Après avoir donné un concert très réussi au Théâtre 140 en octobre dernier, dont je vous ai longuement parlé dans ces colonnes, Bertier déposait ses valises ce 26 janvier à la salle Zik Zak à Ittre. Fidèle à sa (bonne) réputation, le collectif emmené par Pierre Dungen y a à nouveau donné un concert brillant encore plus rock qu’au 140. On regrettera juste le peu de monde ayant fait le déplacement comme c’est hélas bien trop souvent le cas pour beaucoup d’artistes venant prêcher la bonne parole en dehors de la capitale. Le belge ne bouge plus beaucoup ses fesses en dehors des mois d’été, je dirais même qu’il hiberne culturellement dès qu’on passe à l’heure d’hiver.
Dommage pour ceux qui n’y étaient pas, ils ont raté une excellente soirée qui s’est ouverte avec la prestation convaincante de Kouzy Larsen pour la première fois en formule duo. Ce concert fut donc l’occasion idéale, après une interview solo de Pierre plus tôt, de rencontrer trois des membres de Bertier backstage et de leur poser quelques questions afin de mieux vous les faire connaître.
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C’est donc Pierre Dungen, Lara Herbinia et Yan Pechin qui se sont collés au jeu de l’interview et ont répondu aux questions de votre serviteur dans la bonne humeur…
Bertier bonjour ! L’album Anna & Roby est sorti depuis plusieurs mois distribué par Freaksville Records et a été accueilli favorablement par la presse ; par ailleurs vous avez aussi donné un superbe concert au Théâtre 140 en octobre dernier. Quel est le bilan que vous pouvez tirer aujourd’hui sur la sortie de ce deuxième album, et plus généralement sur le parcours de Bertier jusqu’à ce jour ?
Pierre : C’est un début de parcours, et comme disait Jean Carmet : » Ceux qui disent qu’ils sont arrivés c’est qu’ils n’allaient pas bien loin « . Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

Vous venez de sortir un superbe nouveau clip « Derrière le Tableau » réalisé par Lara Herbinia, et si mes informations sont bonnes il a été tourné au Berger, un ancien hôtel de jour à Bruxelles. Qui a eu l’idée de l’endroit et comment avez vous pensé à faire appel à Florence Agrati pour partager le rôle principal du clip avec Pierre ?
Lara : J’ai rencontré Florence Agrati lors d’un concert de Benjamin Biolay et je l’ai trouvée fascinante. C’est quelqu’un qui organise des évènements comme Rétro sur Mer, qui a fait du cabaret et qui s’inscrit dans un look pin up des années cinquante. On a tout de suite eu un bon feeling. Par ailleurs, elle avait « crié » pour mon livre de photos intitulé Le Cri paru en novembre dernier aux Editions du Caïd et j’ai été séduite par ses tatouages dans le style de ceux de Kiki de Montparnasse qui avait été immortalisée par Man Ray de dos et nue, pour un célèbre cliché intitulé Le Violon’ Ingres.
Ça m’a vraiment parlé, et je savais que je ferais quelque chose avec elle un jour. En ce qui concerne le lieu c’est Florence qui me l’a recommandé car elle y avait déjà travaillé avec le photographe Bart Ramakers. Moi c’était clair dans mon esprit, je voulais une fille sexy qui à la fin du clip devienne très naturelle, sans maquillage et sans chichis, et je voulais absolument que le clip se termine par un plan sur son dos avec le tatouage du violoncelle. Derrière le tableau est un de mes morceaux préférés de l’album Anna & Roby, paroles de Pierre et musique sublime de Yan Pechin, et l’apport du violoncelle de Jean-François Assy est magnifique.
Nous sommes ici dans cette nouvelle salle Zik Zak à Ittre, quelles sont vos impressions sur ce nouveau lieu et dans quel état d’esprit êtes vous avant de monter sur scène ?
Yan : Cette salle me rappelle un lieu parisien très connu qui a une belle histoire et qui s’appelle Le Plan à Ris-Orangis. Pendant longtemps, ce fut la seule salle rock qui n’était pas à Paris et où venaient jouer tous les groupes comme Doctor Feelgood, Rory Gallagher, etc. La configuration de la salle me rappelle étrangement ce lieu où j’ai joué il y a 25 ans. Enfin non pas 25 ans, parce qu’il y a 25 ans je n’étais pas né ! (rires)
Justement, tu as joué avec les plus grands (Bashung, Brigitte Fontaine, Rachid Taha, H. F. Thiéfaine, Link Wray, etc.). Que t’apporte cette expérience déjà longue de deux albums avec Bertier ? Tout est parti d’un coup de cœur je crois ?
Yan : Je ne connaissais pas leur musique du tout. J’ai connu Lara comme photographe, et un jour elle m’a appelé en me disant qu’elle travaillait sur un projet qui s’appelait Bertier et m’a demandé si ça m’intéressait de travailler dessus. Je lui ai répondu que moi, il n’y avait pas d’histoire d’argent qui comptait, que je voulais juste écouter, voir si ça m’intéressait… Ils m’ont donc envoyé les titres de l’album et ma première réaction a été : « Mais que voulez vous que je fasse, l’album est fini il y a déjà tout ? » Pierre et Lara m’ont alors répondu : « Oui il y a tout mais on est prêts à tout chambouler car on aimerait que tu amènes ta couleur, histoire d’emmener l’album ailleurs » . J’ai donc accepté et j’ai un peu mis le bordel, et l’album a pris une tournure différente. Mais je ne serais jamais venu jouer si les chansons et l’album ne m’avaient pas plu. Et, en effet, ça a été un coup de coeur. Sinon il faudrait me payer très très cher et encore ! (rires)

Parle nous un peu de tes projets. Tu prépares des titres pour H. F. Thiéfaine parallèlement à un autre projet en anglais avec la chanteuse Emma Foreman. Ta méthode de travail est-elle la même pour ton travail avec le collectif Bertier ou est ce particulier ?
Yan : Moi, j’ai deux méthodes. En général je travaille à partir des textes, et ici j’ai reçu les textes de Bertier et ça a été la même méthode que pour Thiéfaine : à partir des textes, je fais la musique. Dans le cas de mon projet en anglais avec Foreman j’ai d’abord composé la musique avec des textes en yaourt et je suis un peu passé de l’un à l’autre, mais en gros ma méthode reste fondamentalement la même. À la différence près que Bertier est un collectif et que je n’y suis pas le seul maître à bord. C’est Pierre qui a été le fer de lance du projet.
Pierre, tu es le chanteur et le parolier de Bertier. Tes textes poétiques parfois elliptiques me rappelle un peu l’univers de Boris Bergman, mais au final ta personnalité artistique est très palpable dans ton travail, il y a une patte Dungen. Dandy le premier album abordait le thème de l’eau, Anna & Roby celui de l’air, le prochain album traitera du feu et le quatrième de la terre. Qu’est ce qui t’a donné l’idée de créer une telle quadrilogie ? Et pourquoi choisir à chaque foi un couple en amour pour camper les héros de l’aventure ?
Pierre : Parce que je crois que je suis quelqu’un d’obsessionnel et si des choses me perturbent l’esprit en même temps, elles me perturbent tout le temps. Alors j’essaie de créer. Je rate des trucs mais j’essaie… Je préfère les remords au regrets et j’essaie à chaque fois d’être sincère. Je suis un obsessionnel. Il y a une part de moi dans ce que j’écris, mais inconsciente, car je ne voue aucun réel culte à l’ego trip.
Musicalement, quelles sont les influences majeures de Bertier ? Quels sont les artistes qui vous influencent le plus dans l’histoire du rock , de la pop et de la chanson française ?
Yan : Il y a tellement d’influences mélangées ! C’est un gros fourre-tout, bordel, mais de qualité. On a mélangé des gens qui ne devaient au départ pas se rencontrer et qui proviennent d’univers différents. Mais Pierre a parfaitement jugulé tout ça pour garder un contrôle final.
Pierre : En studio, je suis tout le temps présent, et si je n’y suis pas, ça me rend malade. Il y a des compositeurs multiples et si on n’y prend pas garde ça pourrait amener cinq albums différents. Maintenant attention, je suis très à l’écoute de ce que chacun peut amener dans Bertier, je ne suis pas un despote ! (rires)
Lara : C’est un collectif et chacun peut amener un peu de sa folie. Chacun y apporte d’ailleurs une petite touche.
Pierre : Pour le troisième album, je ne serais pas contre, si une idée est bonne, de réécrire mes textes. Je cite souvent cette interview entre Benabar et Arthur H . La question qu’on leur posait était : « S’il y a une super mélodie et un super texte mais que l’ensemble ne colle pas, que faites-vous ? » Benabar voulait changer la mélodie et Arthur H. le texte. Moi je suis de cette école-là, je change le texte, pas la mélodie.
Yan : Je ne sais plus quel musicien célèbre disait: « Il y a beaucoup de grandes chanson musicales avec des textes de merde, mais on a rarement l’inverse… »
Lara et Pierre : (ensemble et morts de rire) Je crois que c’est une citation de Jean François Assy !

Pensez vous que Bertier est plus un groupe de studio ou qu’il trouve sa véritable dimension sur scène ?
Lara : Je trouve que c’est complémentaire, c’est deux dimensions différentes. Le travail de studio s’apparente à du bel artisanat, et sur scène ça prend une dimension nettement plus rock. Et j’aime bien ces deux dimensions là.
Pierre : En ce qui me concerne, je cherche réellement à faire deux choses différentes en studio et sur scène.
Yan : C’est amusant, car quand je suis sur scène j’ai l’impression de faire du studio. À la base pour moi Bertier c’était un travail de studio, je n’avais pas du tout prévu d’être sur scène, et quand j’y suis, j’expérimente comme si j’étais en studio.
Personnellement, je trouve que vos titres se subliment en live. Sur scène d’ailleurs, vous privilégiez les musiciens aux machines, ce qui pour la scène alternative n’est pas vraiment habituel. Beaucoup d’artistes se produisent live avec le minimum syndical souvent pour minimiser les coûts. C’est un choix purement artistique ou de conviction ?
Pierre et Lara : (en choeur) C’est un choix de conviction à l’évidence !
Pierre : C’est un milieu un peu sinistré, et beaucoup d’artistes tournent moins s’il veulent offrir de la qualité au public. Je préfère jouer moins mais offrir au public ce qu’il mérite.
Yan : Je pense qu’il faut faire découvrir l’oeuvre au public et se rapprocher le plus possible sur scène du produit original, du meilleur quoi !
Sur scène on ressent une belle complicité entre les musiciens du collectif . Quelle sont les qualités nécessaires pour faire partie de Bertier ?
Yan : On se déteste tous, c’est bien connu ! (rires) L’écoute, c’est important.
Lara : C’est une question piège… je dirais la vibration, la connexion.
Pierre : Une forme de connivence, assurément. Et aimer le vin aussi ! (il éclate de rire) Sur scène, on joue avec de vrais musiciens pas avec des instrumentistes.
Yan : Tous les musiciens qui jouent dans Bertier, s’ils sont là, c’est avant tout pour la musique. Ce sont tous des gens qui travaillent beaucoup, et ils ne viennent pas jouer avec Bertier pour s’acheter un château dans les Landes.

Je sais que vous préparez quelques dates en France, notamment sur Paris et qu’ au niveau des textes le 3e album est déjà en chantier. Quels sont vos projets pour Bertier pour l’année 2018 ?
Pierre : Nous jouerons le 26 mai à Montreuil (Paris), vous trouverez tous les renseignements sur notre site et sur notre page Facebook. D’autre part, j’essaie raisonnablement de fixer des dates en fonction des agendas de chacun car vu la renommée de certains musiciens fort occupés ce n’est pas simple. On désire aussi jouer dans des endroits qui possèdent une bonne acoustique, et en parallèle on ouvre une réflexion pour le troisième album qui sortira peut être en 2020, je ne sais pas encore. Pour la scène il y a des dates qui sont en bonne voie, mais ce qui fait peur parfois c’est le line up qu’il faut parvenir à réunir. Il y a des questions de production aussi il faut dire les choses comme elles sont, mais ça se prépare.
Vous n’avez pas envie de vous produire aussi dans des festivals à taille humaine ? Ce serait une vitrine idéale pour toucher un public qui ne vous connaitrait pas encore.
Yan : Je le souhaite ! On pourrait surprendre les gens.
Lara, Pierre et Yan, merci de tout coeur d’avoir répondu avec une grande disponibilité à ces questions et bonne route à Bertier !
Propos recueillis par Jean-Pierre Vanderlinden / Photos : Pierre-Jérôme Adjedj

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