nouvelle religion, arrogante au point d’ordonner de laisser tomber les autres (et tous les rituels sociaux et les traditions auxquelles elles ont donné lieu), dans des contrées reculées qui vivaient bien sans elle mais pour qui elle va se rendre incontournable, insidieusement puis de manière oppressante, dictatoriale.
Ce genre de thème, on l’a déjà vu en Amérique du Sud ou en Afrique, au joyeux temps (tu parles…) des colonies et des missions; sauf qu’ici ça se passe encore plus près de chez nous, dans la Bretagne de toutes les mythologies qui devraient bientôt être sacrifiées pour idolâtrer un dieu-monstre unique. Mais Dahud est bien trop jeune et téméraire que pour se laisser faire par un monde qui a pris mille ans en l’espace de l’arrivée de saint Corentin auprès de son père. La cohabitation est difficile et bientôt Gradlon lui offre, comme cadeau d’anniversaire, une cité magnifique en bas des falaises et avec vue (très proche) sur la mer. La liberté en chantier dans un piège qui pourrait se refermer comme une huître.
Avec cette histoire qu’on a en sainte horreur, c’est magnifique ce qu’Annaïg et Loïc Sécheresse sont parvenus à faire. Le trait indomptable (bien plus encore que Morvark, le cheval légendaire) de Sécheresse fait des bonds des temps mythiques à aujourd’hui pour nous parler de la déraison d’une religion qui oblige à choisir son camp et qui falsifie la pensée et la culture. Préférant le mouvement au détail poussé, le dessinateur et coloriste est en pleine possession de ses moyens et réussit des séquences de folie (une chevauchée en accéléré qui nous a fait tomber de selle, pour ne parler que de quelques cases de cet album fulgurant) tandis que se succèdent opposition, espionnage et, aussi, un peu de poésie et de fête dans ce monde de brutes.
Sécheresse irrigue et fusionne avec la légende mais aussi le propos très actuel et joliment autant que férocement interprété par Annaïg dans les dialogues et le déroulé de cette histoire que j’avais oubliée… mais que je ne risque plus de perdre de vue.
Récit complet
D’après la légende d’Ys
Scénario : Annaïg
Dessin et couleurs : Loïc Sécheresse
Genre: Histoire, Mythe
Éditeur: Delcourt
Collection : Mirages
Nbre de pages: 152
Prix: 18,95€
Date de sortie: le 19/09/2018
Extraits :