Trois heures de Saez à Forest National : chaque chanson comme si c’était la dernière

Quelques mois après la sortie de son cd « Acte 1 Manifeste: l’oiseau liberté« , qui s’inscrit  dans son projet artistique mêlant vidéos, chansons et textes, et quelques semaines après le second album – pardon, triple album – issu du projet, le bientôt quadragénaire Saez était de passage à Forest National ce mardi.

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En ouverture, sobrement au piano, Saez laisse toute la place à un film en noir & blanc dans lequel, quinze minutes durant, une jeune femme parle d’amour face caméra. Ana Moreau – c’est son nom – hypnotise le public. Mélange de Cœur de pirate et d’Ana Karina (période « Pierrot le fou »), on ne peut s’empêcher également de penser au monologue de Veronika (Françoise Lebrun) dans le film « La maman et la putain » (1973), mis en musique par Diabologum (1996).

Attention les moins de 30 (40?) ans: séquence découverte !

Après cette mise en bouche prenante, l’écran se lève et Saez entame, dans la pénombre d’abord, un concert intense de trois heures, accompagné de ses musiciens, quatre guitaristes/bassistes (dont Alice Botté, qui accompagne également Hubert-Félix Thiéfaine en tournée), un batteur et un accordéoniste.

Trois heures durant lesquelles, exception faite de pauses – pauses cinématographiques (avec le retour d’Ana Moreau) ou pauses tout court -, Saez donnera tout, avec une puissance et une rage à la hauteur de ses chansons.

Chaque chanson est vécue comme s’il s’agissait de rappels, ces chansons où l’on donne tout, où les trois minutes du cd deviennent quatre, cinq, six minutes. Celles où les solos des musiciens expriment tout leur potentiel mais aussi celui de la chanson.

Chaque chanson comme si c’était la dernière, en fait.

Il n’est rien de plus beau qu’aimer, l’autre, bien plus qu’on s’aime soi

Assez logiquement, c’est l’Acte 1 qui entame ce concert avec L’humaniste et Les enfants paradisL’émotion post-attentat du 13 novembre, exprimée avec talent par Damien Saez, touche tout le public, tous les publics car Saez réunit plusieurs générations, plusieurs univers qui se téléscopent pour n’en former plus qu’un. On y croise tant le quadra voire quinqua post-punk qui a perdu la crête mais gardé la tendance anar que l’ado fébrile qui connaît les paroles par cœur mais ira voir Christophe Maé, quelques jours plus tard.

Betty, Mon terroriste, Des p’tits sous, J’hallucine, … Petit à petit, les lumières s’allument et le concert se veut plus rock, puissant, énergique. Mais Saez reste Saez: ne comptez pas sur lui pour se contenter de faire du spectacle, on n’est pas à The Voice ici!

À ta santé Macron, à ta santé Bolloré, à ta santé Fillon! Les cibles sont citées, sont visées. Mais ne pensez pas qu’il roule pour un autre candidat, le chanteur s’abstiendra en tout cas de le dire: ce ne sont pas tant les personnes qu’il vise mais leur comportement qu’il dénonce, avec la lecture de « La lettre à politique »

(…)

Vous parlez de victoire quand vous puez la défaite.
Vous parlez d’union quand vous n’êtes qu’ambition individuelle.
Vous êtes la fin des idéaux.
Vous êtes la cause des montées des fascismes.

(…)

Saez n’a rien perdu de sa colère, celle notamment du « J’accuse » sorti en 2010, qui lui valut la censure de sa campagne d’affichage. Celle de « Ma petite couturière »

« Ils ne parlent pas pour nous, ils nous vendent l’âme et c’est tout, ils sont bons qu’à promettre, et nous bons qu’à nous faire mettre. »

 

Un regret, un seul: une salle plus intime aurait selon moi mieux convenu à l’univers de Saez que ce gigantesque Forest National dont la taille et l’inadéquation avec la jauge du public favorisent une approche plus rock. Le charme du Cirque Royal aurait par exemple accueilli avantageusement son univers. Car même s’il fait sauter plusieurs centaines de spectateurs sur les morceaux plus rock, Saez reste avant tout un poète écorché qui offre les plus textes à la chanson française ces dernières années, digne héritier à la fois de Noir Désir et de Léo Ferré, voire de Brel ou Barbara qu’il cite lui-même dans « les enfants paradis »:

Ils s’appelaient je t’aime, ils s’appelaient jeunesse
Ils s’appelaient poèmes, ils s’appelaient tendresse
Ils s’appelaient frangines, ils s’appelaient frangins
Ils s’appelaient gamines, ils s’appelaient gamins
Ils s’appelaient la joie et puis la non violence
Ils s’appelaient, je crois, les enfants de la France
De tous les horizons, puis de tous les prénoms
Ils s’appelaient amour, s’appelaient l’horizon
Ils s’appelaient Jacques Brel, puis, je crois, Barbara

Mais quoi qu’il en soit, Saez a largement démontré qu’il était à la hauteur des attentes du public et qu’à une époque où le repli sur soi semble dicter plus les électeurs dans l’isoloir, bien plus que des valeurs de solidarité, son public – nombreux – partage l’envie d’un monde différent… qu’il nous revient maintenir de modeler à la sortie du concert…

Compte-rendu et photos: Benoît Demazy

3 commentaires

  1. Oui, Saez le poète n’était pas fort présent à ce concert et c’est dommage. De son magnifique dernier triple album, on n’a pas entendu grand-chose. Principalement du « j’accuse ». Forest n’est pas adapté à ce genre de concert étant donné la qualité acoustique. C’est dommage, j’aurais rêvé d’un concert comme au Bataclan, guitare ou piano voix.

    Ou rock, comme ici, mais dans une salle correcte qui évite la saturation du son dès que plus de deux instruments jouent…

  2. Merci beaucoup pour votre article que j’attendais avec impatience, ainsi que le reportage photo! c’est moi qui vous ai demandé pour quel support de presse vous aviez une accréditation 😉 bises et bonne semaine!

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