D’un Suaire en sueurs, à travers les siècles des siècles, Mordillat, Prieur et Liberge font régner un capharnaüm moins divin que d’enfer

Il y a des mythes qui se suffisent à eux-mêmes mais quand même… que les fictions font grandir encore un peu. Ils sont rares, forcément, mais de temps en temps, l’exploit est là. Le Suaire, ou du moins sa première partie, de Gérard Mordillat, Jérôme Prieur et Éric Liberge, met cet exploit à sa portée en revisitant la naissance du mythe d’un suaire parmi d’autres mais dont on sent qu’il va faire chavirer bien des destins, une fois sorti de sa zone de réconfort chrétien.

Résumé de l’éditeur : Champagne, février 1357. Henri, évêque de Troyes, chevauche vers le lazaret de Lirey, pour tenter de convaincre sa cousine Lucie, dont il est amoureux, de renoncer à ses vœux religieux. Dans la chapelle où ils sont réunis, les moines font cet amer constat : les caisses sont vides, et les travaux de l’abbatiale, qui doit accueillir un morceau de la Vraie Croix, seront bientôt arrêtés, faute de moyens… « Nous avons fait le serment de bâtir une abbatiale qui accueillera la relique, et nous serons fidèles à notre parole, quoi qu’il en coûte », s’exclame Thomas, le prieur de la communauté. Les ressorts de la tragédie, tant amoureuse que religieuse, sont désormais en mouvement…

© Mordillat/Prieur/Liberge chez Futuropolis

Il y avait les monumentaux bâtisseurs de cathédrales, voilà le temps des humbles bâtisseurs d’abbatiales. Et dans les campagnes de Lirey, on est encore loin d’avoir atteint les cimes, d’autant que l’argent manque et qu’il faut trouver du ressort pour mieux rebondir. Peu importe que les procédés ne soient pas forcément très catholiques.

© Mordillat/Prieur/Liberge chez Futuropolis

D’ailleurs, il y a des chemins de croix, tous les jours, et les pénitents des environs se chargeront de se labourer un peu plus le dos (quitte à ressembler à Monsieur Mardi-Gras Descendres?) dans le froid et la neige pour pardonner les affronts à ce que serait une foi bien mal placée. Car, plus machiavélique qu’angélique, père Thomas décide de créer un faux, un linge imprégné de la sueur d’un damné lambda qui deviendra un Suaire qu’il authentifiera de toute sa mauvaise foi. Un mensonge qui va se répandre comme une traînée de poudre, tandis que d’autres cherchent encore leur vocation, et ramener les fonds et la plèbe à Lirey.

© Mordillat/Prieur/Liberge chez Futuropolis

En un mot comme en sang (pas de faute, là, rassurez-vous), Le Suaire est tout bonnement incroyable! Parce que les scénaristes, et dialoguistes surtout, semblent avoir accepté de s’effacer au profit de toute la ferveur et de la frénésie d’Éric Liberge. Il y a très peu à lire (juste assez, disons, que pour être pris dans le piège littéraire des auteurs) mais qu’est-ce qu’il y a à voir, avec tout ce qui fait les grandes fresques humaines et néanmoins dramatiques qui marquent les siècles des siècles.

© Mordillat/Prieur/Liberge chez Futuropolis

Quelle ampleur, quel souffle, quel soufre et quel éclat, trouve là Liberge dans une oeuvre qui joue quelque peu les prolongations de ses fameux Facteur Cracophane et Monsieur Mardi-Gras Descendres. Certes, ici, les squelettes ont gagné en chairs (quoique, certains semblent en avoir trop, à tel point qu’il s’arrache la peau à force de coups de fouet barbelé, de couronnes d’épines ou de croix lourdes à porter). Mais, en substance, c’est le même constat : une foule hors-norme au pied d’une citadelle religieuse en devenir mais ne sachant réellement où aller, perdus dans les limbes d’une foi et d’une mémoire sélectives.

© Mordillat/Prieur/Liberge chez Futuropolis

D’autant plus que la peste rampe, et ça n’arrange rien dans ce monde où il faut se méfier de tout, et de Dieu et ses suppôts, en premier. En émergent un commencement formidable, un capharnaüm moins divin que d’enfer et des planches qui se tournent emportée par l’énergie du désespoir de tous ces personnages marquants. Et dire que, sur la toile, le spectacle se fait à coup de centaines de milliers de dollars. Et dire qu’il ne suffit à Liberge que d’empoigner ses admirables crayons et lavis pour dégager une puissance colossale, historique sur une formidable matière.

Et on a d’ores et déjà quelques planches à vous montrer de la suite, dans le Turin de 1898. Merci à Éric Liberge !

Série : Le Suaire

Tome : 1 – Lirey 1357

Scénario  : Gérard Mordillat et Jérôme Prieur

Dessin : Éric Liberge

Noir et blanc

Genre: Historique, Thriller

Éditeur: Futuropolis

Nbre de pages: 80

Prix: 17€

Date de sortie: le 04/01/2018

Extraits : 

2 commentaires

  1. Très mauvais parti pris et tres mauvaise esprit.
    Nul à ch.er !
    Du talent au service de l’erreur et de l’apeu-près
    0/5

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.