Rabaté-Kokor, à l’abri des bruits du monde, invite l’essentiel à rentrer dans la ronde

Quand on aime la BD, on sait aussi que certains ne l’aiment pas. Sans doute, est-ce moins le cas qu’il y a quelques décennies quand la BD était destinée « aux enfants » ? Et pourtant, je suis sûr qu’il y en a qui considèrent que si on ne mélange pas les torchons et les serviettes, la littérature ne peut frayer avec la bande dessinée. Pour ceux-là, voilà un uppercut de première signé Rabaté et Kokor bien en phase pour mettre tout le monde d’accord.

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© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

Résumé de l’éditeur : « Alexandrin de Vanneville, poète des campagnes et des villes, arpentant les chemins et les villes, de terre ou de bitume, par vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie ». Poète ambulant, Alexandrin survit en faisant commerce des vers qu’il compose ; un aristo sans le sou, mais à la noblesse d’esprit et celle du coeur qui décide d’initier un adolescent en fugue aux arts de la poésie et de la débrouille.

© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

Une rue normale au petit jour, un homme banal fait son grand tour, à l’ombre des grandes tours, le décor semble muet et sourd. Bon, d’accord, je n’ai pas le talent de Pascal Rabaté et Alain Kokor pour camper une ambiance paisible (deux planches sans un mot, mais ça va venir et vous n’allez pas être déçus) et aussitôt l’ébranler. DING DONG. « Bonjour, mon brave Monsieur, j’espère ne point vous déranger sous ces cieux. Je me présente, Alexandrin de Vanneville, pète des campagnes et des villes arpentant les chemins de terre et de bitume, par le vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie. » L’acteur (on aurait bien vu le délicieux Jean Rochefort dans ce rôle) s’élance et la tirade en dit long sur la saveur poétique qui va donner le la à ces 94 planches savoureuses.

© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

C’est déjà l’automne dans cet album sorti le 25 août, les couleurs tire sur l’orange et les feuilles volent entraînant les mots avec eux, légèrement mais pas innocemment. Alexandrin, c’est le digne représentant de la tradition orale, celle qui bien avant l’écriture (et ne parlons pas des mails et autres viber) a permis de faire survivre de grandes épopées avec les âges. Alexandrin porte bien son nom, ne fait pas de fautes dans sa prose et croit sérieusement, qu’en échange de quelques petits sous, il pourra réchauffer les coeurs les plus hostiles.

© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

Rien ne vaut une voix chaude et humaine quand on est bercé par la voix du GPS ou de Siri dans votre smartphone, n’est-ce pas ? Bon, à voir le fusil qu’on vient de dégainer sous le nez de notre semeur de rimes, tout le monde n’est pas tout à fait rangé du côté de la beauté des mots. Tant pis, Alexandrin continue sa route et vient de se trouver un allié, Kévin, pas plus haut que trois pommes mais mu par un grand besoin de liberté. Après tout, on a toujours besoin d’un plus petit que soi. Et Kévin est plutôt direct : « Tu serais pas un pédophile par hasard? » Bien sûr que non. La glace est brisée, la chaleur humaine de s’insinuer, du sage qui n’a l’air de rien à l’héritier qui n’est pas si vaurien.

© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

À l’instar de ces deux inconnus jusque-là, dans l’équilibre des mots de Rabaté et des merveilleux dessins de Kokor, ce sont deux poésies qui s’allient, se renforcent et s’envolent. C‘est riche et certainement pas anodin. Pas à l’heure où l’on veut faire disparaître les plus démunis de nos beaux centres de ville. Pas à l’heure où les fautes d’orthographe s’alignent sur les réseaux et où la langue française est malmenée. Pas à l’heure où le métro-boulot-dodo tente (en vain!) de briser la créativité et d’empêcher les hommes d’être eux-mêmes en toute originalité. Pas anodin mais tellement universel, simple. Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied, c’est le tourbillon de la vie sur lequel on met des mots, des dodus, des maigrelets, des grands, des petits, des graves et des insouciants. Des mots par-dessus tout, comme un cadeau, un partage, une preuve inébranlable que si chaque langue a sa vision du monde, celle des coeurs de Rabaté et Kokor(qui ont eu du pain sur la planche sur cet album, exigeant, mais ont la délicatesse de ne pas le faire savoir) mérite l’universalité. Le parti des poètes n’est résolument pas celui de la défaite et ses plus dignes représentants, sans avoir rien, sont peut-être les plus riches.

© Rabaté/Kokor chez Futuropolis

Voilà comment dans un rêve à perte de vue, sans savoir quand, je me suis retrouvé dans la rue, à faire ding dong aux portes hostiles, pour partager quelques rimes qui s’enfilent, maladroitement, infiniment.

Titre : Alexandrin ou l’art de faire des rimes à pied

Récit complet

Scénario : Pascal Rabaté

Dessin et couleurs : Alain Kokor

Genre : Poésie, Fable moderne

Éditeur : Futuropolis

Nbre de pages : 96

Prix : 22€

Date de sortie : le 25/08/2017

Extraits : 

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